L’histoire du diamant en 2014

Avi Krawitz

La réduction du crédit bancaire proposé à l’industrie diamantaire a changé la règle du jeu et aura une influence sur le marché pendant de nombreuses années encore. Il nous a donc semblé que le crédit bancaire est le sujet le plus important de l’année 2014, devant d’autres concurrents tout aussi sérieux.[:]

Le ton était déjà donné fin 2013, lorsqu’ABN Amro a averti ses clients fabricants que, dès le 1er janvier, elle ne financerait plus que 70 % des achats de brut, et non plus l’intégralité comme elle le faisait avant. D’autres banques se sont mises à appliquer des mesures similaires lorsque leurs propres exigences de conformité et de transparence les ont obligées à prêter à des sociétés et des industries solides et fiables.

L’année 2014 a montré que le marché diamantaire avait encore un long chemin à parcourir pour améliorer sa « bancabilité », un terme inventé par Erik Jens, le PDG d’ABN Amro, lors de la récente Conférence mondiale sur le diamant à New Delhi (voir l’éditorial « Normalisation du marché », publié le 19 décembre 2014). La bancabilité, autrement dit l’attractivité pour les banques, est l’association entre rentabilité et transparence, a-t-il expliqué. Erik Jens a souligné que les opérations de l’industrie n’avaient pas suffisamment brillé en la matière pour attirer les prêteurs.

La décision de fermer la Banque diamantaire anversoise, qui prête environ 1,6 milliard de dollars à l’industrie, a accentué l’urgence de trouver de nouveaux vecteurs de crédit. Avec le recul du crédit bancaire, les sociétés ont dû financer seules une plus grande partie de leurs achats de brut, au détriment de leur position sur le marché.

Étonnamment, la demande de brut est restée assez solide pendant la majeure partie de l’année 2014, en particulier en ce qui concerne l’offre principale des grands miniers. Selon Anglo American, l’indice des prix du brut de la De Beers a progressé de 7 % en 2014, alors que les estimations suggèrent que les prix du marché secondaire sont restés quasiment inchangés sur l’année, avec une baisse au second semestre.

Parallèlement, les prix du taillé ont reculé dans toutes les catégories, à l’exception des 0,50 carat à 0,90 carat, comme le montrait l’indice RapNet (RAPI™) à l’heure où nous mettions sous presse, le 25 décembre. Une étude approfondie des prix du taillé sera publiée prochainement dans le rapport statistique de Rapaport pour 2014, de l’édition de janvier du magazine Rapaport.

Étant donné le déséquilibre entre les prix du brut et du taillé, les fabricants se sont régulièrement plaints des faibles marges bénéficiaires, voire de leur absence totale. Les liquidités ont posé de plus en plus problème dans les centres de taille.

Le sujet de l’année aurait pu porter sur la rareté des liquidités. En effet, la baisse du crédit bancaire, les faibles marges bénéficiaires, une demande mondiale en berne et des retards de certification au Gemological Institute of America (GIA) ont contribué à la stagnation des flux de trésorerie chez les fabricants. En réalité, chacun de ces facteurs a fait l’objet d’une étude, en raison de son influence notable sur le marché diamantaire en 2014.

Après avoir investi davantage d’argent pour régler du brut au comptant, les fabricants ont attendu plus de six mois que le GIA le lui renvoie. Ainsi, entre l’achat du brut et sa fabrication puis sa certification, ils n’ont été payés que neuf mois à un an plus tard, lorsqu’ils ont pu vendre le taillé – bien souvent en accordant des conditions de crédit généreuses à leurs acheteurs.

Ceci dit, une réduction des retards au GIA aurait pu engendrer un flux excédentaire de taillé, entraînant une baisse des prix. En un sens, les retards du GIA ont aidé à soutenir les prix du taillé pendant l’année. Pourtant, l’année s’est terminée avec une offre excédentaire dans toute la chaîne de distribution, en partie du fait de retards moindres au GIA récemment.

[two_third]Or, avec une demande relativement faible, les stocks ont également augmenté. Même si la demande américaine est restée satisfaisante, d’autres marchés se sont montrés prudents pendant la majeure partie de l’année. Remarquons surtout que l’incertitude s’est infiltrée sur le marché avec le ralentissement de la croissance économique en Chine et l’intensification de la campagne anticorruption du gouvernement. Parallèlement, l’Inde espère toujours que le premier ministre Narendra Modi, « l’ami de l’industrie » récemment élu, rétablira la croissance économique et la confiance des consommateurs. 

Les fabricants étaient ainsi sous pression aux deux extrémités, tentant de jongler avec du brut onéreux et une faible demande de taillé. [/two_third][one_third_last]

« Les fabricants étaient ainsi sous pression aux deux extrémités, tentant de jongler avec du brut onéreux et une faible demande de taillé. »

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Les miniers ont revendiqué l’influence la plus active sur le marché, après une année record, sur fond de prix élevés pour le brut. En effet, Rapaport estime que les ventes de brut de la De Beers ont progressé de 14 %, à plus de 6,5 milliards de dollars, tandis que les niveaux de production sont restés essentiellement stables.

Les détaillants de bijoux, quant à eux, ont précautionneusement géré leurs niveaux de stocks et poursuivi leurs regroupements. Sans aucun doute, l’histoire la plus médiatique de l’année a été l’acquisition de Zale Corporation par Signet Jewelers. Chow Tai Fook a également attiré l’attention en achetant la marque de diamants haut-de-gamme Hearts on Fire.

Les détaillants ont également continué à optimiser leurs activités, en empiétant sur l’espace des fabricants. Le brut vendu aux joailliers a dépassé tous les niveaux jamais obtenus. Étant donné les marges bénéficiaires supérieures dont profitent les détaillants de bijoux, ils sont sans conteste plus aptes à payer du brut onéreux que les fabricants traditionnels.

Fabricants et négociants considèrent donc 2014 comme une année difficile. Leurs relations avec les laboratoires ont également fait l’objet d’examens dans une étude de Rapaport sur les incohérences de certification, après que le groupe Rapaport a banni EGL de son réseau de négoce RapNet.

Mais 2014 n’a pas été totalement négative. La demande de diamants de la part des consommateurs devrait avoir légèrement progressé et d’autres initiatives sont nées pour accentuer le marketing et les marques dans l’industrie.

L’année a également connu des périodes d’échanges plus solides. Le premier trimestre a été assez rentable pour le marché, les détaillants de bijoux s’étant réapprovisionnés après la période des fêtes. Les fabricants ont profité d’une certaine rentabilité et vendu plus cher le taillé fabriqué à partir du brut acheté à l’occasion de la chute des prix au quatrième trimestre 2013.

Mais malgré cette augmentation des prix au premier trimestre, les hausses n’ont été que de courte durée. Il en a été de même des marges bénéficiaires des fournisseurs car les prix du brut ont augmenté simultanément et plus fort. Les marges se sont resserrées à partir du mois d’avril environ.

Des fabricants abasourdis ont continué d’acheter du brut en injectant davantage de leur propre argent. Ils n’ont cessé d’être confrontés à un choix draconien : réduire leurs opérations ou maintenir leurs usines en fonctionnement et leurs ouvriers au travail, mais à perte, dans l’attente d’un nouveau trimestre solide, comme au début de 2014. Peut-être vont-ils comprendre que la fierté a fait obstacle à la pratique et que leurs difficultés perdureront jusqu’en 2015. 

Les banques vont certainement les faire changer d’état d’esprit. Le marché n’a tout simplement plus suffisamment de liquidités pour continuer à financer la rentabilité de ses fournisseurs miniers et de ses clients détaillants. Pour obtenir davantage de crédit bancaire, les fabricants devront montrer qu’ils gèrent des entreprises viables, prudentes et attractives pour les banques.

Erik Jens a fait remarquer qu’il y a de l’argent de qualité pour les clients de qualité. Mais les banques veulent plus de contrôle sur les actifs, des rapports consolidés et une gouvernance d’entreprise précise. Les fabricants et les détaillants devront réduire leurs niveaux de stock et limiter leur rôle de financiers de l’industrie en payant le brut comptant et en accordant du crédit lors des ventes de taillé. Ils devront également prouver la valeur ajoutée qu’ils apportent sur le marché.

Pour entrer dans les bonnes grâces des banques, l’industrie devra se montrer plus transparente dans ses opérations, ses systèmes et ses déclarations. Les banques étudient aussi de plus en plus les activités de responsabilité sociale d’entreprise de leurs clients, ainsi que leurs normes éthiques. Travailler en confiance, comme se le permet l’industrie depuis toujours, n’est tout simplement plus suffisant.

Cette année a montré que l’industrie doit rompre avec le cycle de la rentabilité et des liquidités limitées, qui dure depuis si longtemps. C’est pourquoi bon nombre des candidats pour l’article de cette rubrique en 2014 ont été mis de côté, du fait de leur incapacité à rompre avec cette tendance malsaine. Aussi pénible que cela puisse être, la réduction du crédit bancaire et les nouvelles exigences des banques ne visent qu’à cela. Et ce faisant, elles devraient permettre des années plus rentables pour le marché que l’année 2014.

Source Rapaport