Les sanctions de l’UE contre les diamants russes de nouveau à l’étude, pour quels résultats ?

Joshua Freedman

L’UE envisage d’appliquer un quota ou d’autres sortes de restrictions sur les diamants russes. Les membres de l’industrie et les politiques estiment que seul un effort d’ampleur internationale pourra avoir des conséquences.

L’Union européenne (UE) envisage de plafonner les importations de brut russe, d’après des articles de presse et des sources qui se sont entretenues avec Rapaport News. L’UE étudie une dixième série de sanctions alors qu’approche la date anniversaire de l’invasion de l’Ukraine. Après avoir été épargné par les neuf premières séries, le marché belge qui traite les marchandises d’ALROSA est de nouveau sous le feu des projecteurs.

Pourtant, de nombreux participants au débat prétendent que les mesures n’auraient qu’un impact minimal. Les expéditions de diamants russes vers Anvers ont déjà chuté en raison des préférences des consommateurs américains et des difficultés des acheteurs à payer le brut, ce qui rend les quotas inutiles. Et sans une approche internationale, la Russie pourrait continuer à vendre au marché en passant par d’autres canaux, d’après les critiques.

Avec un plafond adapté

Personne ne sait vraiment quelles sont les sanctions que les responsables de la Commission européenne cherchent à introduire. L’une des possibilités consiste à limiter les importations de diamants russes à 30 % des niveaux d’avant la guerre, d’après le journal belge De Morgen. Une autre serait un système de traçage des marchandises, permettant au marché d’en connaître l’origine, d’après l’article.

Alexander De Croo, le premier ministre belge, semble déjà se situer un cran plus loin, affirmant que le pays collaborait avec des « partenaires » pour bloquer l’accès aux diamants russes sur les marchés occidentaux, a annoncé Politico, site spécialisé dans les affaires d’actualité.

Les pressions s’accumulent sur l’UE, afin qu’elle engage des actions. En janvier, Eira Thomas, PDG de Lucara Diamond Corp., avait appelé à l’application de sanctions dans un entretien avec le Financial Times. Alexander De Croo lui-même – qui avait précédemment déclaré que la Belgique ne s’opposerait pas aux mesures, mais que celles-ci ne feraient qu’aider des concurrents comme Dubaï – a publiquement qualifié les marchandises russes de « diamants du conflit » au cours de la semaine du 23 janvier.

Une démarche inutile ?

Les importations de diamants russes non industriels en Belgique ont chuté d’environ 80 % depuis juillet 2022, d’après les estimations de personnes informées de l’UE.

« S’ils envisagent d’appliquer un quota de 30 % sur les diamants russes par rapport au début de la guerre, c’est quasiment inutile, car le marché a déjà beaucoup chuté », a déclaré à Rapaport News Kathleen Van Brempt, membre belge du parlement européen favorable à un jeu de sanctions exhaustif.

Cette baisse est due à l’interdiction partielle des États-Unis et aux boycotts implicites des acheteurs et des détaillants.

« S’ils savaient qu’ils portent des diamants russes, la plupart des consommateurs refuseraient ce type d’investissement », d’après cette femme politique, qui représente le parti social-démocrate Vooruit (En avant) et vit à Anvers.

Une approche internationale

Sans coopération internationale, les sanctions de l’UE ne feraient que déplacer les marchandises vers d’autres centres, d’après des personnes opposées au projet.

Le Antwerp World Diamond Centre (AWDC), qui a refusé de s’exprimer sur ces propositions spécifiques, estime depuis longtemps que des sanctions appliquées par l’UE uniquement nuiraient à l’industrie belge, sans impacter la Russie. Le brut d’ALROSA, dont l’État détient une participation de 33 %, a continué de circuler en Inde malgré la situation géopolitique, avec toutefois des volumes réduits.

Toute nouvelle restriction n’aurait qu’une « valeur cosmétique » car les importations sont déjà faibles, a déclaré un négociant de brut anversois sous couvert d’anonymat. « Cette faible quantité serait immédiatement détournée vers Mumbai via Dubaï ou irait directement à Mumbai, a-t-il poursuivi. Ça ne servirait donc à rien. »

Aucune excuse

Les nations du G7 – États-Unis, Royaume-Uni, Canada, France, Allemagne, Italie et Japon – ont discuté de l’introduction de « règles contraignantes » sur le marché des diamants russes, a déclaré Kathleen Van Brempt. Toutefois, d’après elle, l’absence d’approche unifiée que l’on connaît ne doit pas empêcher de faire appliquer les sanctions d’une manière ou d’une autre.

« Bien entendu, une fois que vous imposez des sanctions, toutes sortes de failles commencent à apparaître, a-t-elle admis. Oui, nous rencontrons un problème mais avançons et commençons à travailler sur ces failles. »

Le lancement initial du Kimberley Process (KP) a lui aussi été difficile car certains pays africains n’appliquaient que très peu de contrôles, a fait observer Kathleen Van Brempt. « Il faut donc accélérer et graduellement mettre en place un processus efficace. »

Un règlement en roupies

Les discussions s’engagent alors que l’Inde semble se diriger dans la direction opposée après avoir développé un mécanisme permettant de payer en roupies sur le marché international.

Depuis l’exclusion de la Russie du système de paiement international Swift, ce qui a compliqué les paiements en dollars, les fabricants réalisaient des achats dans d’autres devises, comme l’euro. Or, ces transactions avaient aussi leur lot de difficultés.

Le 4 janvier, le Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) indien a diffusé une liste de 12 banques indiennes ou agences locales d’institutions financières étrangères autorisées par le gouvernement à ouvrir des comptes « vostro » au nom de banques étrangères. Ces comptes sont détenus par les banques indiennes et libellés en roupies au nom d’une banque étrangère et facilitent le commerce international.

Personne n’a encore utilisé ce système pour acheter et vendre le brut d’ALROSA en raison de la volatilité de la devise, a expliqué Vipul Shah, président du conseil du GJEPC. « Les Russes ne sont pas à l’aise à l’idée d’investir en roupies », a-t-il expliqué. Mais, en théorie, ils pourraient le faire et l’accès de l’Inde au brut russe s’améliorerait.

Du brut à foison

Les fortes pénuries de diamants prédites par beaucoup dans l’industrie pour 2022 n’ont jamais eu lieu car certaines marchandises russes ont continué d’entrer sur le marché et la demande chinoise a chuté avec les confinements liés à la Covid-19. Les pénuries sont-elles imminentes, maintenant que le commerce des diamants d’ALROSA en Belgique est menacé ?

« Comme les marchandises vont directement aux centres de taille en Inde, il n’existe pas de pénurie, a déclaré le négociant anversois anonyme. Des rumeurs indiquent qu’en 2022, les ventes d’ALROSA étaient plus que suffisantes. Alors, je pense que les chiffres de 2023 seront également positifs. »

Source Rapaport