Diamants aux enchères, est-ce aussi bien qu’on le dit ?

Edahn Golan

Lorsqu’un article exceptionnel est exposé aux enchères et que le commissaire-priseur invite à faire monter les offres, le public qui se presse dans la grande salle est généralement tendu, excité, curieux et inquiet. [:]Les enchérisseurs sont généralement présents sur place et font parfois de petits gestes pour exprimer leur volonté d’enchérir. D’autres sont au téléphone, en communication avec le personnel de la maison d’enchères qui transmet leurs instructions au commissaire-priseur. Les enchérisseurs présents et ceux au téléphone sont généralement composés de négociants et de collectionneurs, qui achètent dans l’intention de revendre rapidement ou qui veulent conserver leurs achats dans la durée, motivés par les bénéfices, ou d’autres encore qui agissent pour l’amour des marchandises proposées. Chaque enchérisseur espère réaliser un achat intéressant, dans le cadre de son projet et de son budget.

La tension qui règne dans la salle d’enchères va bien au-delà de la simple question : « vais-je pouvoir acheter cet article ? » Certains voudraient assister à de nouveaux records de prix, ce qui pourrait stimuler les ventes des autres marchandises. Un autre groupe ressent également cette ébullition – celui des vendeurs, souvent anonymes. Eux aussi veulent voir les prix grimper. Le sentiment que ressent un vendeur, lorsque son article est sur le podium, peut être à l’origine d’une forte montée d’adrénaline.

La presse mondiale semble hypnotisée par les prix record obtenus pour des diamants aux enchères. Elle alimente ainsi la croyance selon laquelle c’est aux enchères que les prix flambent et que, si vous souhaitez vendre un article exceptionnel, vous obtiendrez le meilleur prix chez Christie’s ou Sotheby’s.

Toutefois, une question se pose : pour le vendeur, le chèque remis par les enchères sera-t-il le meilleur possible ? De plus, est-il possible que les modalités de vente des diamants par les maisons d’enchères atténuent en fait les hausses de prix ?

Le modèle de vente

Il existe principalement deux façons de vendre (et d’acheter) un diamant exceptionnel, de ceux que l’on associe généralement aux investissements, à savoir des diamants de qualité supérieure, qui atteignent des centaines de milliers, voire des millions de dollars : aux enchères ou chez des négociants.

Les maisons d’enchère vous font une proposition formidable : elles regroupent pour vous les plus gros acheteurs au monde. Autrement dit, ils vont se battre entre eux pour obtenir votre diamant – et ainsi faire grimper son prix. De plus, les résultats des enchères sont rendus publics. Vous connaissez donc le prix payé pour des diamants similaires au vôtre dans un passé récent. Vous obtenez ainsi une estimation réaliste du tarif que vous pourriez obtenir.

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Mais il ne faut pas vous contenter de ce chiffre. Tout d’abord, le prix définitif publié inclut le premium de l’acheteur, à savoir les frais qu’il règle à la maison d’enchères. Le vendeur règle également des frais à la maison d’enchères, ce qui réduit encore la somme qui lui est dévolue. 

Dans les grandes maisons d’enchères, les premiums des acheteurs vont de 12 % à 25 %, en fonction du prix d’adjudication – plus le prix est élevé, plus le premium est faible. Un prix d’adjudication d’un million de dollars est assorti d’un premium d’environ 20 % pour l’acheteur. Cela peut considérablement réduire les liquidités attendues. Ainsi, un diamant qui s’est vendu 1 million de dollars (avec le premium de l’acheteur) donne un prix d’adjudication de 833 333 dollars. Sur cette somme, la maison d’enchères prélève des frais de 20 % au vendeur, soit 166 666 dollars. Le total est ainsi ramené à 666 667 dollars. Certes, la somme n’est pas ridicule, mais elle équivaut toutefois à un tiers de moins que le montant qui apparaît dans la publication des résultats de l’enchère. 

Bien entendu, la maison d’enchères mérite d’être rémunérée pour le travail qu’elle effectue. Elle engage de fortes dépenses marketing pour faire la publicité de l’enchère. Elle imprime notamment un catalogue luxueux et joliment présenté, elle rassemble de grands acheteurs, elle règle les frais de sécurité et d’assurance, etc. De son point de vue, elle doit, pour couvrir ses frais, obtenir des revenus, ce qui est après tout son objectif.

Les enchères ont un autre aspect intéressant : le prix de réserve. Une fois le diamant évalué, la maison d’enchères fixe un prix de réserve. Il assure au vendeur que son article ne sera pas vendu pour un prix dérisoire. Néanmoins, cet outil peut être à double tranchant. Les acheteurs expérimentés, que sont d’ailleurs beaucoup d’acheteurs, affirment souvent que le prix de réserve est bas. Ainsi, bien souvent, les enchérisseurs ne se précipitent pas pour enchérir, en particulier si ce sont principalement des négociants.

Ce modèle plafonne-t-il les prix ?

Si le public est majoritairement composé de collectionneurs, n’importe quel négociant vous dira qu’il y a de fortes chances que les prix grimpent. N’oubliez pas, aussi connaisseurs et informés soient-ils, c’est l’amour des diamants qui motive les collectionneurs, et cela se traduit par une volonté de payer plus. Les négociants, quant à eux, gardent toujours la prochaine étape en tête, en se demandant : « combien pourrai-je revendre le diamant ? » À l’évidence, lorsque la foule est composée de négociants, les prix d’adjudication ont tendance à baisser.

Lorsque l’on observe les résultats des enchères, notre attention est attirée par les articles vedettes, ceux qui font l’objet d’une forte promotion. Mais une enchère propose généralement beaucoup d’autres articles. En étudiant les résultats d’une séance, il faut observer le prix de tous les diamants proposés. Même si les articles de première qualité peuvent atteindre des prix record, le résultat global risque d’être assez différent.

Les négociants et les collectionneurs avisés le savent, mieux vaut parfois faire profil bas. Ils comprennent que, lorsque le prix de réserve est bas, ils peuvent acheter un article exceptionnel à bon prix. La proposition semble intéressante : la maison d’enchères prélève des frais de 33 % et les acheteurs achètent des diamants à un prix raisonnable. Mais est-ce la meilleure proposition pour le vendeur, voire pour les investisseurs en diamants ?

Si la majorité des diamants mis aux enchères ont un prix de réserve et que la majorité des acheteurs achètent avec prudence, un faible prix de réserve peut-il donner un prix d’adjudication bas pour la majeure partie des articles ? Après tout, les maisons d’enchères cherchent davantage à vendre des articles provenant de collections et de successions que ceux des négociants. En effet, un négociant ne règle que quelques points en pourcentage pour la vente de ses diamants.

Pour la maison d’enchères, cette source de diamants est moins lucrative. Négociants et non-négociants diffèrent également à un autre égard : la somme d’informations disponibles. Les négociants qui sont spécialisés dans les marchandises haut-de-gamme sont souvent bien mieux informés sur les prix qui se pratiquent que les non-négociants. Une personne qui vend le gros diamant D/FL de sa grand-mère pourrait être éblouie par un prix qui n’impressionnera pas un négociant réellement au courant des prix du marché.

Il existe une alternative pour vendre ces diamants : se rendre directement chez le négociant. Bien sûr, certains obstacles sont évidents. Ainsi, un vendeur lambda ne connaît pas forcément de négociants spécialisés dans ce type de marchandises (ni aucun négociant en diamants, d’ailleurs). En outre, le contexte même des enchères et l’espoir d’atteindre un prix de vente élevé sont des facteurs très tentants. Or, n’importe quel détaillant spécialisé dans des marchandises haut-de-gamme peut présenter un client qui possède un article unique à un négociant sérieux, doté d’une excellente réputation. Certes, le négociant voudra pouvoir gagner de l’argent à la revente, mais sa marge sera bien inférieure aux 33 % réglés à une maison d’enchères. 

Faites le calcul vous-même : si nous reprenons le prix d’adjudication d’un million de dollars mentionné précédemment et que le négociant souhaite obtenir une marge de 15 %, il sera prêt à régler 850 000 dollars. Cela représente 183 334 dollars, soit 27,6 % de plus que ce que le vendeur obtiendrait d’une maison d’enchères. Et même si le négociant a des doutes et ne pense pouvoir revendre la pierre que 900 000 dollars, avec une marge de 15 %, cela laisse encore 765 000 dollars. Le vendeur reçoit toujours 100 000 dollars de plus qu’avec une maison d’enchères. Avantage supplémentaire, le négociant règle immédiatement. Les maisons d’enchères demandent parfois de patienter pendant quelques mois, le temps que les enchères aient lieu.

L’inconvénient, pour le vendeur, est qu’il peut avoir le sentiment d’être passé à côté d’un prix exceptionnel lors d’une enchère et de ne pas avoir ressenti l’excitation associée à cet événement. Pour le côté positif, une personne réaliste fera le calcul et sait qu’elle obtiendra un bon prix. Quant à l’excitation, une petite centaine de milliers d’euros devrait pouvoir vous assurer une montée d’adrénaline et une bonne bouteille de champagne pour célébrer l’occasion.

Source Idexonline