S’adapter à la nouvelle normalité de la Chine – Perspectives

Avi Krawitz

L’industrie diamantaire compte fortement sur le Nouvel An chinois et les récents événements de Shanghai n’ont rien pour inspirer confiance. Avec la chute des actions et la dépréciation du yuan face au dollar, de nouvelles craintes ont émergé à propos des perspectives de croissance de la Chine et de leur impact sur l’économie mondiale et sur le marché des diamants et des bijoux. [:]

L’indice composite de la bourse de Shanghai (Shanghai Stock Exchange, SSE) a plongé de 11 % au cours de la première semaine de 2016, puis de 7 % supplémentaires au cours des trois jours suivants, jusqu’au 13 janvier. Les ventes massives ont entraîné des ondes de choc sur d’autres marchés, le Dow Jones Industrial Average perdant 6 % au cours de la première semaine. Les cours du pétrole se sont également enfoncés, atteignant 30 dollars le baril.

La baisse est intervenue après des annonces de ralentissement de la production manufacturière chinoise en décembre, signalant un relâchement de la demande mondiale pour les produits de ce pays. Les actions ont également dégringolé, tandis que le gouvernement central orientait le yuan de plus de 1 % à la baisse pour aider les exportateurs et décourager la population chinoise d’acheter des dollars américains.

« Selon moi, les détaillants ne sont pas totalement certains de l’issue du Nouvel An chinois car ils ont maintenant à faire face à la dévaluation de la devise et aux incertitudes sur le marché boursier, a expliqué Ken Grant, un directeur de FDKG, cabinet de conseil et de recherche sur le secteur du luxe basé à Shanghai. Il est très difficile de prévoir ce qui se passe en Chine, en particulier dans ces conditions. »

La croissance économique du pays aurait ralenti, passant sous les 7 % en 2015 ; le gouvernement central a donc fait campagne auprès de ses citoyens pour qu’ils s’habituent à la « nouvelle normalité », a expliqué Ken Grant. Il a remarqué que les consommateurs s’habituaient progressivement à l’idée et prenaient confiance, prêts à dépenser, ce qui est de bon augure pour la saison. La seule mise en garde, a-t-il averti, tient au fait que leur confiance risque d’avoir été ébranlée par les ventes massives d’actions.

Une légère amélioration, mais une humeur maussade

Les baisses ont exacerbé les craintes que l’industrie diamantaire a traînées tout au long de 2015 : l’économie chinoise subit un basculement évident vers le bas. Anshul Mehta, responsable chez Rosy Blue, fabricant diamantaire de Mumbai, a signalé une légère amélioration de la demande chinoise avant la saison mais a souligné que les détaillants de bijoux n’avaient passé que des commandes sporadiques l’année dernière. La demande chinoise s’est limitée aux commandes et les achats pour le stock sont très limités, a-t-il averti.

Les joailliers chinois ont trop acheté en 2014 et leurs stocks sont suffisants pour les festivités du Nouvel An chinois – que l’on appelle également le festival du printemps –, qui commenceront le 8 février, a expliqué Anshul Mehta. En outre, a-t-il ajouté, les commandes pour la saison ont été passées avant la mi-décembre car les joailliers en avaient besoin assez tôt pour fabriquer les bijoux à temps pour février.

« Je ne constate pas de volonté particulière des détaillants chinois d’acheter des diamants, a ajouté Anshul Mehta. Nous ne sommes certainement pas au niveau que nous connaissions auparavant. »

Les acheteurs se montrent très prudents car les détaillants disposent d’un stock excédentaire et la demande des consommateurs a ralenti, a affirmé Ephraim Zion, le directeur général de Dehres Ltd, basée à Hong Kong, qui se spécialise dans les grosses pierres précieuses et les tailles et couleurs fantaisie.

Chow Tai Fook, le plus gros détaillant de bijoux de la région, a indiqué au cours de la semaine du 11 janvier que les ventes du groupe avaient perdu 11 % en glissement annuel au troisième trimestre fiscal clos le 31 décembre. Les ventes à Hong Kong et à Macao ont reculé de 20 %, tandis que les recettes provenant de Chine continentale ont baissé de 6 %. Luk Fook Holdings, l’un des cinq premiers joailliers, a annoncé des baisses encore plus importantes au cours de la même période.

Les premiers rapports financiers montrent également des résultats en recul chez les grands joailliers. Ephraim Zion maintient des attentes basses pour la saison, en particulier au vu de l’effondrement du marché boursier. Les tendances économiques mondiales n’aident pas non plus, notamment lorsque l’on tient compte de la plongée des cours du pétrole et de la baisse des autres matières premières et des devises, a-t-il ajouté. « Toutes ces évolutions ne sont pas de très bon augure pour Hong Kong ou la Chine, a expliqué Ephraim Zion. L’humeur est très maussade, les gens sont déprimés et, malheureusement, cela a un impact direct sur nous. »

En attendant les consommateurs

Étant donné cette prudence, les fabricants hésitent toujours à augmenter la production de taillé car ils ne sont pas sûrs des quantités dont les détaillants auront besoin pour leurs stocks après la saison. Pour faire face à l’excédent d’offre, qui était évident vers la fin de l’année 2014, ils ont maintenu une production environ 30 % à 50 % inférieure aux capacités pendant plus d’un an, ce qui a entraîné des pénuries dans certaines catégories, lesquelles apparaissent clairement aujourd’hui.

Bien que les prix du taillé se soient raffermis au quatrième trimestre 2015, Anshul Mehta a expliqué que l’augmentation était davantage la conséquence d’une offre limitée que d’une hausse de la demande. D’après lui, cette dynamique devrait se maintenir au premier semestre. Un Nouvel An chinois plus solide pourrait créer une certaine dynamique ; les négociants attendent de voir comment évoluera la consommation au cours des prochaines semaines.

Bien que la plupart des professionnels aient vu leurs attentes refroidies, Ken Grant estime que, si le marché boursier se stabilise en Chine, les consommateurs retrouveront un peu de la confiance perdue au cours de la semaine du 11 janvier. En outre, a-t-il remarqué, une grande partie des dépenses du festival du printemps se font avec de l’argent reçu en cadeau – connu sous le nom de hongbao –, une enveloppe rouge remplie d’espèces que l’on offre à ses proches. Les consommateurs pourraient avoir l’impression de ne pas dépenser leurs propres économies et se laisser tenter, a-t-il suggéré.

Toutefois, Ken Grant a émis un avertissement : si le marché boursier continue de plonger, les sommes données en cadeau pourraient diminuer, parallèlement à l’effet « richesse » des marchés boursiers sur le comportement des consommateurs. D’autant plus que ce sont généralement les gens plus âgés qui offrent des cadeaux, à savoir ceux qui sont le plus susceptible d’être exposés aux actions chinoises.

S’attendre à certaines dépenses

Ceci dit, Ken Grant prévoit une saison des fêtes à peu près conforme à celle de l’année dernière, qui a été décevante pour le secteur des bijoux. Il estime que les détaillants réalisent environ 20 % de leur chiffre d’affaires annuel au cours du festival, les ventes de bijoux étant principalement stimulées par les grands événements de la vie : le Nouvel An est une période propice aux réunions familiales. « C’est un bon moment pour annoncer des fiançailles ou organiser un mariage », a expliqué Ken Grant.

Les dépenses en Chine continentale pourraient également profiter d’un sursaut lié à une devise plus faible. Cela encourage les consommateurs à conserver des yuans plutôt que des dollars et à acheter localement au lieu de réaliser leurs achats de luxe à l’étranger.

Un virage a déjà pu être constaté dans les achats des touristes chinois. Ken Grant fait remarquer que les consommateurs choisissent des destinations plus proches, comme le Japon et la Corée du Sud, de préférence à l’Europe ou aux États-Unis, pour réaliser leurs achats de luxe. Ephraim Zion a ajouté que Hong Kong, qui a vu affluer les touristes chinois en quête de shopping ces 10 dernières années, a perdu de son attrait et l’effet a été dramatique sur le secteur du détail et l’ambiance dans la ville.

Toutefois, comme le souligne Ken Grant, les consommateurs chinois pourraient s’imaginer qu’il est plus facile et moins cher d’acheter dans leur pays cette année. Certes, le shopping a longtemps été le principal motif de leurs voyages mais aujourd’hui, davantage de touristes chinois se déplacent pour vivre une expérience. Ils échangent le centre commercial contre le musée, a-t-il expliqué.

Les consommateurs chinois, tout comme leurs homologues américains, réalisent également davantage d’achats en ligne que par le passé ; Ken Grant s’attend à un pic des transactions sur Internet au cours de la saison, après le succès de la campagne de la Journée des célibataires, le 11 novembre. L’arrivée des plates-formes de paiement comme Alipay et WeChat, l’équivalent chinois de WhatsApp, a aussi facilité les achats en ligne.

Des objectifs stimulés par la demande

Ces tendances pourraient figurer parmi les avantages à court terme des réformes lancées par le gouvernement, à mesure que l’économie chinoise passe, lentement et difficilement, d’un système reposant sur l’exportation à un système qui cible la consommation au niveau national.

Tout au long de cette transition, affirme Ken Grant, les marques peuvent toujours s’attendre à ce que les acheteurs de luxe soient toujours plus nombreux en Chine mais la facture moyenne devrait baisser. Cela pourrait être particulièrement vrai pour les bijoux en diamants : l’habitude d’acheter des diamants et des bagues en diamants continue de se développer dans le pays.

Pour tirer parti de cette tendance, Ephraim Zion a souligné la nécessité de stimuler la demande grâce à des campagnes de publicité et d’information ; il est encouragé en cela par le programme de marketing générique de la De Beers lancé en Chine avant le festival du printemps. Il s’attend d’ailleurs à ce que la société, conjointement à la Diamond Producers Association, augmente ses dépenses publicitaires l’année prochaine.

Cela pourrait aider les détaillants de bijoux chinois à réduire leurs stocks et à revenir sur le marché pour se réapprovisionner. L’industrie diamantaire pourrait ainsi passer plus facilement d’un marché axé sur l’offre, soutenu par les pénuries, à un marché stimulé par la demande. Le secteur espère que le festival du printemps étaye cet effort, au moins à court terme.

« Tout dépend du Nouvel An chinois, a expliqué Anshul Mehta. Si la saison se passe bien, les prix vont grimper en flèche car il y aura de nouvelles pénuries et la confiance va se renforcer, pour finir par stimuler l’offre et satisfaire une nouvelle demande. Si ce n’est pas le cas, cela pourrait nuire à la stabilité du marché. »

Au cours de cette nouvelle « Année du singe », l’industrie diamantaire espère que la Chine contribuera à souffler un vent de normalité sur le marché, de la même façon que le pays s’adapte de lui-même à une nouvelle normalité, assez volatile.

Source Rapaport