Les ventes de l’industrie doivent se transformer, selon le PDG de Lucara Diamond

Rob Bates

Au cours de la semaine du 24 août, Eira Thomas, PDG de Lucara Diamond, propriétaire de la mine Karowe au Botswana, a adressé une lettre ouverte à l’industrie diamantaire, pour faire la promotion de Clara, la plate-forme commerciale achetée par Lucara il y a deux ans.

Dans cet entretien, Eira Thomas évoque la façon dont, selon elle, Clara pourrait modifier le modèle des ventes actuel de l’industrie, l’accord de Lucara pour vendre toutes ses pierres Specials à HG Group et son avis plus général sur le marché diamantaire à l’ère de la Covid-19.

JCK : Pourquoi avez-vous envoyé cette lettre ouverte ?

Eira Thomas : Nous avons voulu sensibiliser le public. ALROSA, De Beers et d’autres grands acteurs ont déjà énoncé à plusieurs reprises la nécessité de se moderniser et de changer les choses. Pour nous, il s’agit d’annoncer ce que nous avons déjà accompli.

Je pense qu’il règne une certaine confusion autour du concept de modernisation de l’industrie. On trouve une première approche qui a trait à la numérisation du paradigme des ventes actuel. Ce n’est pas le rôle de Clara. Nous sommes en train de transformer totalement la façon dont nous vendons les diamants. C’est la seule plate-forme sur laquelle vous pouvez acheter des diamants individuels, en fonction d’une demande spécifique. Créer une chaîne d’approvisionnement plus efficace pourrait permettre de débloquer une valeur très importante.

La Covid-19 a largement accéléré ce mouvement. Du fait des restrictions imposées à tous, il nous a fallu trouver de nouvelles manières de conclure des transactions et c’est ce que permet Clara. Cela est utile puisqu’il existe actuellement de véritables restrictions de déplacement dans le monde. Les gens peuvent commander des diamants depuis chez eux, comme s’ils commandaient des capsules de café pour leur machine à expresso.

En quoi Clara apporte-t-elle de la valeur ?

Si vous réfléchissez bien à la façon dont le monde fonctionne, les diamants sont vendus sous forme d’assortiments de pierres brutes, puis nous créons des paquets ou des lots pour lesquels on espère des offres ou, dans le cas de De Beers, on passe par le système des sights. Les fabricants envoient ces diamants à leur usine, puis les analysent.

Une grande partie de ces fabricants ne peuvent exploiter qu’une partie du lot qu’ils ont acheté. Cela génère des pertes d’efficacité importantes. Clara, en revanche, permet d’analyser le diamant dès le départ, afin de déterminer son rendement une fois taillé. Ainsi, les fabricants n’achètent pas de brut, ils achètent du taillé. Ils nous exposent ce qu’ils veulent réaliser : « Nous voulons dix rondes de 1 carat, à tel prix. » Nous avons alors une ébauche. Clara recherche dans son stock de brut et trouve les pierres qui correspondent parfaitement au fabricant.

Tout se fait en coulisses. Personne ne voit les offres des autres utilisateurs. Clara trouve la commande présentant la plus haute valeur pour une demande ou une pierre donnée et attribue des diamants en fonction de requêtes spécifiques. Le véritable atout, c’est que personne n’a besoin de sortir de sa zone de confort. Si vous passez une commande et que vous n’obtenez rien, vous pouvez attendre qu’une pierre correspondant à vos critères se présente.

Généralement, les producteurs vendent des assortiments, rassemblant des diamants « plus attractifs » et des diamants « moins attractifs ». En quoi ce modèle est-il meilleur ?

Cela a été un apprentissage important pour moi. Nous avons tous la même sensation, celle qu’il existe des diamants plus désirables que d’autres. Les diamants finissent tous par être utilisés. Ils reviennent finalement à la bonne personne, celle qui dispose d’un point de distribution adapté. Pourquoi ne pas y envoyer ces diamants directement, dès la première étape, sans avoir à passer par dix transactions ? Apportez-les à la personne qui en fera quelque chose et optimisez la valeur. Sur Clara, les diamants indésirables n’existent pas.

Lorsque vous regardez un assortiment, il est possible que 20 % de son contenu ne soit pas nécessaire au fabricant. De fait, le fabricant réalise une offre moyenne. Il ne va jamais faire sa meilleure offre. Le producteur ne reçoit jamais la meilleure proposition, il reçoit une offre moyenne, traduisant la capacité de cette personne à vendre tous les diamants.

Les clients de Clara font une offre sur leurs catégories de niche. C’est la raison pour laquelle les producteurs reçoivent au final plus d’argent. Vous vendez le diamant au bon acheteur.

Et vous créez ainsi un marché stable, qui fait le lien entre les secteurs du brut et du taillé de façon bien plus durable. Bien évidemment, le marché du taillé est mouvant et les fabricants peuvent ajuster leur offre à n’importe quel moment.

Les coûts d’expédition sont-ils plus importants du fait qu’il faut distribuer de grosses commandes dans de petits envois ?

C’est vrai qu’il existe des coûts logistiques. L’envoi d’une pierre est coûteux mais il est rare que nous n’en envoyions qu’une. L’objectif est de réaliser des ventes continues. À plus long terme, lorsque nous nous serons constitué une offre suffisante, nous espérons pouvoir vendre toutes les deux semaines.

Quel est le niveau de précision de la plate-forme en ce qui concerne le rendement de la taille ?

Elle est très précise. Au départ, les gens achetaient quelques pierres et observaient le résultat. Aujourd’hui, ils les envoient directement à l’usine. À force d’acheter des assortiments réguliers, ils se familiarisent assez vite avec le système. Certaines pierres donnent de meilleurs résultats que prévus, d’autres sont plus décevantes. Il y a donc toujours des variations mais ces variations paraissent limitées et deviennent prévisibles.

Vous le savez, il existe une sorte d’effet rebond dans l’industrie, dans le sens où les variations de la demande de taillé produisent généralement de plus grosses variations à la hausse et à la baisse sur la demande de brut. Votre système peut-il aider en ce sens ? 

C’est tout ce que nous espérons. Nous sommes fatigués de ces essors et récessions. Nous voulons un marché stable, avec des marges fiables pour tous les participants. Oublions les scénarios dans lesquels, lorsque les producteurs font de bons résultats, les fabricants y perdent. Pourquoi n’est-il pas possible d’aligner toute la chaîne de production ?

Par ailleurs, Clara améliore la transparence. Tous les acteurs de l’industrie admettent que la question de l’origine est la plus importante. Vous pouvez procéder à un filtrage pour accéder à des diamants du Botswana ou du Canada. Vous pouvez indiquer si vous souhaitez de la fluorescence.

En quoi cela vous a-t-il aidé ?

Avant la Covid-19, nous profitions de marges satisfaisantes, meilleures qu’avec les tenders. Ce qui nous importe, ce ne sont pas tellement les marges, car nous pensons qu’elles vont reculer à long terme, lorsque nous intégrerons la production de tiers à la plate-forme. Pour nous, vendre la production de tiers, c’est là que réside la véritable opportunité.

Nous avons l’intention d’ouvrir Clara au monde entier. L’offre que nous proposons actuellement sur Clara ne satisfait pas la demande. La demande est pourtant là. Nous nous sommes régulièrement améliorés au cours des six dernières ventes environ. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une offre supplémentaire.

Clara pourra également traiter des marchandises d’occasion, si celles-ci sont qualifiées et certifiées et que nous savons d’où elles proviennent.

Des tierces parties ont-elles déjà embarqué dans l’aventure ?

Nous sommes en pourparlers. Nous avons mené deux essais avant la Covid-19. D’ici la fin de l’année, nous espérons pouvoir ajouter une nouvelle production de tiers.

Les grands acteurs sont-ils intéressés ?

Nous avons parlé à tout le monde. Je ne peux pas vous indiquer les noms du fait des accords de confidentialité. La Covid-19 a incité les gens à se concentrer sur ce genre de choses.

Y a-t-il des frais pour utiliser le système ?

Nous ne facturons pas de frais pour acheter ou vendre sur Clara. Nous venons de l’installer. Clara permet de produire de l’argent, entre l’offre et la demande. Il est possible qu’à un certain moment, nous puissions facturer une partie de cette valeur non exploitée. Pour l’instant, nous ne facturons pas de frais. Nous verrons par la suite.

Envisagez-vous d’ouvrir le système aux consommateurs ?

Peut-être à la version 8.0. Nous envisageons que des clients puissent être assis à leur bureau et se dire : « J’aimerais avoir un diamant de Karowe. » Ils verraient une série de fenêtres s’afficher, peut-être découvriraient-ils le fabricant le mieux adapté pour tailler une pierre de cette nature ou un designer qui leur permettrait de créer leur propre bijou, sans avoir à quitter leur bureau. Il existe d’innombrables façons de personnaliser Clara pour chaque marque.

Au cours de la semaine du 10 août, j’ai rédigé un article à propos de la transaction de Lucara avec la société anversoise HB Group, pour la vente de tous ses diamants Specials. On m’a posé des questions sur le système des frais de Lucara, pour savoir s’il sera basé sur la pierre taillée.

Nous n’avons pas communiqué à ce sujet. Tout deviendra beaucoup plus clair après quelques mois d’utilisation. La structure est difficile à modéliser. Les frais ou la commission sont liés aux prix du taillé, nous sommes donc tous deux incités à optimiser la valeur de la pierre taillée. C’est un bon alignement.

Nous avons constaté beaucoup moins de volatilité pour le taillé que pour le brut. Ces pierres généreront davantage de revenus que si nous avions décidé de les vendre sous leur forme brute.

HB sera-t-elle obligée de tout accepter ?

Ils sont effectivement obligés d’acheter toutes nos pierres brutes de plus de 10,8 carats. Ce n’est pas facultatif et ils s’y sont engagés. Nous pourrons revoir cette condition d’ici la fin de l’année mais le but est d’obtenir des revenus suffisants pour poursuivre notre extraction souterraine.

Comment considérez-vous le marché actuellement ?

Il est difficile, cela ne fait aucun doute. Les gens essaient de se montrer optimistes et nous avons le sentiment que l’humeur s’améliore. Nous sommes assez satisfaits de constater une augmentation régulière de nos prix. Nous pensons vraiment que les diamants et les bijoux en diamants sont un produit de luxe pour lesquels la demande se maintiendra. Les gens se concentrent sur leur famille. Personne ne dépense plus d’argent pour voyager. Nous sommes optimistes par rapport aux fêtes. Nous voyons déjà des signes encourageants.

Source JCK Online