Une éthique qui rapporte gros

Avi Krawitz

Deux grandes tendances prévalent actuellement sur le marché du diamant : la création de marques et la consommation éthique. Les sociétés de toute la filière feraient bien d’associer les deux. En fin de compte, la stratégie de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) d’une société, qui définit sa pratique éthique, devrait venir renforcer sa marque et non lui nuire. ‎
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Les questions posées lors de la récente conférence Rapaport sur le commerce équitable à Las Vegas sont donc pertinentes : quels sont les facteurs qui doivent motiver les activités d’une société en matière de RSE ? Les sociétés sont-elles vraiment animées de la volonté d’agir correctement ? Ou leur conscience sociale est-elle un moyen de donner plus de valeur à leur produit et de générer des recettes ?‎

Il faut préciser d’emblée que les deux concepts sont valables. Parfois, seul compte le résultat final. Mais n’oublions pas de mettre les objectifs de l’entreprise en perspective. En règle générale, la direction a pour principal but de générer des bénéfices pour ses actionnaires, à juste titre dans un monde de libre marché. Toute société devrait naturellement replacer son programme de RSE dans le contexte de ses capacités financières et du marché dans lequel elle évolue. ‎

La tendance consistant à appliquer une RSE est sans aucun doute positive. Un récent rapport de Research And Markets a estimé que le total des ventes de produits issus du commerce équitable au Royaume-Uni a progressé de 39 % ces cinq dernières années, pour atteindre 79,9 milliards de dollars (50,76 milliards GBP) en 2011. L’essor pourrait être similaire aux États-Unis. La forte propension des consommateurs à acheter des produits provenant de sources éthiques présente donc des opportunités imprévues de valeur ajoutée.

Elle génère également des défis pour l’industrie du diamant, compte tenu des préjugés souvent moins favorables répandus sur le marché. Le secteur doit se doter de moyens de réflexion dont le rôle serait de rassurer les consommateurs a priori, lorsque c’est possible, en particulier au vu des questions éthiques urgentes qui restent à régler.‎

Prenez les graves incidents de fraude révélés ces derniers mois, comme cela a été rappelé lors de la récente conférence sur la certification de Rapaport. L’International Gemological Institute (IGI) a signalé que plus de 500 diamants synthétiques CVD avaient récemment été envoyés sans déclaration à ses laboratoires par des sociétés ayant pignon sur rue. ‎Les diamants sont traités deux ou trois fois pour tromper les laboratoires et les amener à les classer comme des pierres naturelles ; les tailleurs retaillent des diamants de moindre qualité pour leur faire obtenir des classements de qualité supérieure et les vendre sur le marché. Ce ne sont là que quelques-uns des scénarios qui contribuent à diminuer la confiance des consommateurs dans le marché du diamant.

Se pose ensuite la question des droits de l’homme. Le Kimberley Process (KP), piégé par sa définition archaïque des diamants du conflit, n’est pas en mesure de s’assurer que le brut qui entre sur le marché n’est pas impliqué dans des violations des droits de l’homme ou ne finance pas les activités de gouvernements voyous, tels que ceux du Zimbabwe ou de la République démocratique du Congo (RDC). Le fait que les leaders de l’industrie du World Diamond Council (WDC) courtisent le Zimbabwe en participant au Forum international du diamant qui y a lieu le mois prochain ne contribue guère à atténuer les préoccupations. En fait, la situation confine au scandale. ‎

Pourtant, de plus en plus de consommateurs commencent à s’interroger ; les joailliers et diamantaires éthiques doivent donc bien connaître leurs sources et s’assurer que les produits qu’ils proposent ne sont pas liés à une infraction des droits de l’homme, à d’importants dégâts environnementaux, à des activités illégales ou à des sanctions imposées par les États-Unis ou l’UE. Ils doivent également vérifier que les diamants qu’ils vendent ont été correctement classés par les laboratoires et dûment déclarés comme pierres non traitées. ‎ ‎

Les différents acteurs de ce marché doivent reconnaître qu’eux seuls peuvent apporter de telles garanties et chacun doit donc assumer la responsabilité des diamants qu’il vend. Ils ne peuvent pas se reposer sur le KP, le WDC ou les laboratoires à ce sujet. Ils doivent aussi s’assurer que les diamants et les bénéfices qu’ils en tirent servent à faire naître des évolutions positives, en particulier dans les zones de conflit. ‎

Lors de la conférence, Martin Rapaport, président du Rapaport Group, a souligné que la manière la plus efficace de provoquer le changement social consiste à créer de la demande pour des produits éthiques.‎

‎« Il faut de la concurrence et il faut que le consommateur soit averti, qu’il sache qu’il peut acheter un diamant provenant d’une source éthique », a-t-il déclaré. « La concurrence et la loi du marché fonctionnent. Il existe certainement d’autres solutions, mais nous aimerions que ce soit la concurrence éthique qui fasse la loi sur ce secteur. »‎

Le Rapaport Group a lancé une campagne pour des bijoux éthiques (voir ‎www.ethicalpledge.com) et prévoit de lancer d’autres projets pour œuvrer dans ce sens. ‎

Plus les consommateurs savent qu’ils ont la possibilité d’acheter un diamant éthique, plus cette garantie prend de la valeur. Et plus les sociétés insistent pour appliquer les plus hautes normes éthiques sur le marché, plus ceux qui sont impliqués dans des pratiques inéquitables auront intérêt à changer leurs habitudes.‎

La De Beers a admis ce concept, passant d’un statut de commerçant axé sur le générique à celui de commerçant axé sur la marque. Charles Stanley, président de Forevermark États-Unis, a fait remarquer que la promesse éthique d’une société aura bien plus de valeur quand elle sera dictée par les besoins fondamentaux des consommateurs. Il a ajouté que Forevermark mise sur la montée en puissance de cette philosophie pour générer des ventes du produit.‎

Non pas que des marques comme Forevermark, CanadaMark de BHP Billiton ou d’autres fassent de leurs promesses éthiques le thème central de leurs campagnes marketing. Comme l’a déclaré Charles Stanley, la qualité et la longévité du diamant ont plus d’impact pour la vente. Mais la garantie éthique gagne en importance. « Il y a beaucoup d’altruisme dans ce que nous faisons », a-t-il expliqué. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir des problèmes. »

Certes, pour qu’un secteur parvienne à vendre un message d’amour et de confiance au même titre que son produit, les sociétés doivent être conscientes de leurs faiblesses. L’apathie éthique en est une. ‎

La loi du marché devrait toutefois permettre, au final, de prendre le train en marche. Les consommateurs méritent et exigent des produits honnêtes, issus d’un commerce équitable ; cela permettra que les engagements deviennent viables aussi bien socialement que financièrement. ‎L’adoption d’une stratégie RSE fiable, assortie d’engagements éthiques fermes, ne se limite pas à confirmer une attitude juste, elle génère aussi une valeur significative pour la société. Celles qui ne tiennent pas compte de ces questions risquent de voir leur marque perdre de leur superbe.‎

Source Rapaport