Prise de conscience face à la situation en Russie

Avi Krawitz

 Comme la Covid-19 a accéléré le virage vers le numérique, la guerre en Ukraine pourrait bien amener l’industrie à devoir accélérer sur l’approvisionnement responsable.

S’il se trouve une opportunité au milieu de toute crise, comme l’a dit Albert Einstein, la guerre de la Russie en Ukraine offre à l’industrie diamantaire l’occasion d’intégrer les programmes de vérification de la source.

Pouvoir suivre un diamant et garantir au consommateur son origine éthique pourrait revêtir la même importance dans la crise actuelle que celle du numérique lors des confinements de la Covid-19. Il existe même certains parallèles dans les réactions du marché face à ces deux tendances.

Beaucoup doutaient que les consommateurs puissent acheter un bijou en diamants en ligne en toute confiance. De la même façon, certains ne sont toujours pas convaincus que la vérification de la source puisse être mise en place efficacement ou même qu’elle soit nécessaire. De plus, le développement des canaux numériques et de la traçabilité avait débuté bien avant les crises respectives qui ont mis au jour leur pertinence et ces outils assurent les bases solides dont le marché a besoin aujourd’hui.

Avant la pandémie, la plupart des grossistes et des détaillants avaient créé des plates-formes en ligne, dans le cadre de leur branding et pour accroître la fréquentation de leurs sites physiques. Les confinements ont laissé une place centrale au commerce électronique pour les ventes et accéléré l’adoption des outils numériques au niveau du retail.

De surcroît, l’industrie avait déjà établi le cadre des systèmes de vérification de la source, aussi bien par des initiatives privées qu’au travers d’organismes de l’industrie. Toutefois, ces programmes ont mis du temps à être adoptés car ils exigent un changement important d’état d’esprit et une évolution des méthodes d’achat et de commercialisation des diamants.

Mise en place des bases

Les démarches de l’industrie pour connaître l’origine de ses diamants et séparer les marchandises « politiquement correctes » des autres ne sont pas nouvelles. Elles remontent au début des années 2000 avec la création du système de certification du Kimberley Process (KP) qui était destiné à vérifier si la production de diamants provenait de zones sans conflit. Or, le KP – un programme dirigé par les gouvernements – arrêtait le suivi au niveau du brut. Il a également maintenu une définition étroite des « diamants du conflit », à savoir ceux qui financent les mouvements rebelles impliqués dans des guerres contre des gouvernements légitimes. Dès lors, le KP a continué à autoriser des diamants entachés par des abus des droits de l’homme ou de la torture, y compris ceux provenant d’organisations dirigées par des gouvernements.

Dans une certaine mesure, le Responsible Jewellery Council (RJC) a comblé le vide existant. Reconnaissant les défaillances du KP, cette initiative de l’industrie a créé un système de vérification visant à définir des références pour un approvisionnement éthique grâce à son programme de Chaîne de contrôle (qui n’inclut pas les diamants) et sa certification du Code de pratiques (qui les inclut). L’organisation couvrait un vaste éventail de sujets dans le domaine de l’approvisionnement éthique, comme les droits de l’homme, les droits du travail et – plus récemment – des questions comme la protection de l’environnement et l’égalité hommes-femmes sur le lieu de travail.

Les premières années, il était reproché au RJC de contrôler des sociétés plutôt que des diamants. Il apparaissait pourtant comme la meilleure solution disponible face à la réticence apparente à assurer le suivi des pierres individuelles.

Le problème est revenu sur le devant de la scène entre 2007 et 2011 lorsque le KP n’est pas parvenu à bannir le Zimbabwe de l’organisation lorsque le gouvernement s’est emparé des champs de Marange, tuant 200 personnes environ, d’après Human Rights Watch. Le mécanisme du KP étant destiné à traiter avec les forces rebelles, il n’était pas en mesure d’aborder d’autres difficultés éthiques – en particulier les abus menés par un de ses membres.

Les membres de l’industrie se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, à devoir se plier aux exigences légales de leur territoire respectif. Les États-Unis ont inscrit les propriétaires des entreprises de Marange – en particulier la Zimbabwe Consolidated Diamond Company (ZCDC), gérée par l’État – sur la liste de sanctions de l’OFAC. Le commerce des diamants du Zimbabwe est alors devenu illégal aux États-Unis mais restait autorisé dans d’autres régions, comme la Chine, l’Inde, Israël et l’Union européenne. Le marché a donc dû séparer les marchandises de Marange des autres dans ses canaux de production et de distribution. Mais les tailleurs se sont montrés sceptiques à l’époque, avançant que cela était presque impossible, étant donné la nature dynamique et hybride de leurs opérations et du marché diamantaire en général.

En position pour agir

Beaucoup de choses ont changé au cours des 10 ans qui ont suivi. La technologie a progressé de façon exponentielle et il existe désormais des mécanismes capables de suivre les diamants dans la ligne de production de l’usine et partout sur le marché. Le profil des consommateurs et des entreprises a également changé. Le public est mieux sensibilisé aux problèmes d’environnement, de société et de gouvernance (ESG) et aux références de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les consommateurs, les entreprises et les régulateurs attendent davantage les uns des autres.

L’industrie des diamants et des bijoux est en capacité de réagir plus efficacement à la crise russe qu’elle ne l’était face aux précédentes. Non seulement elle est mieux équipée mais les enjeux sont aussi plus considérables. Alors que la production de Marange était relativement petite, avec principalement du brut de qualité inférieure, la Russie représente environ 28 % de la production mondiale. Elle touche un grand nombre de consommateurs, susceptibles de faire machine arrière s’ils découvrent que leurs diamants financent la guerre en Ukraine. Comme les États-Unis ont placé ALROSA sur la liste de l’OFAC et que d’autres pays, tels que le Royaume-Uni, ciblent les diamants russes avec des sanctions de leur cru, l’industrie n’a d’autre choix que de chercher un autre approvisionnement en diamants.

Et elle dispose des outils pour le faire : De Beers, le Gemological Institute of America (GIA), la société de Blockchain Everledger et le fabricant d’équipements Sarine Technologies comptent parmi les grands acteurs à avoir développé des programmes de traçabilité. Malgré les récentes critiques du RJC face à sa réaction tardive aux actions de la Russie, l’organisme commercial dispose de la structure nécessaire pour assurer une chaîne d’approvisionnement éthique. Il se charge également de créer une communauté d’entreprises ayant les mêmes principes et le même état d’esprit, partout dans la filière.

Les fournisseurs feraient bien de s’intégrer à cette communauté. Mais une chaîne d’approvisionnement éthique a également besoin d’acheteurs, qu’il s’agisse de brut, de taillé ou de bijoux. Les entreprises doivent connaître leurs fournisseurs et les fournisseurs de leurs fournisseurs et vérifier les sources de leurs marchandises. Ce n’est qu’en achetant de façon responsable que le marché pourra vendre de façon éthique et transformer la crise actuelle en une opportunité.

Article from the Rapaport Magazine – May 2022. To subscribe click here.

Source Rapaport