L’industrie doit trouver un nouveau rythme publicitaire

Matteo Butera

S’il est vrai que les diamants trouvent leur justification dans les émotions, plutôt que dans la nécessité, rien d’étonnant à ce que le marketing soit deux fois plus important que pour d’autres marchandises. [:]Aujourd’hui, les campagnes publicitaires servent deux objectifs distincts : convaincre les clients de préférer les diamants à d’autres produits de luxe, puis les convaincre de choisir une marque spécifique. Dans le temps, les choses étaient bien plus simples : la De Beers investissait lourdement dans la publicité générique.

En 1938, Harry Oppenheimer chargeait l’agence publicitaire N. W. Ayer & Son de créer une campagne marketing pour stimuler les ventes de diamants en Amérique du Nord. Cet événement est considéré aujourd’hui comme l’un des éléments fondateurs de l’industrie. Quelques années plus tard, Ayer & Son lançait le slogan emblématique « A diamond is forever »1. Soixante ans plus tard, il symbolise toujours l’amour éternel.

Au cours des années qui ont suivi, la De Beers a souvent financé de la publicité générique. Dès que les ventes de diamants perdaient du terrain face aux autres produits de luxe, elle passait à l’action pour stimuler les ventes grâce à la publicité. La stratégie était efficace, mais de plus en plus onéreuse : en 2002, la De Beers a décidé de consacrer la somme colossale de 200 millions de dollars par an pour lutter contre la baisse des prix.

Or, de nouveaux concurrents sont apparus dans l’industrie et la De Beers a décidé de mettre un terme à ses campagnes génériques pour se consacrer à sa propre marque. Elle a ainsi transféré ses fonds au profit des marques Forevermark et De Beers Diamond Jewellery.

Ce faisant, elle a déstabilisé l’industrie. Jusqu’alors, et depuis cent ans, la publicité générique servait de pivot sur le marché. Personne n’a d’ailleurs réussi à estimer les conséquences de cette défection sur les ventes, en particulier à une époque où les bijoux en diamants étaient mis à mal par des produits de luxe concurrents.

La De Beers a toujours soutenu que l’industrie pouvait s’en sortir sans publicité générique. Dans un entretien publié l’an dernier sur Rapaport, Stephen Lussier prévoyait l’arrivée d’autres marques, qui rempliraient le vide laissé par la De Beers grâce à leur propre publicité. Il a également mis ces marques en garde : elles devaient « améliorer le pouvoir émotionnel du marketing sur lequel elles s’appuyaient. » M. Lussier avait raison aussi bien dans ses prévisions que dans les conditions qu’il y mettait.

En effet, le vide laissé par la disparition de la publicité générique n’a pas duré longtemps. Détaillants et joailliers – y compris la marque Forevermark de la DTC – se sont mis à chanter les louanges de leurs propres marchandises. Au cours de la saison dorée de trois mois, entre novembre et la Saint-Valentin, les joailliers investissent toujours de grosses sommes dans les campagnes publicitaires.

Or, la qualité et la diversité de ces publicités varient. La grande majorité des spots pour les diamants suivent le bon vieux script qui a fait ses preuves : un homme offre par surprise un bijou en diamants à sa femme, laquelle tombe en pâmoison. Bien souvent, ces spots apparaissent comme une simple pantomime du style qui a fait la réputation des publicités de la De Beers il y a 20 ans.

Les experts en la matière se sont penchés sur la redondance des campagnes publicitaires pour les bijoux en diamants. En 2013, la Harvard Business Review avançait que la publicité pour les diamants serait l’un des rares domaines où l’innovation apparaîtrait contre-productive. Mais avec un stéréotype répété à l’envi, le lien émotionnel qu’il crée avec le public se délite. Plus les gens sont exposés à la même idée, moins ils y prêtent attention. Le message d’amour en lui-même est tout à fait intact, mais il n’y a rien de neuf, aucune idée novatrice pour le véhiculer. Autrement dit, tous les diamants devraient raconter une histoire d’amour, mais pas toujours la même.

Aujourd’hui, l’industrie se réorganise pour s’attaquer au problème du marketing. La World Federation of Diamond Bourses a lancé l’initiative World Diamond Mark, justement dans ce but. Beaucoup y voient la meilleure opportunité d’inverser la lente ascension des prix.

Pourtant, le rythme de la publicité générique doit se détacher de celui imposé par la De Beers. Le défi sera de taille pour la WDM et, à bien des égards, plus redoutable que celui qu’ont relevé les Oppenheimer et Ayer & Son à la fin des années 30. Le monde actuel est bien plus complexe qu’à l’époque et la concurrence des autres produits de luxe est féroce. En outre, les vieux marchés occidentaux deviennent de plus en plus imperméables à la publicité traditionnelle, tandis que de nouveaux marchés sont apparus sur les cinq continents. Chacun affiche une culture et une sensibilité différentes en termes de stratégie marketing. Chacun nécessitera une campagne ciblée.

La WDM aura donc besoin de l’aide de toutes les organisations des diamants et des bijoux pour soutenir ses efforts mondiaux, afin de relever les prix des diamants à leur juste niveau. « Notre travail consiste à monter au créneau et créer un outil qui inspire le client, a déclaré l’année dernière Rami Baron, président du Diamond Dealers Club of Australia, lors de la présentation de la stratégie de la WDM. Mais nous n’agissons pas seul, nous le faisons avec vous. »

Source Rough&Polished


1. Un diamant est éternel.