Les problèmes de la classe moyenne

Michelle Graff

Que ce soit le hasard ou « kismet », le destin, à peine avais-je prévu ce billet pour le bulletin du vendredi 12 juin, que j’ai commencé à lire des articles abordant le sujet qui occupe mon esprit depuis un certain temps : le recul de la classe moyenne.[:]

Lundi 15 juin, Bloomberg a publié un article citant Johann Rupert, le président exécutif de Richemont (Cartier, Van Cleef, Jaeger-LeCoultre, etc.), régulièrement classé parmi les milliardaires de ce monde.

Dans un discours prononcé lors d’un sommet sur le luxe à Monaco, Johann Rupert a évoqué l’érosion de la classe moyenne. Selon lui, cela aura des effets négatifs sur la vente de biens de luxe car les personnes aisées ne vont pas vouloir l’exhiber, un sujet qui l’empêche de dormir.

« Comment la société va-t-elle affronter le chômage structurel associé à l’envie, à la haine et aux conflits sociaux ?, s’est-il interrogé, selon Bloomberg. Pour l’heure, nous détruisons les classes moyennes et cela aura des effets négatifs sur nous, c’est injuste. »

L’article qui reprenait les propos de Johann Rupert est sorti un jour seulement après que The Daily Beast a publié une rubrique évoquant le fait que les centres commerciaux qui prospèrent sont ceux qui s’adressent aux consommateurs les plus aisés.

Monsieur Rupert, je suis d’accord. Le recul de la qualité de vie des membres de la classe moyenne me préoccupe, non pas parce que je travaille dans l’industrie de la haute joaillerie, mais parce que j’appartiens à cette même classe moyenne.

J’ai grandi à la périphérie de Pittsburgh, dans un océan de petites villes papetières défavorisées, qui dépérissent depuis les années 70 et dont la société a depuis longtemps cessé de s’inquiéter : pas de hipsters ni de magasins vendant des bonbonnes de mayonnaise biologique à 30 dollars. Ce sont toujours les mêmes bâtiments, que j’ai toujours vus tomber en ruine, depuis mon enfance dans les années 80.

Pourtant, je faisais partie de la classe moyenne. Mon père travaillait dans une usine appartenant à Ashland, qui mélangeait et conditionnait l’huile pour Valvoline. Grâce à la présence des syndicats, il gagnait « un bon salaire », comme on disait à l’époque. Mais il nous rappelait constamment que nous avions de la chance. Ashland possédait une autre usine de conditionnement à Cincinnati, dans laquelle il n’y avait pas de syndicats, et les hommes gagnaient moitié moins que le salaire horaire de mon père. Ma mère était enseignante et, finalement, elle gagnait elle aussi un « bon salaire ».

Mes parents ont tous deux pu partir à la retraite assez tôt et, aujourd’hui, ils sont toujours propriétaires de leur maison en Pennsylvanie, ainsi que d’une résidence secondaire en Floride, où ils séjournent de janvier à mai. Tant mieux pour eux, ils le méritent.

Malheureusement, je pense que ce type de vie est désormais ouvert à de moins en moins d’Américains, et je ne suis pas la seule à le croire.

Un article publié par USA Today mardi 9 juin faisait état d’une étude récente de la Bank of America et de Merrill Edge. D’après elle, environ 74 % des membres de la génération X (la mienne) et 67 % de ceux de la génération Y craignaient de ne pas avoir suffisamment d’argent de côté pour la retraite, même si ces deux générations sont encore à des années de passer leurs après-midis sur les terrains de golf.

Parmi les sujets qui occupent mon/leur esprit figurent : la hausse des frais de santé, des prêts étudiants pesants et la réalisation que bon nombre d’entre nous seront nonagénaires.

Ces jours-ci, l’industrie de la haute joaillerie s’inquiète de vendre aux « super riches », du fait qu’il n’y ait pas suffisamment de publicité pour les bijoux (ce qui commence à changer) et de la façon de s’adresser aux consommateurs de la génération Y.

J’admets que tous ces sujets sont importants mais ils ne brossent pas un tableau complet.

Vous pouvez vous aussi chercher à toucher ce 1 % de la population, si vous voulez, et vous pouvez maîtriser l’art des médias sociaux pour tenter d’accrocher chaque membre de la génération Y autour de vous.

Mais la réalité est ainsi : il y a beaucoup de personnes qui n’ont tout simplement plus d’argent à dépenser pour des bijoux, comme ils pouvaient le faire avant. Bon nombre de familles découvrent que, lorsqu’elles ont fini de payer les factures et qu’elles ont mis un peu d’argent de côté, il ne reste pas grand-chose.

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C’est triste, mais c’est ainsi.

Un autre point intéressant du discours de Johann Rupert était son affirmation selon laquelle « nous sommes sur le point de vivre un grand changement pour la société. »

Ce changement, à mon avis, a déjà commencé. Les joailliers doivent évoluer dans ce sens. Pour cela, ils doivent notamment être prêts à proposer des gammes à plus bas prix et avec des marges plus fortes, des articles en argent ou de mode, voire les deux, en plus de la joaillerie traditionnelle, tarifée à plusieurs milliers de dollars.

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Les joailliers doivent évoluer dans ce sens. Pour cela, ils doivent notamment être prêts à proposer des gammes à plus bas prix et avec des marges plus fortes, des articles en argent ou de mode. »

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Vous pouvez tout à fait vendre à ce 1 % de la population, les plus riches de votre ville, mais ayez également en stock quelque chose pour le consommateur de la génération Y, qui est en manque de liquidités et étranglé par son prêt universitaire, ou pour la consommatrice de 35 ans, qui n’a pas les garanties d’un aussi bel avenir que ses parents.

Source National Jeweler