Qu’implique la fermeture d’Argyle pour l’activité diamantaire ?

Rob Bates

Malgré toute l’histoire qui entoure la mine Argyle – avec la découverte, sans conteste inattendue, de quelques diamants en Australie occidentale en 1979 –, sa fermeture pourrait marquer le début d’une nouvelle période dans l’extraction des diamants.

Les conjectures allaient bon train au début des années 2000 pour savoir si l’offre de diamants resterait stable ou s’amenuiserait et si la demande augmenterait, entraînant une hausse inéluctable des prix.

Les choses ne se sont pas passées ainsi, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, la demande était irrégulière et soumise à de fortes fluctuations. Le fait que, pendant 10 ans environ, l’industrie n’ait pas fait grand-chose pour la soutenir mais se soit contentée des restes des vieilles campagnes publicitaires de De Beers n’a certainement pas aidé.

Par ailleurs, pendant les années 2010, la production de diamants n’a pas vraiment diminué. Elle a augmenté, peut-être aidée par le fait que les sociétés avaient des étoiles dans leurs yeux en voyant ce rapport entre offre et demande. En 2017, la production a grimpé à 26 millions de carats, le bond le plus important depuis 1986, d’après Bain & Co. Début 2019, les niveaux de production atteignaient presque des records. Voilà peut-être ce qui a provoqué la tourmente sur le marché, elle aussi proche de niveaux records.

Aujourd’hui, non seulement Argyle arrête de fonctionner mais les deux mines du Canada qui n’appartiennent pas à De Beers – Ekati et Diavik – sont en grande difficulté, étant donné la faillite de leur propriétaire Dominion. Et même si ces mines parviennent à traverser la crise actuelle, toutes deux devraient fermer dans quelques années. Petra Diamonds, qui détient quatre mines, vient de recevoir un nouveau financement mais elle est également confrontée à des problèmes évidents. Elle a mis ses mines en vente il y a quelques mois et n’a pas eu de demande.

Et bien entendu, aucune grande découverte de diamants ne s’est produite depuis des dizaines d’années.

Ainsi, même si Argyle ne produisait plus autant qu’au moment de son apogée – à l’époque où elle était la plus grande source de diamants au monde en volume –, sa fin pourrait enclencher la baisse prévue depuis longtemps de la production de diamants. Rio Tinto, son propriétaire, autrefois un formidable acteur de l’industrie avec des participations dans trois mines, ne détient plus aujourd’hui que ses 60 % dans Diavik. La société a déjà tenté de quitter l’industrie, puis a finalement choisi de ne pas le faire, même si cela semble maintenant inévitable.

Rien de tout cela ne signifie que le monde risque de « manquer » de nouveaux diamants naturels dans les années à venir, comme pourraient le laisser entendre certaines personnes du secteur des diamants synthétiques. Il existe de nombreuses mines bien approvisionnées qui devraient produire des millions de carats jusqu’en 2040 et au-delà. Il est également possible que de nouvelles sources soient découvertes en Angola et au Zimbabwe, même s’il faut un certain temps avant qu’une mine de diamants n’atteigne sa vitesse de croisière.

Mais lorsqu’il s’agit d’un produit bas-de-gamme utilisé dans les bijoux de mode – le type de pierres typiques d’Argyle –, il y a une opportunité pour le secteur des diamants synthétiques. Ce marché est entièrement axé sur la côté esthétique et les tarifs. Et les diamants synthétiques, qui sont moins chers à produire, donnent un meilleur résultat pour un tarif plus intéressant.

La fin d’Argyle est un peu douce-amère. Au-delà de la perte évidente des emplois et des revenus pour la région, j’ai été frappé par le nombre d’employés qui évoquaient sur Facebook les bons moments passés sur place.

Le tender des diamants roses d’Argyle, la présentation annuelle par la société de ses diamants de couleur ultra-rares, a non seulement exposé au monde des pierres véritablement étincelantes mais a également fait naître de nombreux articles de presse positifs. Les tenders faisaient de bons sujets et il est triste que ce genre de récit prenne fin.

En parlant de récit qui en vaut la peine, je termine sur cette histoire qui m’a été racontée il y a plusieurs années par Reid Mackie, un ancien de Rio Tinto, à propos de l’Argyle Cardinal, un diamant de 1,21 carat. Il montre que l’activité diamantaire est toujours pleine de surprises :

Cela se passe lors de la première conférence de presse du tender. De nombreuses personnes étaient présentes, il s’agissait d’un événement important et passionnant. Quelqu’un tenait la pierre avec une pince, tandis qu’un photographe essayait de réaliser un bon cliché. Comme cela arrive parfois avec les diamants, la pierre a glissé, elle est tombée au sol et a effectué un rebond semblant défier les lois de la gravité.

La séance photo avait lieu dans un spectaculaire appartement-terrasse, en saillie au-dessus du toit de l’hôtel, avec un sol en verre et des fenêtres du sol au plafond. J’ai été appelé dans la pièce et lorsque que j’ai vu l’endroit où la pierre avait atterri, je n’en croyais pas mes yeux.

Elle avait en quelque sorte chuté dans le plus petit espace, là où le sol rencontre les fenêtres, et s’était posée dans un équilibre précaire sur un rebord, large d’environ 5 cm, à environ 30 cm de profondeur sous le sol en verre ! Un demi-centimètre plus loin, et elle disparaissait totalement. Si elle était tombée un tout petit peu plus loin, elle aurait certainement été perdue dans les entrailles de l’hôtel ou, qui sait, sur le parking en dessous.

Nous avons donc dû essayer de la récupérer, sans la pousser plus loin hors du rebord. L’hôtel a proposé de démonter le sol mais comme elle était très proche du bord, la moindre vibration risquait de la faire basculer.

Nous nous sommes donc décidés pour une approche totalement dépourvue de technologie, en plaçant une pâte adhésive au bout d’une longue règle. En guise de test, j’ai d’abord essayé à vide, en déplaçant la règle dans cet espace pour attraper une petite chose située à une position similaire, à environ 30 cm le long du bord du Cardinal. Cela a fonctionné, nous avons donc retenu cette solution.

Nous n’avions qu’un seul essai et heureusement, l’histoire s’est bien terminée. La pierre a été récupérée intacte et le tender a pu reprendre. Mes mains n’ont jamais autant tremblé. Ce doit être l’opération aux enjeux les plus élevés que j’ai jamais réalisée.

Source JCK Online