L’industrie devrait cesser de soliloquer. Adressons-nous aux consommateurs ! Andrey Polyakov, WDC

Elena Levina

L’industrie diamantaire mondiale, lorsqu’elle parle de la situation du marché en son cénacle, oublie parfois de dialoguer avec son principal interlocuteur : l’acheteur final de ses marchandises, les diamants naturels. [:]Ces derniers n’incarnent pas tant pour eux une valeur monétaire que des sentiments authentiques partagés. Apprendre à communiquer au consommateur des informations à propos de l’industrie et de ses produits devient aujourd’hui une tâche urgente. Cette question, comme de nombreuses autres, ont été abordées par Andrey Polyakov, le président du World Diamond Council (WDC) dans son entretien avec Rough&Polished.

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Le WDC est confronté à de nombreuses tâches ambitieuses, intégrées à son plan stratégique jusqu’en 2020. Son principal objectif est de renforcer la position de l’industrie au sein du KP. Mais il existe une autre mission, dont vous parlez constamment : l’éducation et l’information à destination des parties prenantes et du public. Pourriez-vous nous en dire plus sur cet objectif ? Qu’est-ce que cela signifie et pourquoi le sujet est-il devenu important ?

Il s’agit d’une tâche complexe, divisée en deux catégories. La première est directement associée aux activités du WDC au sein du Kimberley Process. L’efficacité du KP dépend du niveau de compréhension par les participants du marché diamantaire et ses parties prenantes, principalement les représentants des États, des principes de ce marché et du mécanisme du KPCS. Aujourd’hui, le WDC continue de transmettre ces informations aux parties prenantes, par exemple sous la forme de guides, de séminaires ou d’autres formes d’enseignement diverses. L’objectif premier de ces supports est d’expliquer ce qu’est le KPCS, en quoi il est nécessaire et les exigences à satisfaire pour y participer.

La seconde catégorie de cet effort de formation revêt un caractère plus international. Le WDC doit former les personnes extérieures à l’industrie diamantaire qui ne comprennent généralement pas très bien les technologies de l’extraction minière et de la taille, la vie d’un mineur ou d’un tailleur, la réglementation vigilante de l’industrie ainsi que sa contribution à l’économie mondiale.

Je sais bien que la situation est la même dans plusieurs autres industries. De nombreuses personnes partout dans le monde conduisent des voitures sans avoir aucune idée de la manière dont elles fonctionnent. Les gens utilisent des ordinateurs mais s’intéressent très peu au lieu ou à la façon dont ils ont été assemblés. À l’inverse, notre produit est unique, il exige une approche de production particulière et sans nulle autre pareille. Le diamant a une signification symbolique, il exprime les émotions d’une personne. Les ventes de diamants taillés dans le monde dépendent de la perception qu’en ont les clients. Par conséquent, l’un de nos axes principaux est d’informer les consommateurs sur tout le bien que fait l’industrie diamantaire partout dans le monde. C’est une activité véritablement unique et sa structure ramifiée emploie actuellement plus de 10 millions de personnes et soutient l’économie de plusieurs pays dans le monde.

Si j’ai bien compris, c’est le principal objectif de la Diamond Producers Association, créée il y a deux ans.

Ceci n’est que partiellement vrai, la principale tâche de la DPA est de mettre en œuvre des programmes de marketing générique pour tenter de rappeler la signification symbolique du diamant à la jeune génération. C’est un grand défi en soi. Toutefois, le sens symbolique n’est pas la seule information dont le consommateur ait besoin. Le client d’aujourd’hui ne ressemble pas à celui d’hier. Il est moins préoccupé par la richesse et le statut et il accorde plus d’attention au comportement proactif, à la responsabilité sociale, à la contribution faite pour améliorer le monde. Le consommateur moderne veut être certain d’acheter des marchandises produites en accord avec des normes éthiques et environnementales et, bien entendu, qui ne soient pas associées à un conflit ou à de la violence.

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Le marché diamantaire est un modèle dans ce domaine. C’est l’un des secteurs les plus transparents, les plus socialement responsables et les plus portés sur la science. Nous devons donc continuer à informer le monde de ses efforts. Les sociétés d’extraction minière de diamants ou les grands détaillants sont souvent en contact avec les médias mais parlent principalement de leurs performances ou font la publicité de leurs propres marques. Les organisations de l’industrie s’occupent essentiellement des questions de réglementation, elles sont donc plus concentrées sur les activités B2B. Le rôle du WDC est de raconter toute l’histoire de la production des diamants, pour tenter de former des groupes de consommateurs socialement responsables, toujours plus nombreux.

Par exemple, l’industrie sait ce qu’est le Kimberley Process et ce qu’est un certificat du KP. Mais si vous posez cette question à l’homme de la rue, vous obtiendrez le résultat inverse. Les gens ont une connaissance superficielle des diamants du conflit, liée à ce qu’ils ont appris dans les films de Hollywood et les publications scandaleuses. Ils ne savent pas que ce problème a été éradiqué et qu’en fait, plus de 99 % des diamants actuellement dans la chaîne d’approvisionnement sont certifiés sans conflit grâce aux efforts constants de l’industrie.

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« Le marché diamantaire est un modèle dans ce domaine. C’est l’un des secteurs les plus transparents, les plus socialement responsables et les plus portés sur la science. »

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En théorie, une interaction entre la DPA et le WDC est possible. La DPA réunit les miniers afin de mener des programmes de marketing générique en utilisant des technologies de communication modernes. Le WDC rassemble toute l’industrie, de l’extraction minière jusqu’au retail, dans le cadre du Kimberley Process. Nous n’avons pas encore parlé d’événements spécifiques mais je pense qu’il existe une opportunité de synergie entre nous.

Vous n’avez pas évoqué d’événements particuliers mais vous avez peut-être des idées ?

Notre principal objectif est la transparence. L’une des façons d’y parvenir est d’organiser une visite de presse mondiale pour des journalistes du monde entier, dans tous les domaines de l’activité diamantaire. Nous pouvons leur montrer l’extraction minière en Russie et en Afrique, les échanges dans les grands centres diamantaires, la taille à Surat, le retail aux États-Unis. Les gens doivent comprendre les histoires des personnes impliquées dans ce processus et constater concrètement la véritable beauté de l’industrie diamantaire. Cette industrie fait appel à de la haute technologie, elle offre des emplois à des millions de personnes, leur assure une sécurité sociale et leur permet d’être éduquées. Nous pouvons en parler mais c’est encore mieux si les gens le voient par eux-mêmes.

Dans l’ensemble, l’éducation n’est pas un processus rapide mais elle est pourtant essentielle à l’avenir de notre industrie. Aujourd’hui, le consommateur ne trouve pas ces informations dans les médias et ne peut pas les obtenir dans les boutiques de joaillerie. Étant la voix de l’industrie au KP, il est de notre devoir de les lui apporter.

Les fabricants de synthétiques semblent plus performants dans le domaine de l’information. Récemment, nous avons préparé une analyse des ventes de pierres synthétiques et nous avons découvert que, dans leurs publicités, ils comparent souvent leurs produits aux diamants naturels, qualifiant ouvertement ces derniers de diamants du conflit et de sources de pollution.

Je comprends la logique des fabricants de synthétiques. Ils ont besoin de commercialiser un nouveau produit sur un marché qui existe depuis des centaines d’années et qui a nourri économiquement de nombreux pays. Le marché est extrêmement saturé. Il existe même déjà d’autres produits, en plus des synthétiques, considérés comme des substituts aux pierres naturelles, notamment le zircon cubique. Je suis tombé un jour sur une discussion intéressante sur un des grands forums américains. L’utilisateur demandait s’il devait acheter une pierre synthétique. Il y a eu de nombreuses réponses du type : « Qu’est-ce qu’un diamant synthétique ? Est-il authentique ? Vous feriez mieux de prendre du zircon, au moins c’est un produit que l’on connaît, une valeur sûre. »

Il est évident que les producteurs de synthétiques doivent trouver quelque chose pour attirer l’attention du public. Dans ce genre de cas, les jeunes sociétés, quel que soit le marché, utilisent souvent des techniques « à scandale », notamment des comparaisons avec la concurrence et le discrédit.

La façon la plus évidente d’atteindre leur objectif, à savoir entrer sur le marché, consiste à déclarer que les diamants naturels sont mauvais. On a entendu dire, par exemple, qu’acheter une pierre naturelle véhiculait de mauvaises énergies. Même si ce n’est pas vrai, le fait de lire de telles déclarations ou de les voir en photo peut donner une impression négative ou faire naître le doute. Puis l’on propose ensuite une alternative comme l’achat d’une pierre de laboratoire, qui ne peut pas être associée à un conflit puisqu’elle n’a même pas été extraite du sol.

Par ailleurs, le cœur de publicités aussi agressives est publié sur les réseaux sociaux et dans des vidéos en streaming que de jeunes gens peuvent voir. La génération Y réfléchit en mosaïque, ils perçoivent le monde sous forme d’images courtes et dynamiques. Par conséquent, l’image d’un « diamant du conflit » sera plus convaincante pour eux qu’un long article sur le fait que les diamants du conflit n’existent plus. À cet égard, je peux dire que les producteurs de synthétiques utilisent de façon très professionnelle les moyens de communication modernes.

Il semble que personne ne cherche à protéger la réputation des pierres naturelles mises à mal par ces publicités.

Personne ne le fait vraiment pour le moment. Mais cela doit être fait. D’après ce que j’ai compris de conversations avec des collègues dans le secteur, nous verrons bientôt des étapes concrètes allant dans ce sens. L’idée est notamment de faire appel à la protection juridique car, dans certains cas, ces publicités contiennent des informations délibérément fausses qui discréditent les pierres naturelles et leurs fabricants. Des organisations de l’industrie pourraient se porter partie civile. Nous ne cherchons pas à interdire les synthétiques ni à obtenir des dédommagements astronomiques. Le but est de maintenir le marché civilisé actuel qui s’est créé grâce au KP et à toutes ses parties prenantes.

Cela signifie-t-il que vous considérez les diamants synthétiques comme un concurrent à part entière des pierres naturelles ?

Il semble que les producteurs de synthétiques se perçoivent eux-mêmes de cette façon. Je considère que les pierres synthétiques sont un produit de niche séparé et qu’ils méritent que l’on y prête attention. De nombreux autres produits ont leurs options « alternatives ». Il y a un marché pour la fourrure et le cuir naturels et un autre pour leurs équivalents artificiels. Il y a des bijoux en métaux précieux et des bijoux de mode. De même, il y a des diamants naturels et des cristaux Swarovski, qui ont leurs propres adeptes. Les diamants synthétiques peuvent également trouver leur public.

J’insiste simplement sur le fait que les producteurs de synthétiques doivent fournir des informations exhaustives sur leurs produits. Pour l’heure, les synthétiques sont souvent associés à un certain degré de dissimulation ou de fausses déclarations. Par le passé, nous avons vu des synthétiques mélangés illégalement à des diamants naturels dans des plis. Cette pratique constitue une fraude directe à l’encontre des acheteurs de diamants, qu’il s’agisse des joailliers qui ont acheté le pli pour créer un bijou ou de clients du retail qui ont décidé d’acheter une bague. Imaginez votre état d’esprit si l’on vous vendait un manteau en fourrure synthétique en vous affirmant qu’il est naturel. Et on assiste aujourd’hui à un autre problème : des publicités malhonnêtes et injustes faisant la promotion des diamants synthétiques  et qui ne décrivent pas les avantages des produits mais se contentent de dénigrer les pierres naturelles.

Toutefois, je ne pense pas que cette rhétorique « agressive » contre les pierres naturelles soit la position de principe des producteurs de synthétiques. Je dirais plutôt qu’il s’agit de négligence de la part de leurs spécialistes du marketing. Au final, elle risque pourtant de se retourner contre tout le marché diamantaire, et pas seulement les pierres naturelles. Le consommateur d’aujourd’hui reçoit de grandes quantités d’informations. Que peut-il en apprendre ? Qu’il y a des pierres naturelles, qui sont bonnes ou pas, qu’il y a des pierres artificielles qu’on ne peut pas appeler des diamants. À un moment ou un autre, le consommateur risque simplement de tourner les talons et de dire : « Je préfère carrément éviter les diamants, c’est trop compliqué. »

Ne pensez-vous pas qu’un document de confirmation quelconque rassurerait le consommateur bien plus que des mots et des publicités ? Aujourd’hui, le client n’apprend pas grand-chose sur la pierre dans la boutique. Dans le meilleur des cas, il reçoit un certificat avec les 4C.

C’est une nouvelle période compliquée, principalement due à la structure complexe de notre activité. Par exemple, vous pouvez confirmer qu’une pierre n’est pas issue des conflits grâce à un certificat du KP. Mais le KPCS ne s’applique qu’aux diamants bruts. Tout ce qui se passe au cours des étapes suivantes, dans la production d’un bijou, n’est pas soumis à la réglementation et reste affaire de conscience pour les diamantaires. Bien entendu, aujourd’hui, de nombreux tailleurs et détaillants déclarent volontairement soutenir une activité responsable et se sont engagés à n’utiliser que des pierres exemptes de conflit. Mais une fois de plus, pensons au client : peut-il croire les vendeurs sur parole, en particulier s’ils achètent non pas chez une marque ayant pignon sur rue mais dans une petite boutique ? Le client d’aujourd’hui a besoin de plus de garanties que de simples déclarations orales qui nous sont assénées à la télévision des centaines de fois par jour.

Au sein du WDC, nous avons créé le Système de garantie pour étendre la preuve d’absence de conflit dans l’origine des pierres à toute la filière diamantaire, jusqu’au consommateur du retail. Bien sûr, c’est un système de déclaration purement volontaire, dans lequel chaque membre de la chaîne garantit n’utiliser que des pierres sans conflit. Aujourd’hui, nous réfléchissons à prolonger ce programme pour obtenir un document qui sera adressé aux consommateurs de retail. Il pourrait s’agir d’un document transversal unique, qui accompagne la pierre de la production à la boutique, ou d’une marque commune qui pourrait être imprimée sur les factures. Quoi qu’il en soit, le client final obtiendraient une preuve écrite que la pierre qu’il va acheter n’est associée à aucun conflit.

De nombreux détaillants et organisations de l’industrie proposent également leurs propres systèmes de garantie aujourd’hui. Cela ne risque-t-il pas de semer la confusion dans l’esprit du consommateur ?

En règle générale, je ne pense pas qu’il puisse y avoir « trop de garanties ». Si un détaillant est confirmé par le Système de garantie du WDC et par plusieurs autres systèmes, cela ne peut que renforcer la confiance des clients dans le produit. De plus, le Système de garantie pourrait simplement être harmonisé avec d’autres. Son avantage est son statut officiel. Le WDC est un Observateur du Kimberley Process, il participe aux missions d’examen et développe le mécanisme du KPCS. Sa structure et ses compétences uniques sont la meilleure garantie pour le consommateur.

Quant à citer un autre système, j’aimerais mentionner tout particulièrement le RJC car cet organisme fait un travail unique. Le RJC mène des vérifications indépendantes pour confirmer à la fois l’origine des pierres et les pratiques d’activité responsable. Le vérificateur contrôle non seulement les questions standard de transparence financière et de conformité réglementaire mais également les principes éthiques : lutte contre la corruption, droits de l’homme, conditions de travail décentes, programmes de responsabilité sociale, protection de l’environnement.

Je pense que la meilleure façon de donner confiance aux clients est d’associer ces deux systèmes, de les utiliser ensemble. Je serais particulièrement heureux que le RJC devienne membre du WDC. Je pense que leur expérience précieuse serait utile pour tout le marché diamantaire.

Source Rough&Polished