Marché du diamant : ce qui a changé dans les vingt dernières années et ce qui nous attend

Isabelle Hossenlopp

Lors de la conférence annuelle de la WFDB (World Federation of Diamond Bourses) qui réunissait les présidents des bourses du monde entier à Shanghai en mars dernier, l’expert Avi Krawitz a analysé l’évolution du marché du diamant depuis 20 ans. Explorant les interactions complexes entre l’économie, la géopolitique, les fluctuations du marché, les nouvelles pratiques et les nouveaux entrants, il a esquissé l’avenir du secteur.

Avi Krawitz a également fourni une analyse critique des récentes tendances à la baisse des prix des diamants de synthèse et ses implications pour l’industrie.

Le marché a connu plusieurs phases d’évolution depuis 20 ans. La période qui précède la crise économique de 2008 a été marquée par la fin de l’hégémonie de De Beers, la création du Processus de Kimberley mais aussi la naissance des réseaux sociaux, phénomène qui va révolutionner les habitudes de consommation (Facebook en 2004, Twitter en 2006 et le premier iPhone qui voit le jour en 2007). La crise de 2008 porte un coup d’arrêt durable à la croissance, entraînant avec elle une nouvelle prise de conscience (réduction du niveau des stocks, respect des règles du marché). Paradoxalement, elle voit aussi gonfler, dès 2009, la bulle économique chinoise qui s’accompagne du développement sans précédent du géant Chow Taï Fook. Dès 2012, les ventes en e-commerce et l’importance prise par les réseaux sociaux modifient profondément les pratiques du retail. Concernant l’éthique et la Responsabilité, le RJC publie son Chain-of-Custody Standards Guidance, définissant les pratiques qui s’appliquent à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Une étape supplémentaire, importante, est franchie, qui guidera l’esprit et l‘évolution des pratiques responsables de l’ensemble des acteurs.

Un autre facteur attire l’attention : le Botswana, très riche en mines de diamants, arrive petit à petit sur le devant de la scène. De Beers y délocalise une grande partie de ses activités et le pays commence à installer des ateliers de transformation du diamant. Il s’émancipe et muscle sa politique vis-à-vis de De Beers, allant jusqu’à une ferme renégociation en 2023 du contrat qui le lie au groupe minier. 

Montagnes russes

Les années suivantes verront se développer un marché apaisé. De nouvelles mines sont découvertes, favorisant un pic de production et la reconstitution des stocks intermédiaires. La pandémie du COVID en 2020 vient de nouveau arrêter brutalement cette expansion, mais elle est suivie d’une rapide reprise du marché, comme un rebond symbolique d’une forme de compensation les deux années suivantes. Les stocks se reconstituent. Mais en 2023, la crise immobilière en Chine, la forte inflation américaine et le grignotage des parts de marché par le diamant de synthèse vont de nouveau âprement fragiliser le marché. Le prix du diamant s’effondre, le chiffre d’affaires de De Beers (par ailleurs obligé d’assouplir la pratique de ses « sights ») est en chute, le marché indien stoppe ses importations de bruts pendant 3 mois fin 2023.

Les prochains défis

Avec ce bilan morose, quels sont les défis qui se posent à l’industrie du diamant aujourd’hui. Selon Avi Krawitz, ils sont au nombre de cinq :

  • L’économie

Les ménages consomment moins, même si les achats de bijoux en diamants ne faiblissent pas. Une tendance à l’épargne se fait jour. Celle-ci, qui équivalait à 10% du revenu disponible habituellement, atteindrait 15% aujourd’hui.

Les clients du luxe s’orientent aussi vers un autre type de dépenses, plus axé vers l’expérience (sorties, voyages) que vers la possession. Les détaillants restent prudents dans leurs commandes dans un contexte économique peu dynamique (Chine, USA). L’Inde est de plus en plus observée comme pouvant devenir le prochain marché à ne pas négliger.

  • La géopolitique

Les ventes de diamants russes ont, paradoxalement, augmenté en 2023. Alrosa affiche un chiffre d’affaire en hausse de … 9%. Irait-on vers un marché à deux vitesses ? L’un privilégierait des diamants parfaitement tracés, l’autre serait plus tolérant sur l’origine. Si c’était le cas, les premiers pourraient voir la valeur de leurs pierres augmenter sur le marché, tout en ayant la possibilité de créer un storytelling valorisant (« diamonds do good »).

  • L’exemple du Botswana

Le Botswana, par l’intermédiaire de l’ODC (Okavango Diamond Company) prend une place croissante dans l’activité diamantifère du pays. Il est en passe de devenir un important fournisseur de brut, après avoir réussi à négocier avec De Beers un accord très avantageux (commercialiser directement 25 % de la production de diamant, 50% à terme). Parallèlement, le Botswana ouvre progressivement des centres de taille locaux (20 nouvelles « factories » ont vu le jour à Gaborone en 2 ans) et met en place un marketing dédié à ses propres diamants. L’accord ODC-De Beers apparaît comme un cas d’école original qui pourrait trouver des disciples ailleurs. Ce nouveau type de partage de l’exploitation minière, lié aux résultats décevants du groupe, fait sourciller l’Anglo American, actionnaire majoritaire de De Beers, tenté de reconsidérer sa position vis-à-vis du groupe minier. En attendant, De Beers cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement (en Angola par exemple).

  • Le diamant de synthèse

Le diamant de synthèse a connu un véritable boom sur le marché, en particulier aux Etats-Unis où il représenterait déjà la moitié des ventes de bagues de fiançailles. Ce diamant a toute sa place à côté du diamant naturel mais doit être clairement distingué de ce dernier et identifié par les consommateurs. Si le retail l’a largement adopté et propose souvent les deux pierres sur le même point de vente, le diamant de synthèse souffre d’un manque de rentabilité dû à son prix (de plus en plus bas). D’ailleurs, il effectue déjà sa mue. Son potentiel ne serait plus dans le segment « bridal » mais plutôt dans celui du bijou de mode ou encore de la marque propre. La dernière campagne (réussie) de Pandora pour ses collections en diamants de synthèse, en est une preuve « Once in a lifetime is never enough ».

  • La responsabilité

Le défi de la responsabilité a été relancé par la décision du G7 concernant les diamants russes, en raison des conséquences très lourdes que celle-ci fait peser sur le circuit du diamant. Pourtant, le thème de la responsabilité et de la traçabilité peut être une occasion unique de créer un storytelling innovant autour du diamant et de la marque pour créer des relations de confiance avec le consommateur.

Ces cinq thèmes de réflexion façonneront le paysage de l’industrie du diamant demain. Ils ont déjà commencé à le faire. En publiant régulièrement les analyses d’Avi Krawitz ainsi que d’autres experts, nous permettrons aux lecteurs de La Lettre de Rubel & Ménasché de suivre ces évolutions de façon précise.

Retrouvez l’intégralité de la conférence d’Avi Krawitz devant le WFDB à Shanghai ICI