Réminiscences de 2008

Avi Krawitz

Le communiqué publié cette semaine par l’industrie indienne avait comme un goût amer de 2008. Le Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) n’est pas parvenu à faire cesser toutes les importations de brut dans le pays, comme il l’a fait en réponse à la crise de 2008.[:] Le groupe a pourtant indiqué que les fabricants indiens, de taille moyenne à grande, avaient sensiblement réduit leur production de taillé, dans l’attente du quatrième trimestre.

Selon le GJEPC, les fabricants cherchent à optimiser leurs stocks, donc à améliorer leurs liquidités. Pour y parvenir, ils espèrent induire une hausse des prix du taillé ou une réduction des prix du brut, voire les deux. Même si ce n’était pas clairement indiqué, l’organisme conseillait aux fabricants indiens de cesser d’acheter du brut onéreux et peu rentable.

Mieux vaut tard que jamais. Espérons qu’ils suivent la consigne. Après tout, beaucoup pointent du doigt les fabricants indiens, de même que les banques qui les ont soutenus. Ils les tiennent pour les premiers responsables de la hausse des prix du brut, ces cinq dernières années.

En 2013, les fabricants indiens sont confrontés à une roupie faible, un financement bancaire réduit et un ralentissement de la demande, du moins en Inde et en Chine. Ils ne peuvent plus maintenir leurs niveaux d’achat de brut aux prix en vigueur. Ils se retrouvent tout simplement à court d’argent.

Dans le contexte actuel de quasi-crise, le GJEPC a rencontré des diamantaires de premier plan, en septembre, et créé un comité consultatif sur le commerce. L’objectif était d’apporter une réponse adaptée au problème de la taille, « qui a récemment affecté la rentabilité et les perspectives de croissance de l’industrie. » Le GJEPC a notamment souligné l’absence continue de rentabilité pour la taille de diamants de moins de 0,30 carat.

Le calendrier était peut-être délibéré. La déclaration a été publiée avant le sight de la De Beers de cette semaine. Le minier a en effet réduit les prix des boîtes indiennes les moins chères, qui seront transformées en taillé de moins de 0,30 carat, non rentable. Mais la société a plus probablement entendu le message lors du sight d’août, dont 20 % environ des marchandises ont été refusés par les sightholders. Les premiers commentaires à la sortie du sight de cette semaine étaient plus positifs. Toutefois, les sightholders restent frustrés et prudents ; d’autres refus étaient attendus au moment où nous mettions sous presse.

Au contraire, l’engagement du GJEPC se présente comme une déclaration d’intention. Les fabricants indiens ne peuvent plus assumer les prix de la De Beers, ni d’autres sociétés minières. Leurs banques ne financeront plus d’achats qui ne sont pas rentables. Après tout, chacun travaille pour gagner de l’argent.

Or, la fabrication est déjà réduite et devrait descendre de 30 % à 50 % en dessous de la normale au cours du quatrième trimestre. Quelles seront les conséquences pour les marchés locaux et mondiaux ? En quoi cette baisse des capacités affectera-t-elle l’emploi chez les fabricants ? Entraînera-t-elle des licenciements massifs à Surat ? L’Inde perdra-t-elle des parts du marché de la fabrication ? Et, à plus court terme, les marchandises seront-elles suffisantes pendant la période des Fêtes ?

Dès juillet, des rapports montraient que près de 25 000 travailleurs avaient perdu leur emploi après la forte chute de la roupie. Les achats de brut étaient devenus bien plus coûteux pour les petits fabricants qui achètent sur le marché secondaire, en monnaie locale. À l’époque, The Times of India a rapporté que près de 1 200 petites structures avaient fermé leurs portes. Les travailleurs qui quittent l’industrie ne sont jamais faciles à remplacer et rechignent à y revenir.

Un représentant du GJEPC a déclaré à Rapaport News que la baisse des niveaux de production n’entraînerait pas de licenciements massifs cette fois-ci. Au contraire, selon lui, les travailleurs vont réduire leurs heures. D’ailleurs, la plupart des usines ferment ou limitent considérablement leur capacité pendant la majeure partie du mois de novembre, pour les fêtes de Diwali.

Cependant, d’après les fabricants, il y a suffisamment de marchandises sur le marché pour répondre à la demande. Certes, la demande en Inde, surtout axée sur les petits diamants de moindre qualité, est en recul et le pays espère peu de la saison de Diwali. La production de masse dans cette catégorie devrait donc être la plus touchée. Même si la demande pour les 0,30 carat à 0,50 carat reste forte, tirée par une demande stable des États-Unis et de l’Extrême-Orient, les fabricants ne devraient pas réduire ce type de production avant ou pendant les fêtes de Noël et du Nouvel An chinois. Ces marchandises ont été relativement rentables pour les fabricants cette année. La De Beers, quant à elle, se sentait suffisamment en confiance cette semaine pour augmenter les prix du brut nécessaire à la fabrication de ces catégories.

Par ailleurs, cette baisse de régime pourrait masquer une tentative de générer une pénurie. Les prix du taillé pourraient ainsi grimper, à l’époque de l’année où la demande atteint son apogée. Il y a peu de chance que la stratégie réussisse, tant que la demande reste faible. Les fabricants espèrent finalement réduire des stocks de taillé relativement importants, les grossistes et les détaillants n’ayant pas souhaité accumuler de marchandises de leur côté. La demande est actuellement sélective, spécifique aux commandes qui précèdent la saison des fêtes, comme on l’a vu d’ailleurs tout au long de l’année.

Il est donc difficile d’établir des comparaisons avec 2008, où la débâcle était plus complète et plus généralisée. À l’époque, l’Inde avait interrompu ses importations de brut pendant environ un mois suite à l’effondrement du marché. Le pays en est sorti renforcé et doté de plus de liquidités que ses pairs, qui ont continué à acheter du brut. Aujourd’hui, la plupart des difficultés de l’Inde lui sont spécifiques. Certes, les prix du brut touchent tout le secteur, mais l’Inde y est plus exposée, compte tenu de l’échelle de son activité de fabrication. La faiblesse de la roupie et les politiques gouvernementales prohibitives la concernent aussi exclusivement ; quant aux banques, elles ne se montrent plus aussi libérales qu’avant en matière de prêts.

Ainsi, dans un ton qui rappelle 2008, le GJEPC a montré combien la position de l’Inde est désastreuse. Il n’en faut pas plus pour faire frissonner n’importe quel fabricant ou négociant qui a réussi à se sortir de la crise. Ces mesures, dites d’austérité, constituent une tentative désespérée pour éviter de retomber à ce niveau et restaurer la croissance.

« Notons que l’industrie avait volontairement décidé d’interrompre les importations de brut pendant une brève période en 2008, en raison de la récession et de la crise financière, a écrit le GJEPC dans sa déclaration. Nous exhortons toutes les parties prenantes de l’industrie à agir de façon responsable, en suivant le scénario actuel. Elles doivent s’assurer que leurs actions ne dégradent pas notre industrie nationale à long terme. »

Cet appel du pied s’adresse à la De Beers, pour l’exhorter à aligner ses prix du brut sur le reste du marché. Le message est surtout destiné aux membres du GJEPC dans le secteur de la fabrication, afin qu’ils exercent leur influence collective sur les prix du brut. S’ils réduisent la fabrication et, par défaut, leurs achats de brut, les prix devraient baisser. La stratégie a sorti l’industrie de l’Inde de la crise en 2008. Voyons s’il en ira de même cette fois-ci.

Source Rapaport