Notre priorité, mieux comprendre l’extraction minière artisanale et à petite échelle – Elodie Daguzan Rubel & Ménasché

Alex Shishlo

L’Initiative diamant et développement (DDI), l’organisation qui travaille pour l’extraction traditionnelle des diamants, a récemment annoncé la désignation d’Élodie Daguzan comme première ambassadrice de bonne volonté.[:]

Mademoiselle Daguzan, qui travaille actuellement comme responsable de la communication et des relations avec l’industrie pour le diamantaire Rubel & Ménasché, apporte avec elle ses 17 années d’expérience dans l’industrie des diamants et des bijoux. Dans un entretien avec Rough&Polished, Élodie Daguzan a évoqué les défis auxquels elle est confrontée et les programmes mis en place par la DDI.

Quelles priorités vous êtes-vous fixées en tant qu’ambassadrice de bonne volonté de la DDI ?

Chez Rubel & Ménasché, notre priorité est de mieux comprendre l’extraction minière artisanale et à petite échelle (ASM) ainsi que les difficultés rencontrées par ce secteur. Je viens d’un univers très différent de celui de l’ASM ! J’ai 17 années d’expérience dans le secteur diamantaire – dont la majeure partie passée chez Rubel & Ménasché – où j’ai développé des connaissances dans le domaine des diamants, tant au niveau de la technique et de l’industrie que de la joaillerie. Lorsque vous vous trouvez au cœur de Paris comme nous le sommes, l’ASM n’est pas votre principal domaine de compétences !

Néanmoins, cela m’a toujours beaucoup intéressée. Et, grâce à l’équipe de la DDI et aux membres du conseil, j’ai une opportunité extraordinaire d’apprendre directement auprès des experts.

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Il nous semble également primordial de travailler à mieux faire connaître l’ASM dans l’industrie des bijoux, et notamment dans le secteur de la joaillerie. Les challenges quotidiens de l’ASM sont presque impossibles à imaginer à l’autre extrémité de la filière pour les grandes maisons de joaillerie. Nous souhaitons combler ce fossé en partageant des informations et des connaissances, pour réussir à faire disparaître les préjugés qui entourent le secteur.

Enfin, un autre point important pour nous – et c’est en fait un rêve pour moi – est notre volonté de contribuer à changer les mentalités pour que toute l’industrie du luxe comprenne qu’il est dans notre intérêt de prendre soin de notre secteur. Je crois fermement qu’aborder les possibilités de développement de l’ASM peut avoir un impact positif sur toute la catégorie et assurer un environnement plus durable pour toutes les entreprises de la chaîne de valeur.

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« Je crois fermement qu’aborder les possibilités de développement de l’ASM peut avoir un impact positif sur toute la catégorie et assurer un environnement plus durable pour toutes les entreprises de la chaîne de valeur. »

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Quelle est votre plus grosse crainte ?

L’une de nos principales sources d’inquiétude est de ne pas pouvoir offrir à cette mission le temps qu’elle mérite.

Elodie_Daguzan-Rubel_MenacsheNous sommes également très préoccupés par le manque de compréhension et d’information à propos de l’ASM. Il y a encore beaucoup à faire pour changer les mentalités. Le secteur a besoin de notre attention car il en va de notre responsabilité collective  de nous engager et d’aider à soutenir son officialisation, une étape à la fois.

Je suis pourtant optimiste et j’ai une foi aveugle dans notre industrie. Ces craintes vont donc disparaître et laisseront place à l’action. Je suis vraiment touchée du soutien de la DDI et honorée de représenter Rubel & Ménasché. Je suis d’ailleurs très reconnaissante envers notre direction qui m’a donné les moyens de mener à bien ma passion.

Que faut-il faire pour améliorer la réglementation de l’extraction traditionnelle des diamants et créer un marché libre et ouvert pour les mineurs artisans ?

Les responsables de la réglementation – principalement les pays producteurs et le Kimberley Process – doivent prendre conscience de la nécessité de l’améliorer. Je pense que l’impulsion viendra finalement de la société. Nous le constatons actuellement – avec les diamants, avec l’or, et avec les minéraux utilisés pour produire des smartphones et autres appareils technologiques.

Il y a, plus précisément, deux choses qui me semblent essentielles. La première concerne l’enseignement autour des sites miniers ; la deuxième concerne la politique : trouver les moyens d’encourager les gouvernements à reconnaître formellement l’extraction artisanale, afin de créer le cadre légal nécessaire pour travailler de manière responsable.Un effort conjoint de l’industrie et du gouvernement est absolument nécessaire.

L’industrie est prête à fournir des programmes de montée en compétence et elle le fait déjà. Ainsi, en juin 2017, à Anvers, la DDI et le AWDC ont dirigé une formation commune sur l’évaluation du brut pour les représentants du KP issus de quatre pays participants. On peut également citer, plus récemment, le projet pilote GemFair lancé par De Beers en partenariat avec la DDI.

Mais les initiatives de l’industrie ne suffiront pas. Elles doivent pouvoir s’appuyer sur un cadre légal dédié, conçu par des gouvernements engagés, qui comprennent clairement la valeur de l’ASM comme source de développement.

La DDI fait-elle campagne pour encourager la demande de diamants extraits de façon traditionnelle ?

En fait, ce n’est pas le rôle de la DDI. La DDI met en place des programmes sur le terrain qui s’efforcent de soutenir l’officialisation de l’extraction artisanale et de développer les communautés qui comptent sur les sites miniers pour vivre. C’est le mandat principal de la DDI et c’est là que s’exercent ses compétences et son expérience.

Comment s’assurer que les diamants des mineurs artisans soient vendus à prix équitable ?

Une fois de plus, je dirais que cela tient en partie à l’éducation. La DDI assure une formation sur l’évaluation, pour aider les mineurs à mieux comprendre les diamants qu’ils produisent et, ainsi, obtenir une valeur plus précise lorsqu’ils les vendent. C’est d’une importance cruciale car l’éducation engendre l’autonomisation, ou « lempowerment » en Anglais. Le commerce équitable passera par des compétences techniques en termes de diamants.

L’autre aspect décisif est de faire en sorte que la stigmatisation que l’on perçoit autour de l’extraction artisanale disparaisse, car celle-ci peut être réalisée de façon éthique et, ainsi, avoir un impact bénéfique énorme sur les communautés locales. L’industrie tout entière est maintenant pleinement consciente de l’urgence d’officialiser l’ASM. Les diverses initiatives engagées par certains des grands acteurs seront également une force pour changer les mentalités.

Les prix deviendront équitables à partir du moment où les diamants ASM seront désirables grâce aux bénéfices fondamentaux qu’ils apporteront en soutenant le développement du secteur et des communautés environnantes.

Quelle est la part de marché des diamants extraits officieusement de façon traditionnelle ?

Une grande part de l’extraction artisanale est effectuée dans ce que l’on appelle le secteur « informel », ce qui signifie qu’elle échappe à la fiscalité et au recueil des données économiques nationales. L’estimation la plus précise de la DDI varie entre 15 % et 20 % de la production mondiale en volume. En valeur, le chiffre est inférieur mais le total représente malgré tout des centaines de millions de dollars pour les communautés rurales de pays en développement. La DDI mène une recherche qui apportera bientôt plus de lumière sur les niveaux, pays par pays.

À quelle étape en est l’offre des « diamants de développement » pour le marché ?

La DDI a développé un ensemble de références détaillé – le Maendeleo Diamond Standards™ – des diamants issus de l’extraction minière artisanale. Ces références ont été développées en étroite consultation avec le RJC, certains leaders de l’industrie, des gouvernements africains et les mineurs eux-mêmes… La DDI a organisé des groupes d’extraction autour de ces références et met sur pied une surveillance par des tiers pour garantir la conformité. Plusieurs projets pilote ont été exécutés pour mettre ces diamants sur le marché, certains plus réussis que d’autres. La principale difficulté qu’a rencontrée la DDI, ce ne sont pas les mineurs et leur respect des références, mais bien la création d’une voie de commercialisation fiable. La DDI travaille à des projets pilotes pour traiter ces difficultés et espère que GemFair deviendra  une réalité.

Quels sont les pays couverts par les programmes de la DDI ?

Les principales activités de la DDI ont lieu en Sierra Leone et en République démocratique du Congo mais il y en a d’autres en Guinée et au Libéria et des études de faisabilité sont réalisées en Côte d’Ivoire. Des recherches ont été effectuées sur l’extraction artisanale dans plusieurs autres pays, jusqu’en Tanzanie et en Guyane.

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La DDI est-elle confrontée à un problème de financement ?

La DDI est une organisation caritative à but non lucratif et il n’y a jamais assez d’argent pour traiter les challenges auxquels le secteur artisanal doit faire face. L’organisation a reçu un soutien très positif de toute l’industrie et de certains systèmes de financement des gouvernements. Le gouvernement allemand s’est montré particulièrement favorable. L’une des grosses difficultés rencontrée en général est de trouver des donateurs qui comprennent l’importance de programmes durables, sur plusieurs années. Les problèmes de l’extraction artisanale des diamants ne peuvent pas être résolus par des petits efforts d’un an ou deux. Le développement durable a besoin d’un engagement à long terme.

En tant qu’ambassadrice de bonne volonté, c’est un domaine sur lequel je ne peux qu’espérer avoir un impact positif. Je travaille chez Rubel & Ménasché depuis maintenant 7 ans et nous évoluons dans le secteur de la joaillerie. Le seul et unique secteur où le savoir-faire est roi, l’excellence une exigence minimum et la réputation un bien inestimable. Ce segment précis de la chaîne de valeur a un réel intérêt à contribuer au développement de la désirabilité de ce produit, c’est pourquoi j’espère favoriser le dialogue grâce à la connaissance, à une compréhension qui se transformerait en une valeur ajoutée mutuelle et, espérons-le, en un engagement.

À votre avis, quelle est le degré d’efficacité du Kimberley Process pour garantir la transparence sur le marché diamantaire ?

Le Kimberley Process a mis les projecteurs sur le marché international des diamants et a empêché toute opération à grande échelle des diamants du conflit. Il a apporté à l’industrie une transparence vraiment nécessaire. Mais n’importe quel système réglementaire doit s’adapter aux difficultés qui finissent inévitablement par se développer, et le KP a rencontré des difficultés. Le KP connaît actuellement un cycle de révision de trois ans et a créé un comité ad hoc dédié à la révision et aux réformes. L’un des principaux objectifs est le renforcement du mécanisme de révision par les pairs. C’est un point essentiel car il permettra une mise en place adéquate des exigences minimum, ce qui offrira ensuite aux pays participants une surveillance plus précise des mouvements transfrontaliers des diamants.

La DDI participe activement à la révision par le biais du comité ad hoc et espère que les réformes proposées, qu’elles émanent  d’elle comme d’autres participants et observateurs, seront acceptées par la séance plénière et transformées en changements réalisables et concrets.

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Que peut apporter la technologie Blockchain à l’industrie diamantaire ?

La technologie Blockchain est actuellement testée par quelques acteurs de l’industrie, dont De Beers qui travaille au développement d’une solution pour l’industrie. Selon nous, cette blockchain de l’industrie diamantaire viendra compléter les mesures actuelles, comme le Kimberley Process, en proposant un dossier infalsifiable et immuable du parcours d’un diamant dans toute la chaîne de valeur. Elle a le pouvoir de changer les règles du jeu pour l’industrie en abordant certains des grands thèmes de discussion de la chaîne d’approvisionnement.

Elle va favoriser une confiance constante des consommateurs dans les diamants, en organisant un seul grand-livre central contenant un dossier immuable du parcours d’un diamant dans toute la chaîne de valeur et en garantissant son authenticité.

La génération Y participe à la hausse de la demande de synthétiques, cédant aux arguments de ses producteurs qui assurent que leurs diamants ne sont pas associés à l’exploitation de la main-d’œuvre et qu’ils ne nuisent pas à l’environnement. Est-ce un problème pour vous ?

Il est regrettable que les publicités pour les synthétiques profitent de la détresse du secteur de l’extraction artisanale pour promouvoir leurs propres intérêts. En se coupant de l’ASM, les producteurs de synthétiques portent atteinte au moyen de subsistance de plus de 1,5 million de personnes qui travaillent dans le secteur et c’est une question importante. La marginalisation du secteur ne constitue pas une pratique commerciale responsable et ne favorise pas non plus le développement social.

La réponse, ce n’est pas de punir l’ASM, c’est de l’amener jusque dans l’économie formelle, en s’assurant que les creuseurs soient correctement payés, qu’ils travaillent dans un environnement sûr et salubre et que leurs efforts soient respectueux de l’environnement. C’est l’essence même de la DDI.

Source Rough&Polished