Rapport sur le marché du brut : problèmes comptables, hausses de prix et immobilité du secteur

Edahn Golan

Le secteur du brut nous réserve toujours des surprises ! La De Beers propose aujourd’hui un nouveau contrat – simplifié, présentant des ajouts importants, mais malgré tout assez troublant. [:]ALROSA semble tenter de se protéger de possibles sanctions des États-Unis et de l’Union européenne. Quant aux prix – ah, ces prix –, ils mériteraient qu’on leur consacre un chapitre entier.

Changements de prix de la De Beers

La taille du troisième sight de la De Beers, estimé entre 650 millions et 680 millions de dollars, a été satisfaisante avec quelques pics tarifaires et une hausse globale estimée entre 3,5 % et 4 %. Les sightholders n’ont refusé que très peu de marchandises. L’événement s’est déroulé sur fond de refroidissement du marché, ce qui soulève une question : pourquoi autant de marchandises, avec des prix en hausse et si peu de refus ?

Les hausses de prix de la De Beers apparaissent comme une réaction tardive à l’agitation du marché en janvier et février. La société a alors adopté une attitude plus modérée, en maintenant ses prix. Certains acheteurs affirment que si la De Beers avait maintenu des prix inchangés, elle aurait pu stabiliser le marché et arrêter, ou du moins limiter les variations saisonnières des prix : hausse au premier trimestre, atténuation pendant l’été et recul pendant les deux derniers mois de l’année.

De l’avis d’un négociant chevronné, les hausses de prix en mars ont posé problème lorsque le marché a ralenti. En revanche, la De Beers considère que le maintien des prix aurait donné lieu à des achats spéculatifs échevelés, dans l’attente de pics tarifaires en avril ou en mai. Nous ne le saurons jamais.

La De Beers propose de modifier le contrat des sightholders pour la prochaine période, notamment en éliminant le fastidieux questionnaire connu sous le nom de CPQ. Sans lui, tous les sightholders actuels resteront probablement clients et leurs approvisionnements (les sights) seront inchangés.

Pour ceux qui ne connaissent pas le système des sightholders de la De Beers, sachez que des marchandises spécifiques (les « boîtes ») leur sont attribuées. Avec le nouveau contrat, la De Beers envisage de retirer les attributions à ceux qui refusent une boîte. Pour l’heure, le contrat en étant au stade de la consultation (la De Beers s’entretient avec les sightholders avant de le finaliser), les sightholders se font à l’idée et acceptent toutes les boîtes.

Conséquence, avec une demande en recul, un surplus de marchandises sur le marché et des prix en hausse, les sightholders stockent davantage de pierres plus chères. Et même si ces clients internationaux (ceux qui ont un sight de « Londres ») n’ont laissé que très peu de marchandises, nous avons appris que de nombreuses pierres avaient été refusées lors de sights régionaux dans les pays producteurs. D’après un compte-rendu, jusqu’à 20 % d’entre elles sont restées invendues au Botswana et en Namibie.

Le recul de la demande explique aussi que les sightholders aient requis si peu de marchandises hors programme. Notons surtout que, dans ce contexte, un « recul de la demande » n’implique pas forcément une baisse des prix du brut dans toutes les catégories. Simplement, comme l’a affirmé un acheteur, « nous avons atteint un plafond » et les prix ne peuvent pas et ne doivent pas le dépasser. Les tarifs du taillé ne le permettent pas.

Les 4 à 8 grains font l’objet d’une forte demande continue et même, selon un rapport, d’une augmentation des premiums. La demande pour les 2,5 carats à 4 carats s’est amoindrie et, selon un intéressé, s’est même « arrêtée ».

Un déclin notable de la demande a été constaté pour les articles moins chers, de moindre grosseur, inférieurs à 100 dollars/ct, tels que la boîte de 1 Col Rejections (H-L) +11/+7. Ils figurent parmi les marchandises dont la De Beers a augmenté les prix (dans ce cas, de 4,7 %, à 54,42 dollars/ct), ce qui engendre une situation étrange. Chaque année avant le 31 mars, le dernier jour de l’exercice fiscal indien, les fabricants de ce pays se ruent vers les marchandises meilleur marché. Leur but est d’équilibrer leurs stocks, comme l’explique le dernier rapport sur le brut.

Maintenant que le nouvel exercice fiscal a commencé, les grandes sociétés ont moins besoin de ces marchandises et la hausse de prix n’a plus d’intérêt. Pire encore, bon nombre des tailleurs qui les utilisent (pour les tailler) sont de petites sociétés, aux ressources financières limitées, qui ne peuvent plus se le permettre. La hausse des prix peut donc avoir nui à la faible demande (réelle) pour ces marchandises…

Ajoutons à la liste habituelle des problèmes des sightholders celui des paiements. Selon l’un d’eux, les règlements tardent fortement.

Les hausses de prix ne se sont pas limitées aux marchandises peu onéreuses, désormais moins demandées. Le prix d’une boîte de Commercial 2,5 ct à 4 ct a augmenté de 3,4 %, à 2 008 dollars/ct, même si la demande a diminué, comme on le voit dans le tableau ci-dessous.

Les autres progressions notables concernent les Cold Fine 2,5 ct à 4 ct, en progression de 4,6 %, à 1 926 dollars/ct, les SelectMakeables 2,5 ct à 4 ct en augmentation de 4,6 %, à 1 926,32 dollars/ct et les Spotted 2,5 ct à 4 ct, en hausse de 10,6 %, à 1 118 dollars/ct.

La De Beers a baissé les prix des Preparers Low 3 gr à 6 gr, à 73,40 dollars/ct, en recul de 4,0 % et la boîte de Brown Gem 2,5 ct à 14,8 ct, à moins 3,3 %, à 1 358 dollars/ct.

Le nouveau contrat des sightholders

Dès l’année dernière, Varda Shine, l’ancienne PDG de la DTC, avait annoncé que le prochain contrat des sightholders serait délesté du CPQ, un questionnaire détaillé, intégré au dossier de candidature. Il aidait la De Beers à choisir les heureux élus, les marchandises du sight et le pourcentage de chaque article à attribuer. Pour beaucoup, le CPQ était trop intrusif.

Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que sans le CPQ, tous les sightholders verraient leur contrat renouvelé (sauf problème majeur, comme une infraction aux principes des bonnes pratiques, les BPP). Or, sans le CPQ, la De Beers n’a aucune manière d’évaluer réellement l’évolution des besoins des sightholders. Ceux-ci risquent donc de recevoir des sights identiques ou très similaires. Certains grommellent car, constatant un essor de leur activité, ils souhaiteraient voir évoluer leurs attributions.

En plus de devoir respecter les BPP, les postulants seront évalués sur leur demande passée, notamment en matière de marchandises hors programme, le respect de leur ITO et leurs achats au cours des enchères. Dès lors, le seuil des 3 millions de dollars d’achats pour une boîte aux enchères de la De Beers (anciennement Diamdel) pourrait passer à 10 millions de dollars, un obstacle bien plus difficile à surmonter.

Les exigences financières

Le critère de la conformité financière constitue une composante importante du nouveau contrat. La De Beers entend exiger des sightholders qu’ils réalisent des déclarations comptables plus strictes, conformes à la norme IFRS.

Les banques de financement en font elles aussi la demande, dans une volonté de mieux suivre l’argent qu’elles ont prêté. Avec un besoin croissant de transparence, les exigences de Bâle III, le coût croissant des prêts et les risques qui augmentent, les banques veulent que leurs emprunteurs adoptent des pratiques comptables d’entreprise qui faciliteront la compréhension de leur activité. Elles veulent savoir comment sera utilisé le financement, ce qui est acheté et où vont les marchandises. Enfin, elles veulent pouvoir suivre les paiements, afin de comprendre d’où provient l’argent.

J’ai déjà évoqué ce sujet, qualifiant les banques de nouveaux dépositaires du marché. Elles ont pris la situation en mains de plusieurs façons (notamment en décidant de réduire le financement des achats lors des sights). Le changement qu’elles ont mis sur les rails pourrait finalement contribuer à assainir l’industrie.

Cette exigence ne doit pas être sous-estimée. Si la De Beers la met en œuvre, elle aura des retombées sur les sociétés moyennes et, par ricochet, sera appliquée par d’autres sociétés minières et par leurs clients.

Ainsi, par exemple, celles qui n’émettent pas de déclaration IFRS ont un commentaire de leurs commissaires aux comptes affirmant qu’elles ne peuvent pas attester de la valeur de leurs stocks. Ils se reposent donc sur les déclarations et les compétences de la société. Ainsi, le système laissait un peu de liberté aux sociétés en termes de valeur de stocks. Sous l’IFRS, les commissaires aux comptes devront attester de la valeur du stock. Puisqu’ils ne sont pas experts des diamants, des évaluateurs externes devront peut-être intervenir. Il est aussi possible que les commissaires aux comptes se reposent sur des logiciels internes de gestion de stocks. Tous ces facteurs limiteront la capacité des sociétés à jouer avec la valeur de leurs stocks.

Les exigences financières portent aussi sur les ratios d’endettement et de levier. L’une des idées à l’étude consisterait à fixer le ratio chiffre d’affaires sur fonds propres à 20 %. Pour les très grosses sociétés, dont le chiffre d’affaires annuel atteint des centaines de millions, voire des milliards de dollars, l’exigence pourrait être difficile à satisfaire. Elle concernerait en effet des négociants, qui déplacent leur argent jusqu’à 10 fois par an.

Ces changements pourraient donc ouvrir une nouvelle ère dans l’industrie, faite de financements plus transparents, d’amélioration des normes de déclaration et d’un nouveau recul des fraudes financières.

Ventes d’ALROSA et nouvelles options

ALROSA pourrait être plus proche du monde réel que la De Beers. Vu le nombre important de marchandises circulant sur le marché secondaire, ALROSA en a proposé moins et n’a pas augmenté ses prix, au grand soulagement de ses clients.

Lorsqu’un grand minier, comme la De Beers ou ALROSA, signe un contrat d’approvisionnement à long terme, elle livre le brut chez son client. L’exception concerne les sights de la De Beers dans les pays de valorisation.

ALROSA s’est peut-être inquiétée de possibles sanctions des États-Unis et de l’UE suite à l’intervention russe en Ukraine. Elle a donc fait passer un questionnaire à ses clients sous contrat pour les interroger sur la structure des groupes de sociétés de leurs clients et leur situation géographique. En cas de sanctions, si un client basé à Anvers possède une société à Mumbai, les marchandises pourraient ainsi être livrées en Inde, et non en Belgique.

La nouvelle pourrait faire du tort au centre d’Anvers. Selon le AWDC, celui-ci a importé 22,8 millions de carats d’ALROSA, pour 2,8 milliards de dollars, soit 25 % de ses importations totales de brut.

Pour les Russes, Anvers représente 50 % des exportations de brut, tant en volume qu’en valeur. Selon nos calculs, ces chiffres sont peut-être un peu surévalués, mais des sanctions de l’UE contre ALROSA auraient des retombées catastrophiques sur la société. Elle a donc choisi de se pencher sur le plan de secours que nous indiquions.

Le point qui devrait inquiéter le AWDC, c’est que les changements sont généralement durables. Si les attributions sont transférées d’Anvers à Mumbai, elles pourraient bien ne jamais faire le trajet inverse. Et si Anvers en pâtit, le secteur diamantaire indien s’en réjouira.

Demande pour les principales boîtes de la DTC après le sight de mars
Article Demande Remarques sur la demande
Fine 2,5-4 cts & Fine 5-14,8 cts Demande moyenne Demande inférieure à celle du sight précédent
Crystals 2,5-4 cts & Crystals 5-14,8 cts Demande moyenne Demande identique à celle du sight précédent
Commercial 2,5-4 cts and 5-14,8 cts Demande moyenne Demande inférieure à celle du sight précédent
Spotted Sawables 4-8 gr Demande moyenne Demande identique à celle du sight précédent
Chips 4-8 gr Demande moyenne Demande inférieure à celle du sight précédent
Colored Sawables 4-8 gr & Colored 2,5-14,8 cts Demande satisfaisante Demande identique à celle du sight précédent
Makeables High 3 gr +7 Demande moyenne Demande inférieure à celle du sight précédent
Preparers Low 3-6 gr Demande moyenne Demande inférieure à celle du sight précédent
1st Color Rejections (H-L) +11/+7 Faible demande Demande inférieure à celle du sight précédent
1st Color Rejections (H-L) -7+3 Faible demande Demande inférieure à celle du sight précédent

Source Idexonline