Dépasser les 4C pour accroître la valeur

Matteo Butera

Chaque diamant est une création unique de la nature. Les professionnels établissent son prix par un examen subjectif de ses caractéristiques physiques. [:]Pour pallier l’excès de subjectivité dans un marché en pleine croissance, le GIA a développé, à la fin des années 40, un ensemble de paramètres destiné à tous les experts. Ces paramètres ont rapidement été dénommés les « quatre C » (en raison des initiales des termes anglais taille, couleur, pureté et carats). La valeur d’un diamant est donc établie par la combinaison de ces paramètres.

Cette évaluation objective, basée sur des critères physiques, ne laisse que très peu de marge aux producteurs et négociants pour accroître la valeur de leurs produits. Ces dix dernières années, la De Beers a perdu son monopole et mis un terme à la publicité générique. L’industrie a dû élaborer une série de stratégies pour accroître la valeur des diamants et, surtout, créer un marché exclusif, suffisamment protégé, qui pourrait écarter les concurrents potentiels. Ces opérations ont ciblé quatre grands domaines, souvent inextricablement liés : la responsabilité sociale des entreprises (RSE), la provenance, l’image de marque et la traçabilité.

Du Kimberley Process à l’assurance positive

À la fin des années 90, le grand public a appris l’existence de conflits en Sierra Leone et en Angola, alimentés par la production et le commerce de diamants. Le secteur risquait alors une grave récession. Partout dans le monde, les clients ne se préoccupaient plus seulement de la qualité des pierres et des certifications gemmologiques. Ils entendaient se tenir éloignés de toute bague de fiançailles potentiellement entachée de sang. Nous savons tous comment l’industrie du diamant et des bijoux est parvenue à résoudre un problème qu’elle jugeait limité. Les diamants du conflit représentaient en effet une partie quasi-insignifiante de la production mondiale. Elle ne se sentait pas non plus directement concernée. Le secteur a donc travaillé à créer le World Diamond Council et le système de certification du Kimberley Process. Pourtant, nombreux sont ceux aujourd’hui à juger le KP incapable de promouvoir un marché éthique, et en premier lieu le très influent Rapaport. Mais quel est le lien avec la valeur des diamants ?

Du point de vue du consommateur, le Kimberley Process apporte une « assurance négative ». Un certificat du KP garantit simplement que les diamants commercialisés ne sont pas issus d’un conflit. Il ne précise rien sur les avantages éventuels que les travailleurs et les communautés locales pourraient retirer de ces diamants. De surcroît, pour entrer dans le circuit légal, un diamant se doit de posséder un certificat du KP, les consommateurs n’ont donc pas à faire la démarche de l’achat responsable.

Les producteurs ont par conséquent essayé d’attirer l’attention et, partant, le porte-monnaie des consommateurs, en proposant une série « d’assurances positives ». Ils entendent en cela garantir aux clients que les revenus issus des diamants serviront en partie à améliorer les conditions de vie des personnes et des communautés impliquées dans l’industrie et à protéger l’environnement. Quant à la responsabilité sociale des entreprises, elle a permis aux consommateurs d’assortir leur achat d’un geste éthique. Le KP a ainsi réussi à séparer les diamants du conflit (illégaux) des autres ; la RSE a instauré un système de discrimination sur le marché légal en informant les consommateurs des effets de leurs choix. De nombreux acheteurs de bijoux sont maintenant conscients du problème et prêts à payer un peu plus pour avoir la garantie d’un achat éthique.

Les questions de provenance

Depuis des décennies, le choix d’un diamant s’appuie sur les 4C. Aujourd’hui, un cinquième C est né, il s’agit du pays d’origine, à savoir le Canada.

Cette mention figure sur le site Web de Maple Leaf Diamonds. L’idée est simple, un code et une feuille d’érable sont gravés sur les diamants canadiens pour garantir leur provenance. Maple Leaf Diamonds n’est d’ailleurs pas le premier à avoir pris cette direction. Depuis au moins dix ans, les Canadiens gravent un ours polaire au laser pour attester de la provenance des diamants. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest leur a même accordé une certification officielle.

Mais le pays d’origine est-il si important pour les consommateurs ? L’affaire canadienne le confirme. Les diamants de ce pays se vendent 10 % à 15 % plus chers que les autres. Ce résultat est notamment le fruit d’une campagne publicitaire habile, qui associe garanties et glamour. L’appellation d’origine protégée permet aux clients d’identifier les diamants canadiens, des pierres de qualité, à l’éthique forte. Plusieurs points sont venus étayer cette thèse. D’après ce qu’affirme BHP Billiton à propos de ses diamants siglés Canadamark, nous comprenons que : 1) les mines canadiennes sont situées dans des zones inaccessibles du cercle polaire arctique, ils sont donc plus exclusifs et prestigieux que les produits équivalents ; 2) les diamants extraits au Canada sont, en moyenne, supérieurs aux autres ; 3) les lois canadiennes offrent les meilleures normes de protection et de sécurité sociale pour les employés ; 4) les Canadiens utilisent une technologie de pointe pour préserver l’environnement.

Un négociant prétendrait certainement qu’aucun de ces points ne suffirait à lui faire acheter un diamant canadien à un prix supérieur à la moyenne. En fin de compte, un diamant exploité dans des conditions difficiles n’est pas forcément plus exclusif. Aujourd’hui, la RSE et le respect de l’environnement sont une réalité pour la plupart des sociétés minières du diamant, de la Russie à l’Afrique en passant par l’Australie. La qualité moyenne d’une mine n’est pas nécessairement un indicateur de la qualité d’un bijou donné. Pourtant, l’appellation d’origine protégée canadienne a donné naissance à une niche de clients fidèles, présents dans toute l’Amérique du Nord. Ils achètent uniquement des bagues de fiançailles sur lesquelles sont gravés un ours polaire ou une feuille d’érable. Un joaillier américain haut de gamme comme Tiffany a même été convaincu de faire des investissements risqués au Canada, dans le projet de mine controversé de Jericho, qui n’a produit des diamants que pendant deux ans avant de fermer.

Les marques sont plus lisibles que les paramètres

Une marque géographique présente de nombreux intérêts. Ce n’est pourtant pas la seule raison pour laquelle elles sont utilisées dans le secteur. Le sentiment de confiance, de qualité et de prestige d’une marque sont bien plus prégnants.

Soyons francs, les consommateurs ont beaucoup de mal à comprendre les diamants. Les quatre C sont des paramètres assez complexes, qui tous contribuent à la valeur finale du produit. Les sociétés se servent de leurs marques pour présenter plus aisément leurs diamants, par exemple en comparant leur qualité à celle de la production totale. Forevermark affirme par exemple sur son site Web que ses diamants vont au-delà des 4C. Ils représentent le pourcentage supérieur de la production de la De Beers. Pour trouver des informations réelles sur le classement des diamants, il faut aller chercher plus loin dans le site Web. Ce principe est aussi appliqué par les sociétés de vente au détail, comme Blue Nile. La société présente ses diamants Signature comme « le pourcentage supérieur de tous les diamants dans le monde ».

Appliquer une marque de haut niveau à des diamants présente l’énorme avantage de préserver leur exclusivité en dépit de gros volumes de production. Quant à l’emploi des pourcentages (dont nous ne connaissons pas l’exactitude), ils permettent au client de chiffrer cette exclusivité.

Racontez-moi votre histoire

D’autres stratégies permettent d’améliorer la valeur des diamants. Ainsi, des numéros d’enregistrement permettent au client de retracer « l’histoire » du diamant quasiment jusqu’au jour de son extraction. Cette possibilité de connaître l’histoire d’un diamant influence largement la décision d’achat.

Les psychologues connaissent bien ce genre de comportement. Paul Bloom, professeur de psychologie à l’Université de Yale, a montré dans ses études que les gens sont bien plus attirés par l’histoire d’un objet que par sa beauté. Nous le savons, le marketing et la psychologie sont très liés. Un diamant avec une histoire se classe en tête de liste, peu importe si cette histoire est exactement la même que celle de milliers d’autres diamants intraçables.

Le vilain petit canard, les diamants synthétiques

Il faut aussi mentionner celui qui a toujours été considéré comme le paria du secteur : le diamant synthétique. Les sociétés minières espèrent reléguer son emploi aux applications industrielles. Plusieurs joailliers reconnaissent pourtant que les diamants synthétiques pourraient devenir attrayants pour un certain segment de clientèle : ceux qui, en dépit de toutes les garanties, ne sont pas encore convaincus que les questions comme les diamants du conflit ou l’écologie sont traitées comme il se doit. Les diamants synthétiques (ou de laboratoire, comme le disent les producteurs) ne sont pas suffisamment glamour, et ne le seront probablement jamais, pour nuire aux diamants naturels. Pourtant, ils se créent un créneau spécialisé sur le marché que des producteurs comme les Américains Gemesis et Chatham sont prêts à exploiter.

Conclusion : rassurer, garantir, tracer, simplifier

Les producteurs et les négociants doivent absolument s’assurer un segment de marché, dans un environnement de plus en plus varié et compétitif. Outre améliorer les caractéristiques physiques, il n’existe pas beaucoup de possibilités d’ajouter de la valeur aux diamants. Les publicitaires ont donc décidé d’axer leur stratégie marketing vers des aspects marginaux, qui présentent néanmoins la possibilité de mettre leurs marchandises en lumière. Pour l’instant, quatre stratégies complémentaires sont mises en œuvre : garanties éthiques, garanties sur la provenance, traçabilité et simplification des paramètres expliqués aux clients.

Les marques représentent certainement l’une des tendances les plus intéressantes de l’industrie contemporaine. Les sociétés doivent toutefois savoir qu’elles ne peuvent pas pousser trop loin cette pratique. Au final, tout est affaire d’exclusivité. Les consommateurs continueront à payer plus cher pour un diamant de marque si cela leur permet de distinguer leur achat de la grande majorité du marché. Réduisez cet écart, vous réduirez la valeur.

Source Rough & Polished