Rendre le luxe plus abordable en Chine

Avi Krawitz

Les négociants de diamants considèrent toujours la Chine comme le moteur de la croissance de l’industrie mais le gouvernement du président Xi Jinping peut faire davantage pour encourager son développement. [:]Tandis que le pays s’oriente vers une économie basée sur la consommation, les produits de luxe comme les bijoux sont jugés onéreux et obligent les acheteurs à se tourner vers l’étranger pour acheter.

Cela a fait naître de nouvelles opportunités commerciales car la demande de bijoux chinois devrait augmenter sur trois plates-formes importantes : les ventes domestiques, le commerce électronique et les dépenses des touristes. Or, les deux dernières semblent être une source de tension pour les autorités du pays qui veulent encourager la consommation nationale. Après tout, l’objectif déclaré du président Xi Jinping est de transformer la Chine en la faisant évoluer d’une économie axée sur les infrastructures et les exportations vers un système centré sur le consommateur.

La toute dernière initiative de la Chine pour augmenter les taxes sur les produits achetés sur des sites Internet étrangers – ce que l’on appelle le commerce électronique transfrontalier – peut être assimilée à l’intervention du gouvernement et avoir des effets négatifs sur l’industrie de la joaillerie. La politique entrée en vigueur le 8 avril a entraîné une augmentation des taxes sur les bijoux de 10 % à 15 %, et de 30 % à 60 % sur les montres.

La Chine est de loin le plus gros marché au monde pour la vente de détail en ligne, avec un chiffre d’affaires de 630 milliards de dollars en 2015, selon les estimations de McKinsey. Ramener les transactions vers des sites Internet locaux représente donc une part importante des objectifs du gouvernement afin de favoriser la consommation nationale.

Il semble toutefois que la stratégie du gouvernement vise plutôt à rendre les achats à l’étranger plus coûteux. Pourtant, il serait peut-être plus efficace de s’attaquer au principal motif qui amène les consommateurs chinois à acheter leurs articles de luxe à l’étranger : ces produits sont tout simplement plus chers en Chine.

Fixer le prix d’un produit sur le marché chinois est un vrai défi dans le secteur du luxe à cause de l’importante différence de prix existant sur des produits identiques vendus en Chine et à l’étranger, ont expliqué Fang Gong et Daniel Zipser, responsables de McKinsey, dans un podcast récent.

« Les consommateurs chinois susceptibles d’acheter les produits lorsqu’ils voyagent à l’étranger ou qui peuvent utiliser des sites de commerce électronique transfrontaliers pour les obtenir, profitent d’un avantage certain sur les prix », ont affirmé les deux économistes.

Les produits vendus sur le marché national chinois sont probablement plus chers en raison des taxes et des droits de douane élevés imposés aux articles importés et vendus dans le pays.

Selon le Hong Kong Trade and Development Council (HKTDC), une taxe à la consommation de 5 % à 10 % est imposée aux bijoux vendus en Chine. Des droits d’importation allant jusqu’à 35 % sont facturés sur les bijoux ou les métaux précieux. En ce qui concerne le taillé, la Shanghai Diamond Exchange (SDE), le passage obligé pour faire entrer des diamants en Chine, impose une taxe de 4 % à l’importation. De plus, la taxe à la consommation sur le taillé et les bijoux en diamants vendus au détail est de 5 %, selon le site Internet de la SDE.

Une réduction de ces taxes aiderait à combler les écarts de prix entre des produits similaires vendus sur les marchés chinois et étrangers. Cela encouragerait également une consommation nationale. Pour l’heure, les acheteurs chinois continuent de chercher des alternatives.

La contribution qu’ils apportent aux résultats des détaillants étrangers est évidente, notamment après un changement dans leurs comportements d’achats lié à un recul de la devise.

Lorsque les autorités chinoises ont dévalué le yuan l’année dernière, principalement pour stimuler les exportations, cela a rendu les achats à l’étranger plus chers pour les touristes chinois. L’impact s’est fait lourdement sentir lors de la dernière série de publications des gains des détaillants de luxe.

« Nous avons constaté une décélération nette des dépenses des touristes chinois au quatrième trimestre sur tout le continent américain, mais également dans la plupart des autres régions », a expliqué Frédéric Cumenal, président-directeur général de Tiffany & Co., pendant la présentation des gains du quatrième trimestre de la société au mois de mars.

Tiffany, comme d’autres dans le secteur du luxe, a remarqué une évolution dans le comportement des touristes chinois. Bien que LVMH ait assisté à un ralentissement des dépenses des touristes sur le continent américain, en Europe, et tout particulièrement à Hong Kong et à Macao au cours du premier trimestre, les ventes ont augmenté sur les marchés comme le Japon et la Corée du Sud, où les taux de change étaient plus favorables aux visiteurs chinois. Plutôt que d’acheter chez eux lorsque le yuan s’est déprécié face au dollar, les touristes se sont tournés vers des marchés où il était possible de s’affranchir de la force du billet vert.

Les achats restent un élément clé dans le choix de destinations des touristes chinois. Selon McKinsey, plus de 100 millions de voyages à l’étranger sont effectués chaque année au départ de Chine et près d’un tiers de ces voyageurs choisissent leur destination en fonction des boutiques.

C’est un véritable défi pour les joailliers locaux. Chow Tai Fook a annoncé que ses ventes en Chine continentale subissaient les effets d’un « exode de la consommation lors des vacances, suite à une augmentation des voyages à l’étranger » pendant le trimestre du Nouvel An chinois (de janvier à mars). La dégradation de l’humeur des consommateurs face aux produits de luxe, sur fond de ralentissement de la croissance économique, a aussi joué, d’après le joaillier.

Alors que les chaînes de bijoux locales, comme Chow Tai Fook et Luk Fook appliquent une stratégie d’expansion agressive en Chine, peut-être devraient-elles chercher à l’étranger des opportunités de croissance. Une fois de plus, la fixation des prix risque d’être difficile dans ce cas-là, comme pour les marques de luxe qui tentent de s’implanter en Chine.

D’une façon ou d’une autre, le gouvernement chinois doit favoriser la consommation nationale plutôt que de décourager les achats à l’étranger. Les deux démarches ne sont pas antinomiques. Les touristes chinois qui partent à l’étranger seront toujours plus nombreux, quelles que soient les tendances d’achat, car les personnes aux revenus moyens à supérieurs recherchent de nouvelles expériences. Mais elles continueront d’acheter à l’occasion de ces voyages.

La décision d’augmenter les taxes sur le commerce électronique transfrontalier est peut-être le signe d’une approche malavisée. Pour encourager davantage la consommation nationale, en particulier celle des produits de luxe, le gouvernement devrait abaisser les taxes et les droits de douane imposés à ces produits et encourager les détaillants à fixer des prix concurrentiels au plan international.

Cela permettrait de meilleures ventes dans le pays, alors que les voyages touristiques continueront d’augmenter. Ce serait aussi certainement un atout pour l’industrie des diamants et des bijoux, qui pourrait tirer parti d’une croissance à deux visages. De cette façon, les consommateurs chinois conserveraient la clé de la croissance de l’industrie des diamants et des bijoux, même pendant la difficile transition économique de leur pays.

Source Rapaport