2018 : l’année des diamants synthétiques

Paul Zimnisky

Les flux d’actualité de l’industrie diamantaire en 2018 ont été dominés par la hausse de production des synthétiques, leur distribution et leur dynamique de tarification.[:] Plusieurs nouveaux acteurs se sont présentés sur le secteur, les capacités de production se sont améliorées et l’offre s’est adaptée. Rien que cette année, la différence de prix entre un synthétique générique de 1 carat et un diamant naturel comparable a augmenté de près de 50 % (l’écart, équivalent à 29 % en janvier, était monté à 42 % en novembre).

Fin mai, De Beers1, baromètre de l’industrie, a franchi le Rubicon en annonçant que la société entrerait dans le secteur des bijoux en synthétiques grâce à une filiale baptisée Lightbox. La démarche laisse présager une stratégie nuancée, dont l’objectif général est d’induire une différence, dans l’esprit des clients, entre diamants synthétiques et naturels. Fin septembre, le produit était proposé aux consommateurs, mais uniquement sur le site Internet de la société. Un pendentif d’un carat, particulièrement remarqué, était vendu 800 dollars (assortis de frais de sertissage minimes). À l’époque, un synthétique générique de 1 carat, de qualité équivalente, se vendait environ 3 700 dollars.

Au cours de la première semaine, la quasi-totalité des solitaires de 1 carat de Lightbox étaient vendus, si l’on en croit le site Internet de la société. Les sceptiques y ont vu la confirmation que Lightbox n’était qu’une stratégie de tarifs d’éviction, visant à abaisser le prix de marché des synthétiques et que De Beers ne disposait pas vraiment de stocks pour soutenir ce qui n’était qu’une façade.

D’après un représentant de Lightbox s’exprimant en octobre, la demande initiale pour les solitaires de 1 carat a dépassé les attentes, épuisant temporairement le produit (notons qu’une quantité importante de la demande initiale provenait de professionnels curieux). Il a également été noté que les articles seraient réachalandés à relativement court terme, la production de diamants de Lightbox étant un processus constant issu d’Element 6, la filiale de synthétiques de De Beers au Royaume-Uni.

La création d’un diamant brut synthétique de 2,5 carats (la grosseur approximative nécessaire pour obtenir du taillé de 1 carat) demande généralement de trois à quatre semaines, auxquelles s’ajoute le délai de taille du diamant et de fabrication du bijou. Début novembre, sur 43 articles Lightbox proposés, cinq étaient toujours épuisés. Il n’y avait qu’un seul solitaire de 1 carat disponible, un pendentif blanc taille princesse proposé à 900 dollars (800 dollars pour le diamant et 100 dollars pour le sertissage et la chaîne en argent sterling).

Dans le communiqué de presse initial sur Lightbox, De Beers faisait remarquer qu’une nouvelle installation d’Element 6, de 100 millions de dollars, était en cours de construction aux États-Unis afin d’assurer la production de diamants Lightbox. Avant cette année, les installations d’Element 6 au Royaume-Uni étaient exclusivement réservées à la R&D sur les synthétiques et à la production à des fins industrielles.

La structure américaine, située à la périphérie de Portland, dans l’Oregon, devrait produire plus de 500 000 carats de brut chaque année, dès le début de la prochaine décennie. Ce rendement permettra d’obtenir environ 200 000 carats de taillé par an. À ce rythme, et étant donné la structure tarifaire linéaire des diamants (200 dollars pour un quart de carat, 400 dollars pour un demi-carat, etc.), Lightbox devrait représenter une activité de 175 millions de dollars environ pour De Beers et sa société-mère Anglo American. Pour rappel, De Beers a atteint plus de 5,8 milliards de dollars de revenus en 2017 et représenté moins de 20 % de l’activité totale d’Anglo.

Le 31 octobre, un mois seulement après la sortie des diamants Lightbox sur le marché, Richline, un fabricant de bijoux détenu par Berkshire Hathaway (au NYSE : BRK-A) a annoncé que sa nouvelle gamme de synthétiques « Grown with Love » serait disponible pour cette saison des fêtes dans les grands magasins américains Macy’s (au NYSE : M) et JCPenney (au NYSE : JCP). Ce lancement est la première distribution à grande échelle de synthétiques chez un détaillant traditionnel. La gamme comprend notamment des bagues de fiançailles serties de diamants allant jusqu’à 3 carats.

Malgré l’initiative Lightbox de De Beers lancée quelques semaines seulement auparavant, la gamme Grown with Love est commercialisée à un tarif conforme aux prix appliqués aux synthétiques avant que De Beers n’arrive sur le marché. Ainsi, par exemple, JCPenney vend une bague avec un solitaire Grown with Love de 1 carat pour 3 750 dollars et de 1,5 carat pour 6 500 dollars, tous deux certifiés quasi-incolores et de pureté SI. Bien que les diamants Lightbox ne soient pas vendus, à dessein, avec un certificat, on estime qu’ils sont quasi-incolores, voire mieux, et de pureté VS, un cran au-dessus de SI.

Plusieurs autres nouveaux acteurs sont récemment entrés sur le marché des bijoux en synthétiques. La plupart visent des produits de bridal et des grosseurs supérieures à 1 carat, les deux domaines dans lesquels De Beers ne s’aventure pas, du moins au départ. Comme pour la stratégie Grown with Love, la plupart des nouveaux arrivants tentent de maintenir des tarifs conformes à ceux des diamants naturels, et non d’appliquer le modèle tarifaire linéaire du producteur à bas coût Lightbox. Cette méthode est courante dans le secteur luxe, où des tarifs supérieurs peuvent donner l’impression de valeur, de rareté et, avec un peu de chance, d’attractivité accrue.

Toutefois, la concurrence des producteurs à bas prix est inévitable, notamment en Asie. Actuellement, les producteurs de synthétiques chinois fabriquent des milliards de carats par an à des fins industrielles, principalement pour les abrasifs, mais il existe des sociétés qui font monter leur équipement en gamme pour produire des synthétiques plus gros, de qualité supérieure, adaptés aux bijoux. Ainsi, les systèmes hydrauliques, mais aussi de chauffage et de refroidissement des presses haute pression et haute température (HPHT) existantes s’améliorent sans cesse afin de supporter des cycles plus longs et de produire de plus gros diamants, de qualité supérieure.

Pour l’anecdote, certains producteurs en Chine vendent actuellement du brut quasi-incolore de 2 carats en pureté SI pour 300 dollars. Certains de ces producteurs vendent aussi du taillé. Par exemple, un diamant de 0,80 carat, taillé sur une pierre brute de 2 carats, est proposé pour 425 dollars. L’équivalent chez Lightbox est proposé à 640 dollars, si l’on tient compte de leur tarification linéaire de 800 dollars/ct.

Notons aussi que les producteurs à bas coût utilisent généralement le procédé HPHT pour produire des synthétiques et semblent pouvoir réaliser des grosseurs de brut maximales d’environ 2,5 carats ou juste en dessous, ce qui donne du taillé de 1 carat ou juste en dessous. En revanche, la plupart des start-ups occidentales utilisent la méthode du dépôt chimique en phase vapeur (CVD) et plusieurs producteurs semblent maintenant avoir la capacité de produire du brut bien au-delà de 5 carats.

Certaines des start-ups de CVD affichent des bénéfices d’exploitation d’environ 50 % à l’aide des tarifs supérieurs mentionnés ci-dessus pour du taillé de plus de 1 carat, la grosseur que ne proposent ni Lightbox ni les producteurs à bas coût de l’Est. Reste à savoir combien de temps cette fenêtre sera ouverte.

De surcroît, même s’il n’existe pas actuellement de concurrence de la part de Lightbox ou des producteurs à bas coût pour le taillé de plus de 1 carat, une question importante demeure : combien de consommateurs seront prêts à payer des milliers de dollars aujourd’hui pour un diamant dont l’offre n’est théoriquement pas assurée et qui ne détient potentiellement aucune valeur de revente ? La question mérite d’être posée, étant donné qu’un synthétique de qualité légèrement supérieure à la moyenne de 2 carats se vend actuellement plus de 10 000 dollars.2

Peut-être la gamme Grown with Love constituera-t-elle le premier intermédiaire fiable, capable de répondre à cette question, étant donné la distribution et la promotion massives dont elle bénéficie.

Source Rough&Polished


[1] De Beers appartient à 85 % à Anglo American PLC (au LSE : AAL) et à 15 % au gouvernement de la République du Botswana.

[2] Un synthétique G, VS1 de 2 carats est actuellement proposé 10 000 dollars sur Brilliant Earth. Un synthétique Grown with Love de 2 carats serti sur une bague en or blanc est actuellement proposé 11 950 dollars chez Macy’s.