L’industrie du diamant mise tout sur la légitimité

Avi Krawitz

L’industrie diamantaire a renforcé sa légitimité à plusieurs niveaux cette année : davantage de sociétés se conforment désormais aux normes établies par les banques, les organes de réglementation et les fournisseurs, même si un profil « à haut risque » continue de leur être appliqué.[:] Cette amélioration a été laborieuse et elle n’est en aucun cas terminée. Le chemin est encore long avant que le marché abandonne ses traditions, comme la conclusion d’une transaction d’une simple poignée de mains et les bénédictions au son d’un « mazal u’vracha ».

Pourtant, les dirigeants de l’industrie jugent essentiel de faire naître une industrie plus rentable et plus séduisante pour les banques sur le long terme.

« En fait, c’est une stratégie de survie, a expliqué Howard Davies, vice-président du développement commercial de la De Beers. Le marché peut continuer à vivre des turbulences mais les sociétés conformes seront plus à même de gérer la volatilité. »

Les lois internationales ont eu un effet sur les exigences en matière de transparence, d’amélioration des contrôles et de déclaration. L’industrie doit avancer avec son temps, a ajouté Ernie Blom, président de la World Federation of Diamond Bourses (WFDB).


Des liquidités en baisse

Le secteur bancaire a renforcé ses exigences en matière de prêts lorsque les problèmes de conformité sont apparus après la crise financière de 2008 et même avant cela, à l’introduction des lois de Bâle, a expliqué Erik Jens, responsable des clients diamants et bijoux chez ABN Amro.

Parallèlement, le secteur diamantaire a fait l’objet de nouveaux examens, étant donné la diminution de l’emploi des liquidités partout dans le monde.

L’élimination soudaine en Inde des gros billets en roupies en novembre a attiré l’attention sur le marché, même si la mesure n’était pas spécifiquement destinée au marché diamantaire. Bien que la politique de démonétisation du gouvernement ait eu pour but de réduire le blanchiment d’argent, entre autres « activités subversives » en Inde, cela a quasiment gelé les activités dans les boutiques de joaillerie familiales et chez les négociants.

D’autres pays ont engagé ce même type d’initiatives par le passé, mais dans une moindre ampleur. En 2011, l’Italie a interdit les paiements en espèces supérieurs à 1 000 euros, ce qui a eu un effet sur les achats de luxe, et ce même lorsque le plafond a été relevé à 3000 euros cette année. La proposition de l’Allemagne, en février, d’interdire les paiements en espèces à partir de 5 000 euros a été enterrée après avoir déclenché des réactions fortement négatives. Beaucoup considèrent qu’elle pourrait finir par passer.

En théorie, une réduction de l’utilisation des liquidités devrait avoir stimulé la demande de diamants, lesquels, à la différence des liquidités, ont conservé leur réserve de valeur. Mais à mesure que les banques et les régulateurs vont resserrer leurs contrôles, l’industrie sera plus réticente à accepter du liquide ou des paiements réalisés avec de l’argent non déclaré.

Les échanges sur le marché noir étaient peut-être la norme dans l’industrie par le passé mais l’emploi des liquidités a considérablement diminué en raison des lois de lutte contre le blanchiment d’argent, a fait remarqué Ernie Blom. « Il n’est tout simplement plus possible d’utiliser des espèces pour les transactions de plis importants », a-t-il noté.

La feuille de route vers la conformité

Pourtant, l’attitude suspicieuse envers l’industrie perdure et les régulateurs scrutent le marché depuis longtemps en quête de revenus fiscaux non déclarés, en particulier en Belgique et en Israël. À la suite de cela, son profil de risque a été relevé car la perception de transactions en espèces ou non déclarées « terrifie » les banques, étant donné les possibles infractions aux lois de lutte contre le blanchiment d’argent, a expliqué Alan Davies.

Une plate-forme était donc nécessaire pour accroître les niveaux de déclaration et de transparence. Les banques ont exercé des pressions, tandis que le secteur minier et celui du retail exigeaient une plus grande conformité de leurs partenaires de la filière intermédiaire, a noté Erik Jens.

La De Beers a fait de la conformité financière une priorité essentielle lorsqu’elle a mis en place ses exigences pour les nouveaux contrats de sightholders en 2014. Les sightholders se sont alors engagés sur une feuille de route, de manière à parvenir à la conformité d’ici 2017. Ils doivent ainsi produire des rapports financiers consolidés, conformes aux pratiques comptables IFRS, et se soumettre à un audit indépendant mené par un commissaire aux comptes agréé. Ils doivent également satisfaire le ratio d’endettement exigé par la De Beers de 70:30 à compter de 2017.

Les choses changent

Il y a trois ans, seule une poignée de sightholders cotés en bourse disposaient de capacités de déclaration adéquates, a signalé Alan Davies. Aujourd’hui, près de la moitié des 85 sightholders ont réalisé la feuille de route qui leur était imposée, a-t-il déclaré. Et si ce n’est pas encore le cas, ils devront atteindre cet objectif pour l’exercice fiscal qui débute le 1er janvier.

Ce virage vers plus de légitimité et de transparence a lentement influencé le reste du marché.

Preuve en est, a observé Alan Davies, le nombre de sociétés auxquelles la De Beers a accordé le statut « d’acheteurs accrédités », un second niveau de clients autorisés à acheter des marchandises hors programme mises à disposition en plus de l’offre aux sightholders. Les acheteurs accrédités, généralement des petites et moyennes entreprises diamantaires, ont besoin d’un ensemble complet de références de conformité pour être admises. Huit nouvelles désignations ont déjà été faites au cours de la période contractuelle actuelle et bien d’autres demandes ont été déposées, a indiqué Alan Davies.

Ernie Blom a fait remarquer qu’il existe des initiatives similaires au sein des membres des bourses et que la WFDB a fait de la conformité une partie essentielle de son ordre du jour. C’était même le thème du World Diamond Congress qui s’est tenu à Dubaï cette année. L’organisme prévoit d’ailleurs un « séminaire sur le financement des diamants » à Mumbai du 5 au 8 février. Erik Jens a reconnu ces efforts et fait remarquer que les petites et moyennes entreprises avancent dans la bonne direction, en reconnaissant que « l’activité telle qu’elle s’exerçait avant ne va plus fonctionner. »

Après tout, ce sont toutes ces pratiques commerciales traditionnelles que les banques ont commencé par refuser, les amenant à s’éloigner des prêts aux diamantaires. Cela a influencé la fermeture d’établissements comme la Banque diamantaire anversoise (ADB) et Bank Leumi en Israël, tandis que d’autres comme First International Bank of Israel (FIBI) et Standard Chartered Bank ont réduit leurs opérations. Cela a également amené des banques hors industrie à adopter une attitude prudente envers les diamantaires.

Les liquidités posent toujours problème

En Belgique, vous ne pouvez même pas ouvrir de compte bancaire pour vos affaires privées si vous êtes associé au marché diamantaire, a indiqué Shashin Choksi, dont la société Swati Gems, installée à Anvers, fait le négoce du brut et du taillé.

La banque Belfius, un établissement nationalisé belge, a déclaré de façon assez éhontée fin 2015, dans sa « politique d’acceptation clientèle » que : « [elle] n’acceptera pas de relations clientèle avec des personnes ou des entités… dans le cadre d’une activité commerciale relative au marché des armes de guerre ou des diamants. »

Shashin Choksi a affirmé que son compte personnel, qu’il avait ouvert 40 ans plus tôt chez Belfius, ainsi qu’un autre détenu par sa femme depuis 20 ans, ont alors été fermés pour « raisons éthiques » n’ayant rien à voir avec les activités commerciales de sa société. Des centaines d’autres personnes liées à l’industrie diamantaire ont connu des situations similaires, a-t-il affirmé, soulignant qu’il devenait très difficile d’ouvrir un compte en Belgique depuis qu’ADB avait décidé de quitter le marché.

« Le problème, c’est que les banques font disparaître toute une industrie au lieu de s’intéresser aux clients individuels », a indiqué un responsable de l’industrie belge qui a reconnu le problème et fait remarquer qu’il existait un lobbying politique pour atténuer cette situation.

Belfius n’a pas répondu à une demande de commentaires de Rapaport pour cet article.

Trouver de nouveaux financements

Une telle prudence et des lignes de crédit réduites ont mis à jour la nécessité d’une plus grande conformité au fil des années. Avec les progrès réalisés en 2016, le marché commence à constater les avantages de disposer d’une « base plus séduisante pour les banques », a annoncé Alan Davies.

« La professionnalisation dilue le risque et offre aux banques plus de confiance dans les transactions, a-t-il déclaré. Ces références ouvrent des portes dans d’autres banques, mais permettent également d’obtenir un financement non bancaire apparu ces derniers mois. On considère désormais qu’il s’agit d’un financement commercial normal. »

L’industrie belge étudie de nouvelles voies de financement, comme Fin-Tech ou la technologie Block Chain. Elle a également organisé un séminaire sur le financement à Londres le mois dernier pour familiariser le monde de la finance au marché diamantaire.

« Ils ne nous connaissent pas, ils ont donc peur de l’industrie diamantaire, a expliqué le représentant. La réalité de la conformité dans l’industrie a changé mais la perception de la non-conformité existe toujours. Nous essayons donc de combler ce fossé. »

Créer un marché normal

Les progrès sont rapides car d’autres facteurs de risque s’estompent également.

L’introduction de la « taxe carats » en Belgique a été globalement bien reçue et permettra aux sociétés de « se concentrer sur la gestion de leur activité plutôt que sur la gestion de leurs livres comptables, a indiqué Erik Jens. L’impôt permet d’atténuer le risque de l’industrie et les craintes d’évasion fiscale, offrant à la Belgique une position favorable. »

De même, l’Israel Diamond Exchange (IDE) serait sur le point de parvenir à un accord avec les autorités fiscales pour mettre fin à une enquête longue de quatre ans concernant la bourse. Selon Yoram Dvash, le président de l’IDE, l’accord, qui précisera également la façon dont les sociétés diamantaires effectuent leurs déclarations et règlent les taxes rétroactives non déclarées, permettra au marché de se concentrer sur le développement de l’activité dans un environnement toujours difficile.

En effet, les professionnels de l’industrie qui se sont entretenus avec Rapaport News ont averti que, avec un marché diamantaire toujours volatil et des exigences de conformité qui devraient devenir plus strictes dans tous les segments d’activité, les sociétés plus faibles qui ne parviennent pas à la conformité seront soumises à des regroupements inévitables.

Toutefois, pour les sociétés conformes, Erik Jens assure que l’on trouve des budgets disponibles. Et il semble que l’industrie soit bien plus saine qu’il y a un an car davantage d’entreprises sont prêtes à prouver leur légitimité en respectant les normes de conformité que l’on exige d’elles.

« Il a fallu du temps mais de nombreuses sociétés sont en train de changer, de devenir de vraies entreprises avec de vrais business plans, une comptabilité adaptée et des structures solides, a indiqué le banquier. C’est une bonne chose car cela crée un marché normal. Les diamants vont devenir une matière première plus normale du point de vue du marché et du financement. »

Source Rapaport