Oui, les diamants font le bien. Mais peut-être pas toujours…

Rob Bates

Lors de la semaine du 25 octobre, De Beers a publié un rapport montrant que, lorsque les consommateurs – les plus jeunes en particulier – achètent des diamants, ils placent les questions de développement durable devant des facteurs traditionnels comme le style et le prix. Ils exigent ainsi une bonne gestion de l’environnement et le soutien des communautés locales.

Les auteurs du rapport y ont vu une opportunité pour l’industrie des diamants naturels qui a « sans conteste – et de manière importante – des effets positifs sur les personnes et les lieux concernés par les diamants. »

Cela est souvent vrai mais malheureusement, pas dans tous les cas. Il arrive même qu’il en aille tout autrement. Je suis d’accord, l’industrie a fait beaucoup de bien, comme vous pouvez le voir dans cet article, mais la chaîne d’approvisionnement des diamants continue de connaître des problèmes sérieux que nous ne pouvons plus ignorer.

Il faut se souvenir que la mine Koidu en Sierra Leone est désormais l’objet d’un contentieux engagé par des habitants en colère, se plaignant de mauvais traitements. (Le propriétaire BSG Resources a réfuté les accusations.) Petra a dû trouver un règlement pour une action en justice après des actes de violence perpétrés par des gardes de la mine Williamson en Tanzanie contre des creuseurs locaux. L’attitude et l’absence de transparence des miniers à Marange, au Zimbabwe, représentent un problème connu de longue date. Ces diamants sont d’ailleurs interdits aux États-UnisLe mois dernier, un responsable de République démocratique du Congo (RDC) a prétendu qu’une fuite de résidus à la mine Catoca, en Angola, avait tué 11 personnes dans le pays et en avait rendu des milliers d’autres malades. (Catoca a réfuté cette allégation.) Au cours de la semaine du 18 octobre, un webinaire de la Coalition de la société civile du Kimberley Process a fait état de problèmes environnementaux et communautaires relatifs à l’extraction au Lesotho.

Aucune industrie n’est parfaite et les tensions sont inévitables lorsque de riches miniers installent des structures dans des pays pauvres. Mais il s’agit d’événements graves, et non de défauts mineurs. Ces épisodes n’ont jamais été acceptables et ils le sont encore moins aujourd’hui.

De plus, ces problèmes ne se limitent pas au secteur de l’extraction artisanale à petite échelle (ASM) – qui a toujours connu des difficultés – mais ils impliquent aussi des miniers de grande taille, qui sont censés être la partie « contrôlée » de l’industrie.

Bien entendu, nous ne sommes pas le seul secteur à connaître ce genre de problème. L’extraction des pierres précieuses est sujette à complications, tout comme celle de l’or. Tesla, le chouchou de l’écologie avec ses milliers de milliards de dollars, comme d’autres géants technologiques d’ailleurs, a essuyé des critiques pour s’être approvisionné en cobalt dans une mine où 43 mineurs artisans ont été tués.

Pourtant, l’activité des diamants naturels est plus surveillée que d’autres, en raison de son histoire et de son image dégradée (toutes les industries n’ont pas été éraflées par un blockbuster). Les diamants sont également un produit de luxe dont personne n’a besoin, et ils ont un concurrent aux crocs acérés, toujours sur ses talons, heureux de pouvoir exploiter ces tragédies pour ses accroches marketing.

Cette surveillance accentuée n’est peut-être pas juste pour l’industrie diamantaire mais être frappé ou boire une eau empoisonnée n’est pas juste non plus.

Que peut donc faire le marché ? Il est peu probable que le Kimberley Process (KP) puisse s’attaquer à ces questions de façon appropriée même s’il élargissait la définition des diamants du conflit, ce que, bien sûr, il n’a pas fait. L’industrie ne peut pas toujours compter sur les gouvernements locaux pour agir, ceux-ci détenant souvent une partie des mines posant problème.

Il y a 10 ans, je posais la question : si le Kimberley Process « n’est pas le meilleur forum pour traiter ces questions… que faire ? ». Il n’existe toujours pas de réponse à cette interrogation. Certains affirment qu’il suffit de se passer des diamants naturels et de vendre des diamants synthétiques. Mais mettre un terme à cette activité dans les pays pauvres risque d’annuler l’effet positif qu’a réellement l’industrie et de mettre en danger la subsistance de millions de personnes.

De plus, comme pour le secteur des diamants naturels, tout n’est pas rose avec les diamants synthétiques. Certaines sociétés ont appartenu à des criminels ou à leurs associés. La plupart des diamants synthétiques sont produits dans des usines chinoises, dont beaucoup sont détenues par des militaires. Rien ne dit si ces usines sont correctes ou terribles. Sans certification, leur situation est difficile à déterminer. Il faut toujours savoir avec qui l’on traite et s’interdire de dépeindre des industries tentaculaires de façon globale.

Que doit donc faire l’industrie lorsque surgit ce type d’accusation ? J’ai posé cette question à plusieurs parties intéressées. La plupart n’ont pas répondu mais j’ai reçu deux réponses réfléchies, l’une d’une ONG, l’autre d’une association de l’industrie. Comme vous le verrez, leurs réponses ont quelques points en commun, mais elles divergent également. J’espère qu’elles permettront d’approfondir la discussion :

Hans Merket

Chercheur, International Peace Information Service (IPIS)
Membre de la Coalition de la société civile du Kimberley Process

Je ne pense pas qu’il existe de formule magique en matière de redevabilité car celle-ci est spécifique à un acteur et à un contexte. À mon avis, pour l’industrie dans son ensemble, la redevabilité est en premier lieu de reconnaître « les mauvaises actions et les mauvais acteurs » (ce qui est encore rare, malheureusement). Cette première étape est nécessaire pour ensuite améliorer continuellement les pratiques commerciales et éviter de se voir associé à de telles actions et de tels acteurs. Et surtout, il convient d’utiliser ce levier pour éviter que l’on fasse « du mal ».

Je ne suis pas fan du boycott général par les consommateurs, car il est généralement non discriminé et entièrement motivé par les émotions et qu’il ne laisse aucune place à la nuance. Je pense aussi que la responsabilité doit être mise sur l’industrie, et non sur les consommateurs. Dans l’esprit des principes directeurs de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), les sociétés qui s’engagent envers des références éthiques et des procédures de due diligence doivent suspendre leurs relations commerciales au moindre soupçon d’association avec de graves abus des droits de l’homme et utiliser leur levier pour corriger ces dommages. À partir de là, la société associée aux dommages a la charge de prouver soit que les soupçons sont infondés, soit que les dégâts ont été corrigés et ne se reproduisent pas.

Dans le cas de Petra, plusieurs articles sont sortis dans les médias locaux depuis 2016, expliquant la gravité des abus des droits de l’homme. Les ONG internationales s’y intéressent depuis 2019. Il est donc frappant que les ventes de diamants de Petra à Anvers et ailleurs n’aient jamais été remises en question à ce jour. Je pense en effet qu’il est tout à fait normal que des sociétés de diamants responsables cessent d’acheter des diamants à la mine Williamson (et à des mines comme Catoca, Koidu et dans la région de Marange) tant qu’il n’y a pas de preuve que les accords obtenus avec les communautés concernées soient satisfaisants et que les dégâts aient cessé. L’interruption ne doit pas être illimitée et la décision de recommencer à acheter ne doit pas être irrévocable. La due diligence est un processus continu, s’appuyant sur des preuves qui évoluent.

Malheureusement, une grande partie de ces preuves ne sont constatées en aval que lorsque les choses se sont aggravées au point qu’il devient difficile de redresser la situation. C’est la raison pour laquelle l’industrie doit davantage s’investir auprès des communautés. Aujourd’hui, les liens se tissent principalement par le biais d’œuvres de charité, mais peu d’actions permettent un engagement direct auprès des communautés, pour les écouter véritablement. Pour reprendre l’exemple de la Tanzanie, lorsque nous nous sommes rendus dans les communautés en 2018 pour leur demander comment elles percevaient l’impact de la mine Williamson, nous étions apparemment les premiers à leur poser ces questions. Si seulement Petra avait mis au point des mécanismes pour un engagement signifiant auprès des communautés dès le départ, beaucoup de dégâts auraient été évités. Cela aurait pu lui coûter beaucoup moins que ce qu’elle paie en ce moment en avocats et en règlements.

Iris Van der Veken

Directrice exécutive, Responsible Jewellery Council (RJC)

L’industrie doit collaborer plus efficacement et parler d’une seule voix lorsque ce genre de questions est soulevé. Il s’agit d’une redevabilité partagée. Toutes les parties prenantes ont un rôle à jouer : gouvernements, entreprises, ONG, consommateurs et société dans son ensemble. Une chaîne d’approvisionnement véritablement durable est ancrée dans la responsabilité collective. Aucun aspect de la production ne peut être pris isolément : droits de l’homme, conditions de travail, mesures anticorruption et impact environnemental sont tous inextricablement liés. Matériaux, design, personnes, distribution et retail – les relations entre ces composants de la chaîne d’approvisionnement exigent un effort collectif.

Les valeurs de leadership d’entreprise sont essentielles. Elles comprennent un engagement envers les droits de l’homme, les questions de genre et des pratiques d’approvisionnement écologiques. Il s’agit d’engagements non négociables.

Les priorités doivent être établies, accompagnées d’une due diligence minutieuse et de rapports sur les avancées effectuées. Les principes directeurs de l’OCDE constituent des textes de référence (incorporés dans le Code de pratiques du RJC en 2019). Si toutes les sociétés appliquent réellement une approche de due diligence de la chaîne d’approvisionnement, les sources illégitimes seront identifiées.

Sur la base des directives de due diligence de l’OCDE et des principes directeurs des Nations unies, la réponse par défaut à un drapeau rouge ne consiste pas nécessairement à cesser de travailler, mais plutôt à avoir une approche claire des recours et à vérifier s’il existe des alternatives, notamment en travaillant avec le fournisseur pour atténuer les problèmes ou s’engager auprès d’ONG pour trouver des solutions sur le terrain. L’intégration du développement durable prend du temps et demande de solides systèmes de gestion. Il est également nécessaire que les sociétés annoncent publiquement les problèmes identifiés et trouvent des façons appropriées de s’engager auprès de la société civile et du public.

L’application d’une due diligence adaptée pour lutter contre le blanchiment d’argent aidera les sociétés à assurer leur conformité. Travailler avec des organisations ASM comme Alliance for Responsible Mining (qui certifie l’or Fairmined), la Diamond Development Initiative/Resolve et GemFair contribue également à renforcer la demande provenant de sources ASM légitimes.

Une dernière chose : les gouvernements ont la responsabilité de protéger. Les gouvernements et les agences internationales comme les Nations unies doivent au final engager des actions plus décisives avec les gouvernements lorsque des questions graves se présentent.

Merci Iris et Hans. Voici ma conclusion : Posez des questions. Lorsque des problèmes sont portés à votre connaissance, interrogez les personnes intéressées sur les tenants et les aboutissants. Si une société réalise des affirmations – sur l’origine, l’engagement auprès des communautés ou l’écologie – demandez-lui de les justifier. Et trouvez vraiment qui en assume la responsabilité.

Nous devons parler davantage de due diligence, de façon claire et sans employer de termes techniques. Le nouveau système de garanties du World Diamond Council a pour but de présenter (et d’engager) des négociants dans ce concept. Les ONG considèrent que ce système devrait être renforcé. Dans l’idéal, les négociants et les détaillants complèteront l’outil d’auto-évaluation du WDC et consulteront les principes directeurs plus approfondis de l’OCDE.

Comme d’autres secteurs, l’industrie diamantaire restera sous surveillance, non pas seulement de la part des consommateurs mais aussi des banques et des gouvernements. Il existe des raisons d’espérer, notamment de nouvelles initiatives de valeur et des systèmes de suivi. Hans Merket veut que les miniers de diamants soient certifiés par l’Initiative for Responsible Mining Assurance (IRMA), ce que j’ai présenté ici. Un détaillant voulait apparemment que tous ses fournisseurs soient audités par l’IRMA. Ce détaillant a depuis été racheté mais j’espère qu’il maintient son attitude. (À l’heure où nous publions, aucun minier de diamant n’est certifié par l’IRMA).

Cette industrie n’a pas à rougir de ses réalisations. Malheureusement, certains problèmes doivent être résolus. Certaines personnes pourraient ne pas apprécier que je les pointe du doigt mais ignorer des problèmes ou prétendre qu’ils n’existent pas donne rarement de bons résultats. Il n’y a qu’à regarder ce qui se passe actuellement avec Facebook.

Lorsque l’industrie affirme que « les diamants font le bien », elle doit pouvoir le justifier. Dans l’idéal, nous devrions pouvoir dire un jour : « tous les diamants font le bien. » Les clients doivent au moins savoir ce qu’ils achètent. Rien de tout cela ne sera facile. Mais dans ce nouvel environnement, nous n’avons plus le choix.

Source JCK Online