Diamantaires « d’entreprise »

Avi Krawitz

Cette année, la corporatisation de l’offre de brut a fait sonner l’alarme dans l’industrie diamantaire de gros. Soudainement, ce sont les sociétés publiques qui contrôlent la majorité de la production de brut, suite à l’opération de placement d’actions d’ALROSA en octobre et au rachat de la De Beers par Anglo American en 2012.[:] Et, de manière aussi soudaine, les fabricants sont obligés d’acheter selon une autre dynamique ˗ à leur grand désarroi.

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Il est étonnant que les fabricants soient aussi paniqués, étant donné que la restructuration du secteur minier des diamants est le fruit d’un long processus. Ils savent que les cadres des sociétés minières sont embauchés afin de regonfler la valeur de l’actionnariat et non le moral de l’industrie. Et la réalité est que, aujourd’hui, ces cadres doivent satisfaire un groupe d’actionnaires beaucoup plus large qu’auparavant – et beaucoup plus exigeant.

Ces changements étant devenus réalité, les diamantaires se lamentent qu’il n’y ait plus personne dans l’industrie pour s’occuper de leurs besoins. Leur assertion, selon laquelle les principaux fournisseurs de brut ne sont plus aussi chaleureux qu’avant envers leurs clients, peut tout autant être considérée comme hors sujet que vraie. L’activité des sociétés minières consiste à vendre des diamants, et elles essaieront d’obtenir le prix le plus élevé possible, afin d’engendrer des recettes et des bénéfices, ainsi que la confiance et la valeur de l’actionnariat – et non des sightholders.

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« Il est étonnant que les fabricants soient aussi paniqués, étant donné que la restructuration du secteur minier des diamants est le fruit d’un long processus. »

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Deux sociétés en particulier, la De Beers et ALROSA, qui contrôlent à elles deux 50 % de la production mondiale, arrivent à générer leurs propres bénéfices, en contraste avec les entreprises de fabrication, en grande partie familiales, qui essaient encore d’opérer dans une industrie traditionnelle. Les fabricants se retrouvent en conséquence à exercer leur propre influence sur le marché, soit en exigeant des offres de brut à des prix justes, soit en laissant les marchandises sur la table.

Ces derniers mois, les fabricants se sont fait entendre de manière efficace en refusant environ 15 à 25 % des marchandises lors des sights de septembre et d’octobre de la De Beers. Cette dernière a, par la suite, été obligée de baisser ses prix d’environ 3 à 5 % lors du sight de novembre la semaine dernière. Beaucoup de sightholders ont estimé que c’était trop peu, trop tard, étant donné le manque de corrélation entre les marchés du brut et du taillé. D’autres ont soupçonné que la De Beers voulait garantir une ambiance positive lors du sight, étant donné qu’il s’agissait du sight d’inauguration au Botswana. Comme l’a fait remarquer un sightholder basé à Anvers, « [la De Beers] ne voulait certainement pas que des refus viennent gâcher le succès du transfert de leur département de ventes de Londres. »

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Toujours est-il qu’on aime à croire que c’est la traditionnelle dynamique de l’offre et de la demande qui a obligé la De Beers à baisser ses prix, et qu’il revient aux sightholders de jouer de leur influence pour provoquer, à l’avenir, de nouveaux réajustements.  Autrement, les sights de la De Beers vont perdre de leur valeur – ce qui a été un sujet de plainte durant une grande partie de l’année 2013 – et des acteurs plus importants et mieux placés interviendront pour acheter la marchandise.

Déjà, ce mois-ci, le sightholder israélien EFD a annoncé qu’il avait renoncé à son statut de sightholder afin de poursuivre son propre chemin dans l’industrie diamantaire. EFD a refusé de faire un tout autre commentaire au sujet de sa décision. Un porte-parole de la De Beers a souligné que ceci était un cas isolé et que la De Beers n’avait pas reçu d’autres notifications de ce genre. Les fabricants sont quand même obligés de sortir des sentiers battus pour dégager de la rentabilité de leur approvisionnement de brut.

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« Les fabricants sont quand même obligés de sortir des sentiers battus pour dégager de la rentabilité de leur approvisionnement de brut. »

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La semaine dernière, Signet Jewelers a annoncé avoir acquis l’usine d’Exelco – un sightholder basé à Anvers – au Botswana. Certaines sources soulignent qu’Exelco continuera d’être approvisionné par la DTC Botswana et la De Beers International, comme dans le passé. La De Beers a confirmé que la vente de l’usine ne signifiait pas que Signet soit désormais un sightholder et que le joaillier devra tout de même faire une demande séparée pour pouvoir figurer dans un sight l’année prochaine. Lior Kunstler, partenaire d’Exelco, a refusé de faire des commentaires sur cet article, si ce n’est pour manifester sa satisfaction quant à l’acquisition.

Cette vente est tout de même révélatrice, même si elle impliquait l’un des plus importants sightholders. Tandis que les tentatives des sociétés minières pour augmenter les prix du brut continueront à réduire les marges de fabrication, ce sont les diamantaires capables de gagner de la valeur ailleurs dans la filière, qui seront les plus aptes à se procurer ce soi-disant brut non rentable.

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Signet a expliqué qu’il cherchait à considérablement faire progresser l’approvisionnement et la fabrication de son brut, et que l’acquisition de l’usine au Botswana représentait un facteur important dans la poursuite de cet objectif.

La société rejoint une liste impressionnante de détaillants de bijoux exerçant leur pouvoir dans le monde du brut. Prenez en compte que Chow Tai Fook, Chow Sang Sang, Tiffany & Co., Graff Diamonds, et Gitanjali Gems ont chacun un sight de la De Beers, ou même deux,  et plusieurs d’entre eux s’approvisionnent également auprès d’ALROSA et d’autres sociétés minières.

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« La société rejoint une liste impressionnante de détaillants de bijoux exerçant leur pouvoir dans le monde du brut. »

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Il est révélateur que la plupart de ces détaillants sont aussi des sociétés publiques, opérant dans un environnement d’actionnariat impitoyable. Ils ont besoin d’améliorer leurs marges en allant directement à la source et en se passant d’intermédiaire. Pourquoi acheter, pour leurs bijoux, du taillé dont le prix a été majoré à travers de nombreuses transactions depuis l’extraction du diamant, alors qu’ils peuvent gagner cette marge en se procurant du brut et en le taillant eux-mêmes ou à travers une co-entreprise ?

Pour les fabricants de gros, ceci signifie qu’ils rivalisent sur un terrain inégal, et il se peut qu’un système dualiste se soit développé dans la communauté des sightholders. On pourrait argumenter que les sociétés minières qui vendent leurs marchandises sur contrat pourraient baser leurs prix élevés du brut sur l’efficacité de la vente au détail du taillé obtenu, plutôt que sur celle du gros.

Par conséquent, les diamantaires se retrouvent dans un environnement difficile et se sentent quelque peu isolés, entre les entreprises minières et les détaillants. À présent, beaucoup cherchent à forger des alliances avec leurs clients afin de mieux gérer leur approvisionnement en brut. Il semble que ce soit ce qui ait incité l’opération Exelco-Signet.

Ceux qui n’ont pas la possibilité de le faire vont rapidement se rendre compte qu’ils vont devoir adopter une attitude similaire dans leur façon de faire des affaires, car il n’ y aura personne, en dehors d’eux-mêmes, pour s’occuper de leurs besoins. Franchement, dans le monde moderne des affaires, les choses devraient être ainsi. L’achat de brut – comme pour n’importe quelle autre marchandise – devrait être une négociation de prix, et non une aumône. Le rôle des fabricants sur le marché du brut devrait être de pousser cette négociation.

Les diamantaires ont toujours acheté des marchandises sur la base de leurs relations, et ils se sentent très à l’aise avec cela. C’est ce qui fait la force de leur activité. Si ce côté familial a été érodé avec leurs fournisseurs de brut, ils doivent alors trouver un moyen de redonner de la vitalité à cette relation selon leurs propres règles. Ou alors, ils devraient se concentrer sur la création de valeur à travers des relations ailleurs dans la filière. Comme l’offre de brut est de plus en plus dominée par les objectifs des entreprises et les besoins des actionnaires, les diamantaires n’ont pas à se sentir isolés comme c’est le cas actuellement. Mais, s’ils veulent subsister, ils doivent adapter leur pensée.

Source Rapaport