« Pour une joaillerie française compétitive et durable » – interview de Bernadette Pinet Cuoq présidente exécutive de l’UFBJOP, membre de la WJI2030

Marianne Riou

Le 9 septembre, à l’occasion du salon VincenzaOro en Italie, la Watch & Jewellery Initiative 2030 annonçait la participation de deux nouveaux membres affiliés, l’UFBJOP et la CIBJO. Pour mieux comprendre la raison d’être de la WJI2030, les spécificités de la filière française de la joaillerie et ses enjeux en matière de RSE et de durabilité, Rubel & Ménasché a interviewé Bernadette Pinet Cuoq, présidente exécutive de le l’Union Française de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, des Pierres & des Perles. Un entretien passionné, engagé et sans langue de bois.

Bernadette Pinet Cuoq, pouvez-nous présenter l’UFBJOP. Quel est son rôle exactement ?

L’Union Française de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, des Pierres & des Perles est la seule organisation professionnelle à représenter, en France, l’ensemble des acteurs de la joaillerie française, fabricants et détaillants, marques et PME… L’Union a près de 160 ans d’existence, elle est née en 1864, sous l’impulsion de Frédéric Boucheron, Antoine Mellerio, Auguste Savard et Marcel Carpentier avec pour mission, déjà à l’époque, de défendre les intérêts professionnels et économiques de ses membres. Elle s’attache toujours, aujourd’hui, à promouvoir la filière, protéger ses intérêts et soutenir sa compétitivité.

Par ailleurs, elle est également constituée de la Haute École de Bijouterie et de Joaillerie (156 ans d’existence N.D.L.R.) et du Laboratoire Français de Gemmologie (près de 100 ans d’existence N.D.L.R.)

L’UFBJOP est très présente et intervient sur la scène nationale et internationale. La France compte ainsi, par l’intermédiaire de l’UFBJOP, parmi les membres fondateurs de la CIBJO (The World Jewellery Confederation). Elle est également un membre fondateur et actif de la fédération européenne de la joaillerie qui rassemble aussi l’Italie, l’Espagne et le Portugal et promeut les intérêts de la filière à Bruxelles et auprès du Parlement européen. Enfin, l’UFBJOP est également au board du RJC

Pourriez-vous nous présenter les spécificités de la filière de la joaillerie française ?

Le cœur de métier en France est la fabrication. Mais ce qui fait aujourd’hui la spécificité de la France, c’est que nous mêlons culture, histoire et savoir-faire.

Le « savoir-faire métier » en France en joaillerie remonte à Catherine de Médicis ou Louis XIV et même avant* ! Notre filière agrège de nombreux métiers et savoir-faire : la laque, la maquette, le poli, le sertissage, la glyptique, etc.

La France est aussi parfaitement intégrée à l’échelle mondiale. La structure de notre filière est multiple, entre grands groupes de luxe, qui évoluent à l’échelle internationale, et cotraitants, PME ou jeunes pousses innovantes, qui se sont consolidés ces dernières années pour répondre aux besoins d’un marché très exigeant. Cette diversité fait la puissance de notre marché et le socle de notre compétitivité.

Il faut également garder à l’esprit que, en 2009, après la remise en cause imposée par la crise, la France est restée au nombre des leaders européens. Notre filière est dynamique, très exportatrice et apporte de la valeur ajoutée à la balance commerciale française**. Enfin, le territoire de conquête des marques de joaillerie est international et cinq des plus grands compétiteurs de la joaillerie mondiale sont d’origine française (Chanel, Hermès, Kering, LVMH et Richemont).

Quels sont les grands enjeux du secteur de la joaillerie en France ?

Il nous faut poursuivre notre croissance dans ce marché en pleine explosion ! Le recrutement des talents et l’attractivité sont des enjeux majeurs. Il est essentiel d’arriver à recruter, former et fidéliser les talents.

Il faut soutenir nos PME, dynamiques, dans leurs stratégies de consolidation.

Enfin, évidemment, les enjeux de la RSE et la nécessité d’inscrire notre industrie dans la « durabilité » sont aussi fondamentaux. Heureusement, notre « matériau » est réutilisable à l’envi et durable…

Pourquoi devenir membre affilié de la Watch & Jewellery Initiative 2030 ? En quoi consiste votre rôle ?

La WJI2030 est une association, lancée par Cartier, délégué par Richemont, et Kering en octobre 2021. Elle regroupe différents adhérents du secteur de la joaillerie et de l’horlogerie – comme Rubel & Ménasché d’ailleurs Elle porte comme ambition d’engager les acteurs de la joaillerie et de l’horlogerie sur le chemin de la durabilité. Ses trois domaines d’exercice concernent : le climat, les ressources naturelles et l’inclusion.

Pour l’UFBJOP, c’était tout naturel de participer à cette initiative qui vient formaliser et entraîner la filière plus loin dans certaines démarches. Ceci n’exclut par ailleurs aucune autre initiative. La démarche est bien complémentaire.

L’UFBJOP et la CIBJO sont les premières organisations professionnelles à adhérer à la WJI2030. Comme pour le RJC il y a 17 ans environ !

Sous l’égide du RJC, notre industrie de la joaillerie a instauré de bonnes pratiques de la mine au retail. Très honnêtement, c’est un élément de compétitivité majeur. Mais cela fait aussi de notre industrie une industrie vertueuse. La WJI2030 peut s’appuyer sur ce socle de bonnes pratiques éprouvées depuis toutes ces années. Tous nos adhérents sont certifiés RJC. Ils adhèrent donc à des standards très exigeants en matière de KYC, de chaîne de valeur vertueuse, de conformité au Processus de Kimberley, etc.

Notre travail va être d’aider les entreprises du secteur à entrer dans la démarche proposée par la WJI2030. À s’organiser pour répondre à la question «  Comment gérez-vous votre chaîne de valeur de manière durable ? » Ceci est à prendre en compte en lien direct avec l’actualité et le besoin d’une planète propre.

À nouveau, durabilité et compétitivité sont intrinsèquement liées.

Pourriez-vous nous en dire plus sur la complémentarité entre le RJC et la Watch & Jewellery Initiative 2030 ?

Le Responsible Jewellery Council concentre ses actions sur des aspects techniques et des standards internationaux pour mettre en place des bonnes pratiques. Quand le RJC a été fondé en 2005, cette démarche était visionnaire. Ces standards, qui concernent tant des PME que des grands groupes de luxe, sont solides.

La WJI2030 va engager la filière internationale de la joaillerie à aller plus loin, « vers » les ODD 2030 de l’ONU. La « culture » de l’audit que notre industrie a déjà éprouvée est bel et bien un atout maître. Cette filière est exigeante envers ses membres. Nous savons qu’il nous faut « prouver » nos affirmations en matière de durabilité pour satisfaire le client et sécuriser le consommateur.

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de vos actions en matière de durabilité et qui entrent dans le cadre de votre participation à la Watch & Jewellery Initiative 2030 ?

Les 18 et 19 octobre prochains, nous organisons notre rendez-vous professionnel annuel, Précieuses Confluences. La journée du 19 octobre sera consacrée au développement durable. Nous allons rassembler des prestataires spécialistes du développement durable, de la RSE, du climat ou de l’inclusion (l’Agefiph par exemple) pour les mettre en relation avec les professionnels de la joaillerie française.

Nous avons également lancé un club RSE qui regroupe les responsables RSE des grands groupes. Ces derniers y présentent leurs politiques RSE et leurs initiatives en matière de durabilité.

Nous nous associons aussi à la BPI (banque publique d’investissement) France pour proposer une Task Force, à destination d’une dizaine d’ateliers de fabrication français, axée sur la RSE. Il s’agira de diagnostiquer leurs avancées en RSE, de faire du partage d’expérience et de les aider à réfléchir au financement de leurs actions. Chaque plan RSE doit être adapté à chaque entreprise !

En participant à la WJI2030, l’ UFBJOP sera un soutien effectif pour ses membres sur la stratégie et l’opérationnel. Nous ferons ainsi le lien entre les ateliers et les attentes des groupes de luxe.

Avez-vous identifié des besoins spécifiques en matière de RSE en France ?

Il est indispensable de continuer à sensibiliser les acteurs de la filière à ces questions et à les former pour répondre aux enjeux de la RSE. 

L’UFBJOP, via la Haute École de Bijouterie et de Joaillerie, propose un cursus développement durable qui présente, à 360°, les enjeux de la RSE dans la filière bijouterie. Il s’agit aussi d’apprendre comment les décliner en entreprise et identifier les leviers utiles.

La méthode de mise en place d’une politique RSE est déterminante pour les petites entreprises ou les ateliers. Comment entraîne-t-on ses équipes dans cette démarche de RSE ? Avec quelles ressources ? Comment évalue-t-on ses consommations pour effectuer un bilan carbone ? Concrètement, comment met-on en place un bilan carbone et peut-on vraiment aller vers une empreinte zéro ? Comment élabore-t-on une politique de RSE qui, en toute logique, doit être adossée à l’histoire de la Maison, etc.

Enfin, l’accompagnement et le financement de cette politique de RSE sont essentiels. En témoigner dans un rapport RSE de qualité est aussi indispensable.

L’UFBJOP entend aider ses membres à trouver des acteurs clés susceptibles de les accompagner et contribuer à engager la filière de la joaillerie encore plus loin dans la compétitivité, en préservant la planète.

 Source Rubel & Ménasché  

À lire sur Rubel & Ménasché :
Rubel & Ménasché s’engage et encourage la RSE au sein de la filière bijouterie joaillerie – conseils pratiques depuis la table ronde de l’UFBJOP


* Rappel historique : dès 768, Pépin « le Bref », roi des Francs, confère à l’orfèvrerie un statut protégé. Au XVème siècle, sous le règne de Charles VII, sa favorite Agnès Sorel impose perles, diamants et parures fastueuses à la cour. François Ier, en 1530, créera la collection des Joyaux de la Couronne, qui abritera le célèbre diamant blanc le « Régent » et le « Diamant bleu de la Couronne » retaillé pour devenir plus tard le diamant « Hope ».
La filière joaillière et les savoir-faire (métaux et pierres précieuses) se développent ainsi, au fil des siècles, au rythme des commandes royales…

** On estime, en 2020, le chiffre d’affaires de la bijouterie et joaillerie française à plus de 6,4 milliards d’euros HT destinés à l’exportation (« Chiffres clés 2020, horlogerie-bijouterie-joaillerie », Francéclat).

Photos © UFBJOP.