Diamants du Zimbabwe : quelles leçons en tirer ?

Avi Krawitz

Dans l’indifférence quasi-générale, les États-Unis ont fini par mettre un terme aux sanctions contre les diamants du Zimbabwe.

Le 4 mars, le président Joe Biden a signé un décret mettant fin à l’état d’urgence nationale « relatif aux actions et aux politiques de certains membres du gouvernement du Zimbabwe et d’autres personnes ».

Plusieurs personnalités et entités liées à l’industrie des diamants ont été retirées de la liste des Ressortissants Spécialement Désignés et des Personnes Bloquées de l’OFAC (Bureau du contrôle des avoirs étrangers du Trésor américain).

Parmi ces noms figuraient la Minerals Marketing Corporation of Zimbabwe (MMCZ) et la Zimbabwe Mining Development Corporation (ZMDC), Marange Resources, ainsi que Mbada Diamond Company. Ces sociétés sont ou étaient impliquées dans la production ou la vente de diamants.

Les chiffres de la production ont fluctué au cours des années. Au plus fort de l’activité, en 2012, le pays a produit 4,46 millions de carats, estimés à 424 millions de dollars, soit 95 dollars par carat, en valeur corrigée de 2024.

Basé sur les données du Processus de Kimberley.

Les sanctions avaient été appliquées aux diamants du Zimbabwe à une époque où l’État bafouait les droits de l’Homme dans les champs diamantifères de Marange. La situation, qui avait débuté aux environs de 2006, a atteint un summum avec l’épisode tristement célèbre de la prise de contrôle de cette lucrative activité en 2008. Selon Human Rights Watch, les forces gouvernementales ont tué par balle environ 214 mineurs illégaux au cours de l’opération.

L’affaire a suscité de vifs débats au sein de l’industrie et a soulevé de nombreuses questions qui ne sont réellement abordées qu’aujourd’hui, avec les sanctions du G7 à l’encontre de la Russie.

Les discussions relatives au Zimbabwe ont démontré l’inefficacité du Kimberly Process (KP). Pour la première fois, l’organisme a été confronté à des diamants de conflit qui n’entraient pas dans le champ d’application de la définition en vigueur, à savoir celle des diamants utilisés par des groupes rebelles pour financer une guerre civile. Dans ce cas, il s’agissait d’un gouvernement accusé de perpétrer des atrocités.

Le débat sur l’élargissement de la définition des diamants de conflit perdure et le sujet demeure une pierre d’achoppement majeure lors des réunions intersessions et des séances plénières du KP, y compris en 2024.

La question du Zimbabwe a également mis en évidence les difficultés que rencontre le KP pour prendre des décisions. Le ministre des Mines de l’époque, Obert Mpofu, dont le nom a été retiré de la liste de l’OFAC, a habilement profité de la règle obligeant le KP à atteindre un consensus pour échapper aux sanctions du système de certification.

Les diamants du Zimbabwe ont ainsi pu recevoir le sceau du KP. Et tandis que les États-Unis appliquaient leurs sanctions, le Zimbabwe avait tout loisir d’expédier la production de Marange vers d’autres pays. Obert Mpofu savait très bien qu’il existait un marché en dehors des États-Unis, susceptible de lui apporter des fonds essentiels pour son pays enlisé dans la pauvreté. Quant aux professionnels du marché, avec leur appétit insatiable pour le brut à l’époque, ils ont acheté et investi sans compter.

La question s’est alors posée de savoir si l’on pouvait suivre les diamants du Zimbabwe tout au long de la chaîne de distribution. Cela aurait permis aux États-Unis de bloquer leurs expéditions de brut. Mais comment identifier le taillé transformé dans un pays tiers, à partir d’un brut issu du Zimbabwe ? Une situation qui vous rappelle sans doute quelque chose…

Pour la première fois, l’industrie s’est retrouvée confrontée au dilemme de la « transformation substantielle », même si le terme n’était pas employé tel quel à l’époque.

Un débat a eu lieu pour tenter d’identifier scientifiquement le taillé de Marange. Certains ont affirmé qu’à la différence des autres diamants, les pierres de Marange avaient une nuance de vert unique qui aurait permis de les distinguer, même une fois taillées. Mais même si c’était le cas, la méthode n’était pas infaillible et ne pouvait être considérée comme fiable.

En revanche, vers 2011, le marché a été sommé de séparer la production des différentes mines lors du processus de taille. De mémoire de journaliste, la réponse a été un non catégorique. Il a fallu attendre encore quelques années pour que l’état d’esprit change, avec l’évolution de la technologie Blockchain et le développement des systèmes de traçabilité.

Pourtant, les professionnels continuent de se montrer réticents à engager ces mesures, donc le problème du Zimbabwe est toujours d’actualité. La levée des sanctions sur les diamants du pays ne devrait pas leur ouvrir automatiquement la porte des États-Unis. Des questions restent en suspens, notamment la corruption et les violations des droits de l’Homme.

Onze personnes, dont le président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa et trois entités, ont été inscrites simultanément sur la liste des sanctions de l’OFAC, au titre de ces deux chefs d’accusation.

L’organisme a notamment accusé le président Mnangagwa de corruption en lien avec des réseaux de contrebande d’or et de diamants. Selon l’OFAC, il « protège les contrebandiers au Zimbabwe et emploie des fonctionnaires zimbabwéens pour faciliter la vente d’or et de diamants sur le marché noir, en échange de pots-de-vin. »

Avec la levée de l’intégralité des sanctions, les sociétés doivent mettre en place leurs propres méthodes de due diligence et décider si les marchandises de Marange répondent à leurs standards en matière d’éthique et de développement durable. En effet, la vérification de l’origine des diamants dépasse les aspects géopolitiques, même si ces questions sont sans conteste prépondérantes.

De façon assez symbolique, l’avis de levée des sanctions a été diffusé concomitamment avec une mise à jour des mesures de l’OFAC sur les diamants russes.

Peut-être peut-on y voir une sorte de passage de témoin ou un rappel subtil que, si l’industrie s’était montrée plus stricte vis-à-vis du Zimbabwe, elle ne rencontrerait pas les difficultés actuelles avec les sanctions du G7 sur les diamants russes.

Les deux cas semblent soulever les mêmes préoccupations et révéler les mêmes failles. Évidemment, le conflit entre la Russie et l’Ukraine est différent des atrocités perpétrées à Marange entre 2006 et 2008, mais un point commun demeure : l’emploi de fonds issus des ventes de diamants pour financer un « État voyou ».

L’industrie ne doit pas gérer la crise russe comme elle l’a fait pour le Zimbabwe. La principale différence réside dans l’ampleur de la production concernée.

Source Avi Krawitz