Comment vendre aux femmes qui achètent pour elles-mêmes

Leah Meirovich

Les femmes qui achètent leurs propres bijoux représentent un marché en croissance rapide mais les détaillants doivent repenser leur approche pour les attirer.

 

L’idée n’a rien d’innovant mais, dans l’industrie des bijoux, elle apparaît pratiquement comme une révolution. À la différence de quasiment tous les autres secteurs de retail de la mode et des accessoires, l’idée, pour les bijoutiers, de cibler les acheteuses, comme des consommatrices directes, n’a vraiment émergé qu’il y a deux ans.

Pourquoi ce segment solide et en croissance rapide a-t-il été ignoré pendant si longtemps ? Dans cette industrie dominée par les hommes – des propriétaires de boutiques aux designers, des commerciaux aux équipes marketing – l’idée bien ancrée que les hommes sont les principaux acheteurs s’est cristallisée sur des articles onéreux comme les bagues de fiançailles. 

Toutefois, les femmes ne sont plus des ménagères. Elles sont entrepreneures, professionnelles, propriétaires d’entreprises, elles ont des carrières bien établies. Non seulement elles veulent dépenser de l’argent pour elles-mêmes mais elles en ont également la possibilité. Le problème, c’est que pendant que l’époque changeait, les détaillants de bijoux – et leur marketing – n’évoluaient pas.

D’après une étude menée par MVI Marketing, plus de la moitié des femmes de la génération Y affirment être les principales acheteuses de bijoux de leur foyer. Au-delà de cela, les femmes ont la main sur plus de 20 000 milliards de dollars de dépenses mondiales et réalisent 85 % de tous les achats de marques, a déclaré Stephanie Holland, consultante en marketing, dans un récent webinaire organisé par Plumb Club, le groupe de l’industrie de la bijouterie. Stephanie Holland, qui a créé le blog She-conomy et est spécialisée dans le marketing à destination des femmes, a ajouté que dans les 10 prochaines années, les femmes contrôleraient plus des deux tiers de la richesse de consommation aux États-Unis. 

Si l’on se replace dans le contexte et si les détaillants de bijoux maintiennent la trajectoire marketing et commerciale suivie par le passé, sans tenir compte de la personne qui réalise effectivement l’achat, ils vont porter atteinte à leur activité et se couper d’une large part d’acheteurs potentiels. Lyst, une plate-forme internationale de recherche d’articles de mode, affirme que même si les femmes sont susceptibles de dépenser moins pour un article donné, elles achètent jusqu’à trois fois plus de bijoux que les hommes.

Mais remanier des habitudes bien ancrées n’est pas simple. Comment peut-on vendre aux femmes qui achètent pour elles-mêmes ? En premier lieu, il est impératif de bien comprendre leurs besoins et leurs désirs, et cela commence avant même qu’elles n’entrent dans la boutique. 

L’esthétique ou les sensations

Les détaillants doivent tenir compte de la différence d’état d’esprit entre les femmes et les hommes lorsqu’il s’agit d’acheter, explique Andrea Hill, PDG de Hill Management Group. Si les hommes appuient leurs achats davantage sur les performances ou le statut qu’ils peuvent leur conférer, les femmes agissent sur un plan plus émotionnel, explique Andrea Hill, dont la société propose des services de marketing, de conseil et autres à des PME. Les hommes ont tendance à acheter visuellement, ce qui explique qu’ils soient attirés par une publicité pour une voiture montrant une femme sexy, affirme-t-elle. Ces publicités associent le produit à la virilité. Toutefois, pour être attirée, une acheteuse veut savoir comment elle ou son aimé(e) se sentira avec le produit ou le lien qu’elle peut établir avec ce qui compte pour elle, d’après Andrea Hill. « Se contenter de présenter une image du bijou, de la voiture ou des vacances à la plage ne fonctionne pas aussi bien pour les femmes », explique-t-elle. En revanche, lui proposer une représentation d’elle-même portant le collier, alors qu’elle profite d’un instant passé avec sa famille ou au restaurant avec des amis est une bonne façon de conclure une vente. 

En quête du produit idéal

Les hommes achètent pour le côté utilitaire, ils sont concentrés sur l’achat, continue Andrea Hill. Ils ont un objectif, ils veulent entrer dans la boutique, obtenir ce dont ils ont besoin et ressortir, alors que les femmes sont plus intéressées par la quête.  « Pour les femmes, le shopping est une activité, pas simplement un objectif, précise-t-elle. Le but ultime n’est pas l’objet qu’elles finissent par acheter, c’est tout le plaisir qu’a représenté le processus. » 

C’est pourquoi les détaillants doivent trouver une façon de répondre au besoin des femmes de partir en quête du produit, et pas simplement à leur besoin d’acheter. Ils doivent créer une expérience qui suscitera l’intérêt et approfondira l’interaction avec la marque, affirme Andrea Hill. 

Restez subjectif

En matière d’informations, les hommes sont relativement simples, d’après Andrea Hill. Ils veulent des données objectives, par exemple sur le design ou les critères de fonctionnement du produit. En revanche, les femmes recherchent des informations objectives et subjectives, comme des indications émotionnelles et sociales. Les détaillants vont donc devoir permettre aux femmes de partager facilement leur expérience d’achat. « La femme de la génération Y n’est absolument pas gênée de dire à un vendeur : « Attendez, j’envoie une photo à ma meilleure amie pour voir ce qu’elle en pense », affirme Andrea Hill. Quant à la mère de cette femme, elle aussi souhaiterait probablement recevoir un avis de ses proches mais elle n’a pas l’habitude de prendre des photos de tout et rien… et il lui semble mal élevé de le faire alors qu’un vendeur est en train de la servir. » Lorsqu’un détaillant remarque une cliente qui achète un article onéreux et voit qu’elle n’est pas accompagnée, il peut très bien l’inciter à partager son coup de cœur et même l’aider à le faire, suggère Andrea Hill. Elle conseille de simplement poser la question : « Je vois que ces boucles d’oreilles vous plaisent, y a-t-il quelqu’un à qui vous souhaiteriez en envoyer une photo, pour avoir son avis ? Vous pouvez les remettre, je prendrai une photo avec votre téléphone et vous pourrez l’envoyer à qui vous voulez. »

Jouer avec l’espace

Les femmes n’apprécient pas l’ambiance des bijouteries, explique Andrea Hill. Alors que les hommes appréhendent souvent l’espace par compartiments, organisés et séquentiels – ce qui est le cas de la plupart des boutiques de bijouterie –, les femmes trouvent souvent cela ennuyeux. Elles ne veulent pas voir les bagues avec les bagues, les métaux avec les métaux, les diamants avec les diamants. Elles veulent des assortiments et observer comment les articles peuvent se marier. « La grande majorité des boutiques de bijouterie sont conçues selon la sensibilité des hommes, pas celle des femmes, fait remarquer Andrea Hill. Pour les femmes, la boutique de bijouterie ordinaire est un espace inanimé. Séparer les objets en vitrines et catégories distinctes n’a rien de vivant. Lorsqu’ils achètent, les hommes se montrent très linéaires, alors que les femmes sont très organiques. Pour elles, shopping rime avec créativité. » Mais surtout, les détaillants doivent parler aux femmes, leur demander ce qui compte vraiment pour elles et bien écouter leurs réponses. Même si une cliente veut un article bas-de-gamme et que vous souhaitez lui vendre une gamme supérieure, agissez par rapport à ses intérêts, conseille Andrea Hill. Si vous vous contentez de vendre un article supérieur et que cela ne lui apporte aucune valeur ajoutée, vous ratez le coche. « C’est l’acheteur qui définit la valeur, pas le vendeur, souligne-t-elle. Posez suffisamment de questions, écoutez bien, vous trouverez des façons d’augmenter vos ventes – mais pas nécessairement en faisant comme avant, changez d’état d’esprit. »

Source Rapaport

À lire sur le même thème (2013 et 2014) :
Avez-vous demandé aux femmes?
Diamants et désir en joaillerie

Selon leurs propres termes :

Près de 91 % des femmes considèrent que les publicitaires et les boutiques ne tissent pas de lien avec elles, a écrit Stephanie Holland, créatrice du blog She-conomy, dans un webinaire Plumb Club. Elles rencontrent peu de femmes qui travaillent dans des boutiques de joaillerie traditionnelles, elles ne trouvent pas beaucoup de variété dans les produits et elles jugent les boutiques intimidantes.

Entre janvier et mars 2019, un tiers des achats de bijoux en diamants aux États-Unis ont été réalisés par des femmes, d’après la Diamond Producers Association. 

● La principale raison évoquée par les femmes qui achètent elles-mêmes des bijoux (dans près de 60 % des cas) est « parce que c’est comme ça » ou « pour se faire plaisir », d’après une étude de MVI Marketing. 

Près de 75 % des femmes affirment être prêtes à se détourner des marques qui ne les écoutent pas, a indiqué Stephanie Holland. 

● Bien que 90 % des femmes préfèrent acheter dans une boutique physique, lorsqu’elles font des recherches en ligne, elles quittent immédiatement les sites Internet qui ne permettent pas de réaliser un achat, explique Andrea Hill, de Hill Management Group. 

Les femmes sont souvent soucieuses de leur budget et considèrent qu’une gamme de prix abordable pour un bijou va de 50 dollars à 2 000 dollars, indique Lyst, un programme de recherche d’articles de mode.