Premières observations sur les conséquences de la crise du virus Ebola pour l’industrie diamantaire

Rob Bates

L’épidémie d’Ebola monopolise les gros titres, mais nous sommes nombreux à ne pas envisager ses effets sur notre industrie. Pourtant, elle en a.[:] L’Afrique occidentale est une source importante de diamants et les mineurs artisanaux des pays concernés produisent, (selon les estimations), environ 1 % des diamants dans le monde en termes de valeur. Statistiquement, ce chiffre peut paraître faible, mais cela représente tout de même une grande quantité de pierres – et l’extraction des diamants en Afrique occidentale concerne de nombreuses personnes.

Babar Turay est un écologiste chevronné, qui a travaillé pour l’Agence des États-Unis pour le développement international et Estelle Levin Ltd., en se spécialisant sur l’extraction d’or et de diamants en Sierra Leone. Lui-même originaire de la Sierra Leone et vivant actuellement dans la région diamantaire de Kono, Babar Turay a décrit ses expériences personnelles dans une série de billets de blog pour Estelle Levin Ltd. Il a accepté de répondre aux questions de JCK à propos de la maladie et de ses effets sur le secteur diamantaire en Sierra Leone.

JCK : Quelles ont été les conséquences du virus Ebola sur l’extraction des diamants en Sierra Leone ?

Babar Turay : Étant donné que l’extraction minière – et en particulier celle des diamants – n’est supplantée que par l’agriculture en termes de [main-d’œuvre dans le pays] et que c’est le secteur qui a généré les plus hauts revenus, en particulier dans la région de Kono, c’est lui qui a été le plus touché pendant la crise du virus Ebola… Les investisseurs, des éléments clés pour le bon fonctionnement de l’industrie en matière de trésorerie, ont tous étés refroidis par l’épidémie.

L’extraction des diamants en Sierra Leone dépend fortement de la cohésion d’une chaîne qui a réussi à bâtir la confiance (creuseurs, propriétaires terriens, acheteurs/négociants, etc.). L’interdépendance de ces partenaires d’affaires est si cruciale que le moindre grain de sable entraîne des conséquences significatives sur tout le secteur. 

La production a-t-elle baissé ?

Absolument. La production, en particulier dans le secteur artisanal, a considérablement reculé, car l’intensité même de l’extraction a chuté. Le risque pour les investisseurs, étant donné les quantités [actuellement produites], est trop important pour qu’ils se rendent dans une zone infestée par le virus Ebola depuis l’Europe ou le Moyen-Orient. 

L’extraction minière continue-t-elle ?

Elle a été réduite en termes d’échelle mais elle n’est pas complètement arrêtée. Étant donné qu’elle s’est poursuivie à l’époque de la guerre civile, je ne suis pas surpris. La principale différence aujourd’hui, c’est que les mineurs cherchent seulement à survivre, l’extraction n’est plus rentable. 

Y a-t-il des facteurs, liés au mode d’extraction des diamants en Sierra Leone, qui ont participé à la diffusion de la maladie ?

Non, la région ne figure pas encore parmi les épicentres reconnus de l’épidémie. Même si la zone occidentale compte à ce jour 800 cas confirmés, Kono n’a pas encore atteint son 35ème cas confirmé. 

Toutefois, l’interdiction initiale de tout rassemblement – et donc de toute activité d’extraction artisanale en grands groupes – a permis d’avancer dans la bonne direction. La nature même des mines en aurait fait un bouillon de culture, propice à une diffusion incontrôlable de la maladie. Mais seuls quelques mineurs ont bravé cette interdiction pour continuer l’extraction par petits groupes. 

Comment le pays a-t-il contenu la maladie ? Les mesures ont-elles été efficaces ?

Les dirigeants des trois pays les plus touchés (Guinée, Libéria et Sierra Leone) ont été dans l’incapacité la plus totale de gérer l’épidémie, quel que soit l’angle : maintien sous contrôle de la maladie, vérification des passages aux frontières, mensonges à propos des zones et des populations affectées, priorités données à l’épidémie… Cette situation a été encore exacerbée par les systèmes médicaux insuffisants existant avant l’épidémie et la désinformation relative aux symptômes et aux signes de la maladie. 

Êtes-vous inquiet pour votre sécurité personnelle ?

Je suis très inquiet pour ma sécurité et celle de ma famille. Le rythme des infections continue d’augmenter et l’Organisation mondiale de la santé prévoit 10 000 nouveaux cas par semaine si rien n’est fait pour l’endiguer. Il est quasiment impossible, en particulier dans cette partie du monde, de s’isoler au milieu de la foule. Quelle que soit la situation, nous avons tous besoin les uns des autres pour survivre. 

Le virus Ebola est omniprésent dans les actualités aux États-Unis. Quelles sont les idées fausses que l’on nous fait passer ?

Les préjugés attachés aux personnes vivant dans les régions les plus touchées d’Afrique occidentale sont exagérés. Ce n’est pas comme si tout le monde était enfermé chez soi, à attendre qu’on leur balance des provisions ou des cadeaux par les fenêtres. On ne voit pas de cadavres gisant sur la chaussée. Vous seriez surpris, si vous atterrissiez aujourd’hui à Freetown, de voir le nombre de personnes dans la rue à faire du commerce.

Quelle aide peut apporter l’industrie dans le cadre de la crise Ebola ?

D’après mon expérience dans l’industrie de l’extraction en Sierra Leone, je sais que ce sont les creuseurs et les mineurs, qui sont au bas de la chaîne, qui sont le plus touchés lorsque l’industrie s’arrête. Cela est tout simplement dû au fait qu’ils dépendent de l’argent de ceux qui les financent pour survivre au quotidien, car ils n’ont pas d’économies chez eux ou à la banque. La crise du virus Ebola n’est en rien différente des autres grandes crises qu’a subies la région dans le passé. C’est la raison pour laquelle la violence éclate si facilement lorsque la source des moyens de subsistance se tarit aussi considérablement.

Pour moi, la priorité, c’est d’apporter des provisions pour aider les gens tant que cette période d’urgence n’est pas terminée et qu’ils ne peuvent pas reprendre le cours normal de leurs vies. Les gens ont besoin de faire du commerce, dans la limite du possible, tout en contenant le risque de contagion. En ce qui concerne particulièrement Kono, nous devons aussi trouver des moyens d’apporter de la nourriture aux personnes en quarantaine, dans leurs maisons, et aux familles vulnérables, touchées par la maladie. N’oublions pas toutes les fournitures sanitaires ou médicales qui pourraient être utiles aux communautés et aux familles pour améliorer leurs conditions de vie et limiter l’épidémie. 

L’industrie internationale devrait identifier les personnes des communautés diamantaires sierra-léonaises qui ont été le plus touchées par cette situation. Les importateurs de diamants de Sierra Leone devraient, eux, demander ce qu’ils peuvent faire grâce aux relations qu’ils ont dans le pays.

Pour aider à lutter contre le virus Ebola, vous pouvez vous rendre sur le site Web de Médecins sans frontières ou consulter cette liste.

Source JCK Online