L’industrie doit-elle continuer à vendre des marchandises russes ?

Rob Bates

Juste avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le minier ALROSA – détenu à 33 % par le gouvernement russe – avait publié son tout dernier rapport sur le développement durable, évoquant l’aide aux communautés, le respect de l’environnement et la priorité donnée à la responsabilité sociale.

Voilà qui est très bien mais est éclipsé par le fait que l’un de ses propriétaires vient tout juste de devenir un paria international.

ALROSA a longtemps essayé d’être un « bon acteur » de l’activité diamantaire. Les dirigeants ont vanté son impact social bénéfique et ses efforts caritatifs. Ils ont même imaginé une marque d’origine russe, notamment parce que ses diamants « ne connaissaient pas les conflits ».

Cela n’est évidemment plus valable maintenant. Car, aussi consciente de son image qu’ait été ALROSA et pour autant qu’elle veuille être considérée comme une société moderne et transparente, l’un de ses responsables, pour un tiers de sa valeur, vient ternir sa réputation à la manière d’un dictateur malveillant. Et après l’invasion de l’Ukraine, la quasi-totalité du monde a tourné le dos au président russe Vladimir Poutine et au pays qu’il dirige. ALROSA n’a pas été épargnée par le tollé international.

Les actions russes en Ukraine ont provoqué un sentiment d’écœurement largement partagé. Les interdictions américaines vident les réserves de vodka et les gouverneurs en appellent au boycott des produits russes dans les rayons des magasins. Et même si les diamants russes n’ont pour l’instant attiré que peu d’attention – et ne financent pas son économie au même titre que le gaz naturel – ils pourraient représenter une difficulté importante en termes de droit et de relations publiques pour l’industrie. La Russie est également une source importante de pierres précieuses, ainsi que le deuxième plus gros producteur mondial d’or et de platine.

Ces derniers jours, une longue liste de sociétés, allant de Walt Disney à Netflix en passant par Apple, ont cessé ou réduit leurs opérations en Russie. Cela montre une chose : il n’est pas honteux pour les sociétés de dire qu’elles ont fait des affaires avec la Russie, puisqu’apparemment presque tous les grands noms l’ont fait, mais elles ont senti la nécessité de prendre position.

Mardi 1er mars, Jewelers of America a adressé un avertissement à ses membres selon lequel, en raison de « graves risques pour l’éthique, la réputation et les aspects juridiques, [il] conseille fortement à ses membres de prendre des mesures afin de cesser d’acheter ou de vendre des diamants, des métaux précieux et/ou des pierres précieuses d’origine russe ou biélorusse. »

L’organisme conseille aux bijoutiers d’obtenir des garanties écrites de la part des fournisseurs selon lesquelles ils ne vendent pas de diamants russes, en utilisant des outils comme le protocole de garantie d’approvisionnement des diamants du US Jewelry Council.

À l’heure où nous publions, parmi les grandes sociétés, seul le détaillant sur Internet Brilliant Earth semble avoir publiquement affirmé qu’il retirait les pierres russes. Signet et Tiffany, tous deux membres d’ALROSA Alliance, n’ont pour l’instant pas répondu aux demandes de commentaires.

Les citoyens américains, européens et britanniques sont toujours autorisés à traiter avec ALROSA, ainsi qu’avec tout organisme russe non sanctionné. (Les sanctions américaines actuelles sur ALROSA portent uniquement sur son émission de nouvelles actions et obligations.)

Ceci dit, les sociétés américaines pourraient avoir des difficultés à payer le brut russe – étant donné le nombre de banques russes sanctionnées – et à recevoir les marchandises puisque de nombreuses juridictions sont maintenant fermées aux avions et aux bateaux transitant avec la Russie.

De plus, si ALROSA fait l’objet de nouvelles désignations – et les sanctions portées contre son PDG traduisent cette possibilité – elles pourraient prendre effet immédiatement, ce qui signifie que n’importe quelle société américaine traitant directement avec le minier pourrait avoir besoin de l’approbation du Département du trésor pour modifier les contrats.

Les sanctions actuelles de l’Union européenne exemptent spécifiquement les diamants russes. (Sont également épargnés les biens de luxe italiens.)

Tom Neys, porte-parole du groupe belge de l’industrie, le Antwerp World Diamond Centre, qualifie cette situation de « logique » puisque les diamants seront achetés de toute façon.

« Une sanction signifie que vous souhaitez léser un tiers sur le plan financier mais ce n’est pas le cas avec les diamants russes, explique-t-il. Ceux-ci trouveront facilement un autre marché en dehors de l’Union européenne. »

Ceci constitue une référence claire au rival d’Anvers, Dubaï, aux Émirats Arabes Unis (EAU). (Les EAU sont considérés comme un point sensible pour les finances russes ; le pays a déclaré ne « pas prendre parti » dans le cas de cette invasion.)

Tom Neys affirme que plus le conflit va durer, plus le marché à Anvers sera affecté.

« Les sanctions actuelles, qui consiste à évincer des banques du système SWIFT, de fermer l’espace aérien européen et de suspendre les vols vers la Russie auront déjà un impact sur l’industrie. Il s’agit d’éléments essentiels dans la logistique du négoce des diamants. »

« Tout dépendra des évolutions futures et de la durée de ce conflit, explique-t-il. Mais là n’est pas la priorité. La priorité est de mettre fin au conflit dès que possible. »

Au cours de la semaine du 21 février, ALROSA a adressé un e-mail professionnel à ses clients, qui commençait par : « Nous espérons que les turbulences internationales ne feront pas de tort aux marchés de l’industrie diamantaire, aux entreprises avec lesquelles nous entretenons des liens étroits partout dans le monde ni aux relations que nous avons bâties au fil des décennies, au travers de nombreuses crises sur notre marché. »

La société a noté que, même si les sanctions américaines bloquent actuellement ALROSA sur les marchés de capitaux américains, la société dispose de solides ressources financières. ALROSA n’était pas inquiète des sanctions portées contre son PDG Sergey S. Ivanov puisque celui-ci ne possède pas d’actifs aux États-Unis. Sur la question des finances, « nous disposons d’une gamme diversifiée de partenaires bancaires, ce qui nous permet de fonctionner normalement, sans aucun retard », a-t-elle déclaré.

Un porte-parole d’ALROSA indique au JCK que le minier « étudie soigneusement les nouvelles conditions de travail en lien avec les sanctions imposées. [… ] Nous faisons de notre mieux pour répondre à nos obligations afin que les entreprises continuent de fonctionner comme à l’ordinaire. »

Mais l’activité n’a rien d’ordinaire à l’heure actuelle. À la fin de son e-mail, ALROSA appelait les personnes concernées à lui adresser leurs commentaires. Voici le mien :

Jusqu’à la fin de cette invasion – et peut-être tant que la Russie n’aura pas changé de régime –, le marché des diamants russes subira de graves conséquences, en particulier les diamants russes d’un minier détenu par le gouvernement.

Bien sûr, le marché a besoin de marchandises – même s’il a ralenti, en partie du fait de ces « événements internationaux ». Vendre maintenant, à des prix parfois inférieurs au marché, lèse une industrie dont ALROSA déclare se préoccuper. Les clients ne devraient pas avoir à choisir entre leurs entreprises et leur conscience – ou la loi.

Ces sanctions sont peut-être nécessaires mais elles auront de très désagréables effets secondaires. L’économie de la Russie est fragile depuis longtemps et ces mesures vont faire souffrir des personnes innocentes, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Malheureusement, nous ne semblons pas avoir beaucoup d’autres options pour arrêter cette invasion.

Au final, Vladimir Poutine et ses acolytes portent la responsabilité de cette horreur, eux et non le peuple russe, dont certains ont risqué leur vie pour protester contre cette action. Il faut espérer que d’autres sanctions cibleront l’élite de la Russie. (D’après Bloomberg, certains Russes fortunés achètent des bijoux de luxe pour éviter que « la valeur de leur épargne ne fonde. »)

ALROSA a évoqué à de nombreuses reprises l’importance de la confiance des clients. L’invasion de l’Ukraine est l’actualité numéro un dans le monde actuellement. L’industrie ne veut pas finir du mauvais côté et son positionnement est assez clair.

ALROSA avait déclaré que son stock de diamants était « à un plus bas historique ». Il est peut-être temps de le laisser se reconstituer.

Source JCK Online