Situation de l’industrie diamantaire : qu’adviendra-t-il de l’approvisionnement ?

Michelle Graff

La crise économique de 2008, la Covid-19 et les sanctions imposées aux marchandises russes caractérisent une décennie intéressante pour l’offre de diamants naturels.

Tout comme le charbon, le pétrole et le gaz, les diamants sont une ressource non renouvelable. Créés sous une combinaison de chaleur et de pression intenses pendant des milliards d’années, rien n’est simple, ni dans leur formation ni dans leur remplacement.

« Chaque diamant que vous sortez du sol est un diamant de moins à découvrir», a déclaré Evan Smith, scientifique chercheur au Gemological Institute of America.

Pourtant, l’industrie n’a pas encore atteint le point d’épuisement de ses ressources. Il existe de vastes poches de terre partout sur la planète qui peuvent être des objectifs pour les recherches, explique Evan Smith. Une exploration est en cours dans des lieux éloignés comme la péninsule de Melville et l’île de Baffin à l’extrême nord de son pays, le Canada.

D’autres diamants pourraient aussi être enfouis en profondeur, sous un autre climat particulièrement froid, la Sibérie, et sous le plancher océanique.

Au sud de l’Équateur, une nation africaine pourrait devenir le seul pays au monde à accueillir les trois plus grands miniers – ALROSA, De Beers Group et Rio Tinto : l’Angola.

L’industrie doit maintenant déterminer si l’accès aux derniers gisements est viable, sur le plan économique et, dans certains cas, politique.

« Nous ne manquons pas nécessairement de diamants naturels, a expliqué Paul Zimnisky, analyste de l’industrie. Nous manquons de gisements rentables aux niveaux de prix actuels. »

L’avenir de l’offre russe est une autre cause d’incertitudes puisque l’un des plus gros producteurs au monde, ALROSA, a interdiction de commercer avec l’un des plus gros marchés de diamants au monde, les États-Unis.

Chaleur

Les chiffres de l’offre mondiale établis par le Kimberley Process (KP) depuis 2004 montrent que la production a d’abord atteint un pic, avec 176,7 millions de carats en 2005.

Elle est restée supérieure à 160 millions de carats en 2007 et 2008 avant de chuter de plus de 25 % en 2009 (120,2 millions de carats) en raison de la crise économique mondiale.

Olya Linde, associée dans la pratique « Énergie et ressources naturelles » de Bain and Co., l’une des auteurs du rapport diamantaire mondial de la société pour 2020-2021, a déclaré qu’avant la crise de 2008, l’industrie s’attendait à une forte croissance.

Une nouvelle classe moyenne arrivait en Chine et en Inde, ainsi que dans d’autres pays asiatiques, et les sociétés diamantaires étaient avides et désireuses de les convertir en nouveaux clients. Ils représentaient une source de croissance que l’industrie pensait ne pas pouvoir cultiver dans un marché américain déjà mature.

Ces grands espoirs ont fait naître de « nombreux projets dans la filière », explique Olya Linde, lesquels ont été mis en sommeil lorsque la demande et les prix ont chuté pendant la crise de 2008.

Alors que le monde repartait de l’avant, l’industrie a profité de ce que Paul Zimnisky qualifie de « boom » des achats de diamants par les consommateurs chinois. Le rebond a propulsé les prix des diamants à des niveaux historiques en 2011. Les investisseurs ont alors été attirés par des projets qui avaient été mis en pause pendant la crise.

En 2016 et 2017, trois nouvelles grandes mines commerciales sont entrées en service.

La plus grande d’entre elles, Gahcho Kué, une mine située dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada, était une joint-venture entre De Beers Canada et Mountain Province Diamonds. La mine devait produire 4,5 millions de carats par an mais, d’après De Beers, les 5 millions ont été dépassés dès les 10 premiers mois de fonctionnement, en 2017.

Les deux autres étaient la mine Renard au Québec, gérée par Stornoway Diamonds, et la mine Liqhobong Diamond au Lesotho, gérée par Firestone Diamonds (75 %) et le gouvernement du Lesotho (25 %).

Ces nouvelles mines ont apporté 150,9 millions de carats en 2017 – un niveau qui n’avait pas été atteint depuis 2008, d’après les statistiques du KP – et 148,4 millions de carats en 2018.

La production est retombée à 138,1 millions de carats l’année suivante, soit une baisse de 7 %, mais le niveau restait toujours bien supérieur à la plage de production de l’industrie entre 2011 et 2016.

Or, fin 2019, les médias se sont intéressés à un groupe de patients de Wuhan, en Chine, qui souffraient d’une maladie inconnue provoquant une montée en flèche de la température et des difficultés respiratoires.

Peu l’ont compris à l’époque mais ce nouveau coronavirus mettrait le monde entier à l’arrêt – y compris certaines mines de diamants – et monopoliserait les titres des journaux pendant les deux années à venir.

Pression


De Beers n’a pas souhaité fournir de commentaires pour cet article, faisant remarquer qu’il serait inapproprié d’évoquer les détails de la future production de diamants.

Mais dans un entretien de mai 2020 avec National Jewelers, Bruce Cleaver, le PDG de De Beers, avait bien évoqué les difficultés liées à la fermeture des mines de diamants, qu’il avait qualifiées « d’écosystèmes complexes ».

Pour choisir les mines qui devaient être fermées et la durée de la fermeture, De Beers a dû résoudre une équation difficile, a expliqué Bruce Cleaver : comment assurer la sécurité et la santé des travailleurs et des communautés avoisinant les mines sans pour autant faire disparaître leur unique source de revenus en fermant les structures qui les font vivre.

Les miniers du monde entier ont eu à affronter le même problème tout au long de l’année 2020. La production a chuté de 22 % en glissement annuel jusqu’à atteindre un plus bas historique de 107,3 millions de carats, d’après des statistiques du KP.

Les plus fortes baisses ont concerné la Russie, le Canada, le Botswana et l’Australie, a fait remarquer Bain dans son rapport.

D’après Bain, ALROSA a réduit la production de Botuobinskaya, d’Almazy, d’Anabara et de Jubilee, ainsi que celle de nombreuses petites mines. (ALROSA n’a pas apporté de commentaires pour cet article, compte tenu de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février.)

Au Botswana – la source de diamants la plus importante de De Beers, et de loin –, la production a plongé de 29 % sur l’année 2020, d’après ses chiffres de fin d’exercice.

La production du Canada a été mise à mal par la suspension temporaire des opérations de deux mines, Renard et Ekati. À leur réouverture, elles avaient changé de propriétaire, leur ancien détenteur, Dominion Diamond Mines, s’étant déclaré insolvable.

En Australie, les employés de la mine Argyle, située dans la partie occidentale du pays, ont sorti leur dernière production en novembre 2020.

La fermeture de cette mine, en service depuis 1983, a marqué la fin d’une époque, aussi bien d’un point de vue pratique que sentimental.

Au cours de ses trois dernières années de fonctionnement, Argyle a produit 14,1 millions de carats (2018), 13 millions de carats (2019) et près de 11 millions de carats en 2020, a déclaré Rio Tinto dans son rapport annuel pour 2020.

La mine a assuré 10 % de la production mondiale en 2020 et, d’après Rio Tinto, a été le plus gros producteur de diamants naturels de couleur au monde.

Même si la plupart des diamants produits par Argyle étaient de couleur brune, la mine est devenue célèbre pour ses pierres d’une exquise couleur rose, rouge ou violette – quoique relativement petits –, produits au fil des années.

Chaque année, Rio Tinto emmenait la plus belle de ces pierres pour une tournée internationale dans le cadre du tender des diamants roses d’Argyle.

Au fil des années, ces pierres fortement saturées sont devenues de plus en plus prisées des collectionneurs, leurs prix sont montés en flèche et elles sont apparues comme une marque de luxe à part entière. (Rio Tinto a littéralement transformé le nom Argyle Pink Diamonds en nom de marque dans son portefeuille.)

Un négociant de diamants ayant une grande attirance pour les diamants roses et violets d’Argyle a comparé la fermeture de la mine à « la mort d’un grand artiste », tandis que d’autres ont anticipé l’effet durable que la fermeture aurait sur l’offre internationale.

Comme l’a fait remarquer Olya Linde, associée chez Bain, il « n’est pas facile de remplacer » 11 millions de carats par an mais cela ne signifie pas que les sociétés ne sont pas prêtes à essayer, en particulier avec la hausse des prix du brut.

Temps

Après les fermetures liées à la Covid-19 en 2020, la demande de bijoux en diamants a rebondi plus rapidement que prévu, soutenue par l’impossibilité de dépenser son argent pour des expériences et des voyages et par l’attrait émotionnel des pierres.

Olya Linde affirme que tous les investissements réalisés par l’industrie ces dernières années pour assurer la narration et évoquer les émotions des diamants ont payé lorsque la pandémie a atteint son apogée.

« Les diamants éveillent nos émotions. Les publicitaires ont toujours parlé aux gens de liens émotionnels. Pendant la pandémie, les consommateurs se sont tournés vers ce sentiment. »

Une année 2020 particulièrement positive a débouché sur l’année 2021, également remarquable – ce qui ne manque pas de surprendre – pour les ventes de diamants.

Source National Jeweler


Photo © De Beers.