Réflexions estivales sur l’industrie diamantaire

Elena Levina

L’été est la période la plus ennuyeuse pour un journaliste diamantaire. Il n’y a quasiment aucune actualité, en particulier en ce moment, tous les principaux acteurs ayant déjà affirmé qu’ils ne s’attendaient à aucun changement sur le marché avant la fin de l’année.[:]

Nous avons décidé de profiter de cette pause pour réfléchir aux problèmes du marché diamantaire bien moins souvent abordés dans les médias que la question des prix et de la demande.

Une surprise agréable peut être synonyme de problèmes

Dès le tout début du mois de janvier, le marché diamantaire connaît une certaine excitation : les ventes sont meilleures que prévu, alors qu’à la fin de l’année dernière, la demande semblait moribonde. Les uns après les autres, les détaillants de bijoux ont annoncé des ventes en baisse. Les sociétés minières se sont dépêchées d’élaborer des plans pour réduire la production et se sont arraché les cheveux pour apprendre à vivre avec des prix en baisse. Toutefois, l’apocalypse n’a pas eu lieu ! La De Beers et ALROSA publient des ventes encore meilleures que début 2015. Le taillé continue de se vendre, sans que les prix baissent. Tous affirment avec excitation que le début de l’année dépasse toutes les attentes, même les plus hautes. N’y a-t-il pas là raison d’espérer, même avec prudence ?

Stop. Derrière cet optimisme établi depuis six mois, un petit détail nous a échappé, qui a son importance : il se trouve qu’aucun des acteurs du marché n’a su prévoir cette hausse de la demande.

On compte au moins sept grandes sociétés minières qui travaillent sur le marché mondial du diamant (sans compter les plus petites). Chacune a peut-être son équipe d’analystes et d’experts du marché. Mais toutes ont affirmé qu’elles ne prévoyaient pas d’aussi bonnes ventes pour ces six mois.

Des centaines de négociants et de tailleurs évoluent sur ce marché à l’international. La plupart ne sont pas des novices et exercent depuis leur plus jeune âge. Mais à la fin de l’année dernière, aucune de ces sociétés n’a affirmé que le marché aurait des raisons d’être optimiste.

Et bien sûr, il y a des centaines d’analystes indépendants des banques et de l’industrie qui s’intéressent à ce secteur. Mais ils ont tous écrit dans leurs rapports (à quelques exceptions près) qu’ils maintenaient des prévisions prudentes et prévoyaient un début d’année 2016 conforme à la tendance de 2015.

Toutefois, en termes de demande, notre marché est celui qui s’éloigne le plus du concept de roulette russe. Ce n’est pas le marché de l’or, qui dépend de l’humeur du jour des investisseurs et des spéculateurs. Le marché diamantaire suit des tendances saisonnières assez claires, liées aux grands fêtes et à la saison des mariages. En été, on assiste toujours à une accalmie. En automne, le rythme s’accélère et le gros des ventes a lieu en novembre et décembre. Dès janvier, les diamantaires commencent à se réapprovisionner après avoir vendu toutes leurs marchandises pour Noël et la Saint-Valentin. Cette tendance est aussi vieille que la tradition d’offrir des bijoux à sa bien-aimée.

Néanmoins, ces dernières années, la phrase « Nous ne ferons pas de prévisions » se fait entendre sur le marché plus souvent que le mot « mazal ». Certains journalistes de l’industrie en plaisantent : leurs questions sur les perspectives semblent perçues comme indécentes. « Prévisions prudentes » et « situation stable », tels sont les nouveaux leitmotivs de notre époque. Pour les sociétés minières, il paraît plus facile de ne faire aucune prévision et de travailler comme les aéroports, « en fonction des conditions météorologiques ». Et si vous vendez plus, réjouissez-vous !

Les diamantaires ne connaissent pas les projets précis des producteurs. Mais ils constatent la situation sur le marché et se souviennent bien des crises passées, au cours desquelles les producteurs ont commencé à imposer une hausse des prix du brut dès les premiers signes de reprise du marché. Dans ces circonstances, les diamantaires n’ont globalement pas le choix : ils doivent acheter autant de brut que possible dès le début de l’année, pendant que les prix sont encore bas. Mieux vaut ensuite l’oublier dans le stock, en attendant de pouvoir l’utiliser. Le premier semestre semble suivre ce scénario à la lettre car la fabrication n’augmente pas aussi vite que les ventes de brut.

Il existe une fable bien connue du folklore russe à propos d’un cygne, d’une écrevisse et d’un brochet à qui l’on demande de tirer une charrette remplie de provisions. Ne parvenant pas à s’entendre, ils commencent à tirer la charrette dans différentes directions. Conséquence, tous sont épuisés, terriblement fatigués mais la charrette n’a pas bougé d’un iota. Le marché diamantaire actuel me rappelle ce conte pour enfants. Tout le monde veut vraiment que la situation s’améliore mais, sans connaître la direction à prendre et sans dialogue, nous continuerons à faire du sur-place.

Les diamants dans le flou de l’information

Les tentatives pour prédire et expliquer la moindre chose dans l’industrie diamantaire sont totalement noyées sous un flux d’informations négatives.

Le marché diamantaire mondial est très petit. La production annuelle de brut est estimée aux environs de 15 milliards de dollars, avec des ventes de bijoux de l’ordre de 80 milliards de dollars. Les producteurs de pétrole gagnent cette même somme en deux mois, sans même tenir compte du coût de la transformation ultérieure. Néanmoins, étant donné le niveau de politisation et le nombre « d’histoires d’horreur » de notre secteur, il ne devrait pas céder beaucoup de terrain face au secteur pétrolier.

Si l’on suit l’histoire de l’industrie diamantaire et, en premier lieu, de son volet africain, on voit que les diamants sont devenus un sujet de choix pour faire du profit, que ce soit sur le plan politique ou en termes de réputation. Ainsi, par exemple, au cours de ses 15 ans d’existence, le Kimberley Process a engagé des efforts importants pour éradiquer plus de 99 % des diamants du conflit. Mais il y en aura toujours qui trouveront davantage d’intérêt à blâmer le marché pour ce 1 % restant qu’à admettre les progrès réalisés. Les récents appels à reconnaître comme diamants du conflit tous ceux qui « portent atteinte aux droits de l’homme » ne peuvent donner lieu, une fois de plus, qu’à des manipulations de l’information. Tout simplement parce qu’un énoncé aussi général peut concerner une multitude de sujets. Comme nous le savons aujourd’hui, une tasse de café froid et une console vidéo trop ancienne dans la cellule d’un terroriste norvégien portent atteinte aux droits de l’homme.

L’existence même du Kimberley Process (du moins sous sa forme habituelle) est désormais menacée par l’opposition fondamentale des ONG à la présidence de son système de certification par Dubaï cette année. La coalition de la société civile a boycotté les assemblées du KP et du système de certification lui-même. Depuis plusieurs mois, les parties continuent « d’échanger des politesses », plutôt que d’essayer de parvenir à un consensus par le dialogue, tandis que certaines ONG en accusent d’autres d’être partiales. On ne sait pas avec certitude qui profite actuellement de ce scandale mais l’industrie dans son ensemble aura à subir une atteinte sérieuse à sa réputation si l’on constatait que les organisations des droits de l’homme ont abandonné le combat contre les diamants du conflit.

La valorisation est un autre sujet sans fin. Étant donné le rôle prépondérant des diamants dans l’économie de régions entières, il est assez compréhensible que certaines forces politiques veuillent en transformer l’extraction en une plate-forme destinée à des mégaprojets – qu’il s’agisse de la nationalisation d’industries existantes ou de la création de nouvelles industries. Toutefois, les slogans populistes ne s’appuient pas toujours sur un semblant de valorisation de l’économie ou du marché.

Tous ces sujets controversés trouvent un soutien enthousiaste dans les médias. Mais ne reprochons pas aux journalistes de se montrer partiaux et partisans. Ils se contentent de suivre les préceptes du magnat des médias américains Hearst : « sexe, scandale, mort ! » Des travaux journalistiques réussis doivent toucher et réveiller les sentiments, sans citer de faits. Qui cela intéresse-t-il de savoir que tout va bien sur le marché ? Mais si vous évoquez les souffrances d’un individu, la nouvelle va rapidement circuler.

Méfiance des consommateurs et manque de compréhension

Imaginez maintenant un consommateur de bijoux contemporain – le fameux membre de la génération Y ciblé par tous les miniers. Enfant, il a regardé le film Blood Diamond et de nombreux autres où des méchants essayaient de voler des diamants. Il a grandi à une époque où, pour chacune de ses respirations, ce sont d’innombrables informations qui lui arrivent. La télévision lui affirme que les diamants contribuent à financer le terrorisme et à blanchir de l’argent. Sur Internet, il lit des communiqués de Human Rights Watch martelant que les droits de l’homme font souvent l’objet de violations dans les champs diamantaires.

Pensez-vous qu’il pourrait avoir des craintes au moment d’acheter un diamant ?

Supposons maintenant que la tradition soit la plus forte et que notre jeune homme se mette en quête d’une pierre. Il se rend dans une boutique et demande : « D’où provient ce diamant ? » À cela, le vendeur répond honnêtement : « Je ne sais pas » car personne n’oblige les commerçants à suivre l’origine des pierres qu’ils vendent et à la communiquer. « Mais quelqu’un peut-il me confirmer que c’est bien une pierre normale ? », demande notre acheteur car il ne veut pas offrir à sa petite amie une pierre qui risque d’être entachée de larmes. « Oh, bien sûr, affirme le vendeur. Le fabricant de ces bagues est certifié par le RJC. Et ces marchandises sont garanties par le protocole D-SRSP. Quant à ces pierres, elles proviennent d’Afrique du Sud, il y a même une photo – mais cette pierre-ci ne provient pas du mauvais lot, elle était dans la bonne série. »

Si j’étais ce jeune homme, j’aurais déjà tourné les talons et je serais allé acheter le nouvel iPhone à ma petite amie. Ou un voyage dans une île paradisiaque. Tout simplement parce que le téléphone, le voyage ou un nouveau sac de créateur sont bien moins compliqués à appréhender que l’agrégat d’informations contradictoires et déroutantes déversées sur quiconque tente de comprendre l’origine des diamants et leur « pureté éthique ».

La Diamond Producers Association (DPA) est née à peu près au bon moment et a rapidement mis sur pied une plate-forme marketing pour le marché diamantaire, sous le slogan « Real is rare. Real is a diamond. » Mais son lancement et sa promotion prendront du temps et les résultats concrets n’apparaîtront que dans quelques années. En outre, le marketing générique ne peut qu’aider à faire renaître chez les acheteurs le désir de se procurer des diamants, sans éliminer les problèmes associés à l’origine des pierres, aux conflits et aux droits de l’homme.

Viribus unitis, l’union fait la force

Aucun programme marketing, fut-il le plus brillant, n’aidera à rétablir la confiance des consommateurs dans le marché s’il n’est pas clair, même pas pour ses propres membres.

Nous avons déjà parlé des problèmes de prévisions. L’absence de prévisions claires oblige l’industrie à vivre « chaque jour comme si c’était le dernier.» Mais c’est aussi la principale raison pour laquelle les banques ne prendront jamais notre industrie au sérieux. Elles veulent toutes être certaines que l’argent prêté leur sera rendu avec les intérêts et elles veulent comprendre comment. Les banques sont obligées de disposer de telles garanties, non seulement en raison des réglementations de Bâle 3, mais également pour de pures raisons commerciales. Comment une banque peut-elle prêter de l’argent au marché diamantaire, si même les négociants de diamants ne sont pas en mesure de prédire la façon dont leur industrie va se développer ? Sans aller jusqu’à prédire les prix du brut, mais au moins la demande pour leurs marchandises. Ces dernières années, plusieurs banques diamantaires traditionnelles ont abandonné le marché et si l’industrie n’apprend pas à leur fournir des informations, l’exode va se poursuivre.

Nous devons prédire non seulement la demande, mais aussi l’offre. Tout est clair pour les grandes sociétés, elles publient des rapports réguliers sur leur production et les ventes de brut. Mais il y a les petits producteurs, dont les activités et les stratégies semblent encore plus obscures que la planète Mars. Que se passera-t-il finalement pour l’industrie diamantaire du Zimbabwe, de quelle façon vendront-ils leur brut, à quel prix et comment le rendre officiel ? Quelle sera la tactique commerciale choisie par la Namibie et le Botswana, qui ont obtenu le droit de vendre 15 % des diamants extraits de façon indépendante ? Comment agiront la République Centrafricaine et le Venezuela, qui sont en chemin pour revenir au Kimberley Process ? Se peut-il que leurs diamants bénéficient du type de remise que l’on a déjà observé au cours des premières années qui ont suivi la levée de l’embargo sur les diamants du Zimbabwe ? Jusqu’à présent, ces questions n’ont pas de réponse et de telles réponses ne devraient pas être apportées tant qu’il n’existera pas un régulateur unique qui portera les questions de l’extraction et de l’échange des diamants au niveau des nations.

Les informations du marché doivent être transmises non seulement entre les parties prenantes mais également aux consommateurs. Si les grands acteurs du marché ne commencent pas à expliquer au public que la production diamantaire actuelle est très différente de celle de l’Afrique du début du XXe siècle, nous ne pourrons jamais nous débarrasser des comparaisons avec le film Blood Diamond. Objectivement, le marché a des raisons d’être fier : l’extraction moderne est une opération de haute technologie qui comprend des réalisations scientifiques, des dizaines de milliers d’emplois et des programmes sociaux à grande échelle. Mais toute l’information à propos des pratiques commerciales responsables reste confinée aux correspondances entre sightholders et producteurs, lorsqu’ils tentent de se prouver les uns aux autres qu’ils sont qualifiés pour faire affaire. La confirmation d’une chaîne d’approvisionnement responsable devrait être aussi ouverte que possible et étendue à toute la filière diamantaire.

D’ailleurs, cette confirmation aurait tout à gagner à respecter des normes communes claires. Jusqu’à présent, l’acheteur ne peut s’informer sur l’origine d’un diamant que s’il achète des pierres de marque spéciale (comme, par exemple, les programmes dirigés par Rio Tinto). Mais la proportion de ces pierres sur l’ensemble de la production est négligeable. Le RJC ou le WDC (System of Warranties) pourraient bien devenir un seul et même système, et confirmer ainsi clairement la nature immaculée d’une pierre achetée par un consommateur.

C’est triste à dire mais, en termes d’unité, les acteurs du marché diamantaire ont des choses à apprendre des producteurs de pierres synthétiques. La DPA est née après un siècle d’existence de l’industrie minière, tandis que les producteurs de synthétiques ont créé leur association en quelques années seulement. Et tous, voyez-vous, adhèrent à un point de vue unique, cohérent et adapté au client : leurs produits ne polluent pas l’environnement, ils ne nécessitent pas de creuser des trous de plusieurs kilomètres dans la terre et sont garantis comme n’exploitant pas de main-d’œuvre esclave sous un soleil torride. Même Leonardo DiCaprio qui, avec un seul rôle dans un film a fait plus pour la promotion du Kimberley Process que tout autre agence de relations publiques, se positionne aujourd’hui en défenseur des pierres synthétiques. Alors que nous proposons toute une série d’avis sur les perspectives d’évolution des prix de notre marché et cherchons à savoir qui en est le plus responsable, les producteurs de synthétiques se créent un marché pour eux-mêmes.

Source Rough&Polished