Les possibles conséquences de l’acquisition de Blue Nile par Signet pour l’industrie de la bijouterie

Lenore Fedow

Nous verrons ici pourquoi un analyste considère que cet accord est la meilleure transaction réalisée par Signet depuis des dizaines d’années et découvrirons ses réflexions sur la « démesure » qui menace la société.

Mon professeur de journalisme préféré à l’université m’a dit un jour : « Votre avis ne fait pas l’actualité ». J’ai gardé cette pépite en tête et elle me revient dès que je sens monter en moi un avis fort, qui menace d’influencer mon reportage.

À National Jeweler, je suis chargée d’une rubrique éditoriale, comme un pied de nez à mon professeur.

Je propose de me pencher sur les projets d’acquisition de Blue Nile par Signet Jewelers et sur ce que cela pourrait signifier pour l’industrie de la bijouterie. En plus de mon modeste avis personnel, je soulignerai ceux des analystes et des anciens de l’industrie.

Allons-y, un sujet à la fois.

Passer par une acquisition pour se développer, un incontournable dans l’histoire de Signet.

Lors de la semaine du 15 août, Signet a annoncé avoir conclu un accord pour racheter Blue Nile pour 360 millions de dollars en numéraire. Cet objectif est le dernier d’une longue liste d’acquisitions récentes.

En avril 2021, le géant de la bijouterie avait annoncé un projet d’acquisition du service d’abonnement de bijoux Rocksbox, pour un montant non divulgué.

En octobre 2021, Signet avait annoncé le rachat de Diamonds Direct, un détaillant de Charlotte, en Caroline du Nord, qui gère 22 boutiques indépendantes dans 13 États.

La société avait également acquis le détaillant sur Internet James Allen en 2017 et Zale Corp. en 2014 pour 1,4 milliard de dollars.

Compte tenu de ce tableau de chasse, une nouvelle acquisition n’est pas étonnante mais je n’ai pas vu venir celle de Blue Nile.

L’analyste Paul Zimnisky a également été pris par surprise.

« J’ai été assez étonné car, au cours des semaines précédentes, Blue Nile avait accepté de fusionner avec une société « chèque en blanc » et de réitérer son entrée en bourse », a-t-il déclaré.

Une société « chèque en blanc », aussi appelée « société écran » ou « société d’acquisition à vocation spécifique » (SAVS) est une structure créée pour lever des fonds dans le seul but d’acquérir une autre société ou de fusionner avec elle.

Blue Nile a été créée en 1999 et est entrée en bourse en 2004. Elle est sortie des cotations en 2017, à l’occasion de son rachat par Bain Capital Private Equity et Bow Street LLC pour 500 millions de dollars.

En juin de cette année, la société s’est dite prête à entrer en bourse de nouveau par le biais d’une fusion avec SPAC Mudrick Capital Acquisition Corporation II.

Le timing n’était pas bon.

« Je me suis dit qu’ils arrivaient trop tard pour cet accord, étant donné que la bulle de SPAC avait éclaté. Mais Blue Nile a déposé un formulaire 8-K auprès de la SEC et ils semblaient bien décidés à conclure l’accord », a déclaré Paul Zimnisky.

Lorsque Paul Zimnisky affirme que la bulle de SPAC a éclaté, il fait simplement référence au récent désintérêt des investisseurs pour ce genre de transactions. Une société cotée en bourse qui dépose un formulaire 8-K auprès de la Securities and Exchange Commission américaine notifie les investisseurs d’un fait important.

La transaction avec SPAC était estimée à 683 millions de dollars. Pourquoi Blue Nile accepterait-elle alors, deux mois plus tard, un accord avec Signet dont le montant est quasiment de la moitié ?

« L’estimation pour la transaction avec Signet est moindre. Blue Nile a dû rencontrer des difficultés pour conclure l’accord initial, étant donné les conditions de marché », a déclaré Paul Zimnisky.

Par ailleurs, les fonds privés, comme Bain Capital, sont connus pour leur tendance à échanger des sociétés à des fins lucratives plutôt que de les conserver pour les aider à se développer.

Si l’accord SPAC était voué à l’échec, je ne suis pas surprise que Blue Nile ait été vendue au plus offrant.

Signet réalise des acquisitions stratégiques.

On pourrait croire que Signet achète tout ce qui bouge mais une méthode semble tout de même se dessiner au milieu de tout ce chaos.

Son plan de croissance « Inspiring Brilliance » a mis au jour certains de ses objectifs, comme le développement des revenus issus des services, l’extension des segments du luxe et des articles de valeur, l’essor du commerce électronique et une meilleure utilisation de ses données.

L’acquisition de Rocksbox, par exemple, lui a permis de développer sa catégorie des services, alors même que la location des bijoux devient de plus en plus populaire.

Désormais, Signet veut se consacrer à l’e-commerce, un marché que Blue Nile connaît bien.

Cette catégorie a sauvé Signet sur de nombreux plans pendant la pandémie de Covid-19, puisqu’elle a permis d’injecter des ressources dans son service d’achat en ligne avec livraison en magasin et dans les rendez-vous virtuels.

Rien de plus logique alors que de développer ce segment grâce à une filiale spécialisée qui viendra compléter James Allen et éliminer un concurrent sur le marché.

Signet cherche aussi à étoffer son offre de bridal et Blue Nile connaît le marché. La société propose un vaste éventail de bijoux de bridal, y compris des bagues de fiançailles personnalisables et une collection unisexe du designer de mode Zac Posen.

Enfin, Blue Nile dispose d’un autre atout qui intéresse Signet : des clients jeunes et aisés.

« Blue Nile se présente avec des clients à la tranche d’âge attractive : ils sont plus jeunes, plus riches et d’ethnies diverses, des facteurs qui nous permettront d’élargir notre tunnel d’acquisition de clients », a déclaré Signet lors de l’annonce de l’acquisition.

Le détaillant entend développer son portefeuille « Luxe accessible » qui, pour l’instant, est composé de Jared, James Allen et Diamonds Direct.

Selon Signet, une fois l’acquisition finalisée, Blue Nile se situera en position haute dans ce portefeuille.

Les craintes de regroupements trop nombreux sont peut-être infondées mais l’industrie les ressent.

Lorsque j’ai lu que Signet prévoyait d’acquérir Blue Nile, j’ai immédiatement pensé : « Signet achète vraiment tout ce qui passe, non ? »

J’ai vu que ce sentiment était partagé en lisant les commentaires sous l’article de National Jeweler sur Facebook.

J’ai également lu un billet LinkedIn d’Avi Krawitz, analyste sénior et rédacteur-en-chef chez Rapaport, qui craignait « la démesure qui menace Signet et pourrait nuire au marché des bijoux ».

« Cette décision n’arrive pas à s’inscrire dans la logique du marché, a écrit Avi Krawitz. L’industrie a besoin de plus de concurrence au niveau des marques et des sociétés de retail, et pas d’une force dominante capable de comprimer encore les fournisseurs, comme va le faire Signet. »

Dans le même ordre d’idées, Michelle Graff, rédactrice-en-chef de National Jeweler, et moi-même, évoquions récemment le fait qu’il ne semble plus y avoir autant de chevaliers antitrust qu’avant, ce qui permet aux géants comme Facebook ou Disney de continuer à racheter la concurrence et à se développer.

Peut-être existent-ils encore, mais ils sont impuissants face à des intérêts financiers majeurs.

Paul Zimnisky, quant à lui, ne considère pas que le projet d’acquisition de Blue Nile par Signet pose un problème de monopole. Il affirme que « cette industrie reste très fragmentée. »

La part de marché américaine de Signet est légèrement supérieure à 10 %, a-t-il affirmé, elle est encore moins importante sur le plan mondial.

David Bonaparte, le PDG de Jewelers of America, se trouve à la tête de l’une des plus grandes et plus anciennes organisations commerciales de bijoutiers indépendants aux États-Unis (pour être tout à fait franche : JA est propriétaire de National Jeweler bien que les deux organisations soient indépendantes l’une de l’autre dans leurs actions.)

Le groupe surveille tout ce qui concerne les bijoutiers indépendants mais « je ne pense pas que nous devrions craindre un excès de regroupements », a-t-il déclaré, soulignant lui aussi la faible part de marché de Signet.

« Les bijoutiers indépendants restent largement majoritaires, a-t-il déclaré. Même si cette acquisition est digne d’intérêt, la majeure partie des tendances et de l’aide apportée à l’industrie de la bijouterie provient de bijoutiers indépendants, installés dans les villes, qui s’engagent auprès d’importantes organisations, dont le but est d’aider à développer et protéger l’industrie. »

Signet dispose d’un avantage par rapport aux bijoutiers indépendants dans la sphère du commerce électronique.

Certes, les bijoutiers indépendants détiennent une part de marché supérieure à celle de Signet mais Paul Zimnisky l’annonce, la présence croissante de Signet dans le commerce électronique mérite qu’on s’y intéresse.

« Quand on étudie le commerce électronique des bijoux et des diamants en particulier, on voit que Signet est surreprésentée, puisque la société détient déjà James Allen et s’est confortablement installée en ligne avec Kay et Zales ces dernières années », a-t-il déclaré.

Signet a bien conscience de son emprise sur le segment du commerce électronique. L’achat de Blue Nile pourrait encore renforcer cette avance.

Lors d’un événement pour les investisseurs en avril dernier, Signet avait estimé qu’elle pourrait s’emparer d’environ 10 % du marché américain des bijoux dans un proche avenir. La société faisait remarquer que l’industrie est fragmentée et que les bijoutiers indépendants ont toujours du mal face à la concurrence en ligne.

Virginia Drosos, la PDG de l’époque, avait estimé que les bijoutiers indépendants détenaient environ 65 % de parts de marché, tandis que Signet en avait environ 6 %.

« Dans une catégorie aussi fragmentée que celle des bijoux, une part de marché à deux chiffres dénote un leadership important et devient un moteur pour la croissance future, a-t-elle déclaré. Nous disposons également d’une capacité unique à associer notre présence physique à notre positionnement virtuel, qui sera difficile à égaler pour la concurrence. »

Un an plus tard, Signet a atteint cet objectif, en décrochant une part de marché de 10 %, d’après ses résultats du premier trimestre.

Préparez-vous à une nouvelle acquisition.

Signet n’a pas annoncé de nouvelle acquisition mais je ne serais pas surprise qu’elle en prépare une autre.

Lors de cet événement pour les investisseurs l’année dernière, la société avait annoncé son objectif d’atteindre un chiffre d’affaires annuel de 9 milliards de dollars.

Signet n’avait pas fixé d’échéance mais déclaré qu’elle prévoyait d’y parvenir en étoffant son offre d’e-commerce et en élargissant ses services.

Et c’est bien ce qu’elle a fait. Dans ses derniers résultats sur l’exercice complet, son chiffre d’affaires annuel a totalisé 7,8 milliards de dollars, en hausse de 50 % en glissement annuel.

Ses récentes acquisitions la rapprochent toujours plus de la barre des 9 milliards de dollars. Un achat de plus, et elle pourrait bien être catapultée au-delà.

Paul Zimnisky a déclaré : « Leur approche semble être aussi bien organique qu’inorganique. Du coup, d’autres acquisitions sont parfaitement envisageables, en particulier si on considère leur actuelle position en capital. »

Signet a clôturé son dernier trimestre avec 928 millions de dollars en numéraire.

La seule chose qui pourrait venir contrarier ses plans serait une fin d’année chaotique. La société a récemment abaissé ses perspectives pour le deuxième trimestre et l’exercice complet, évoquant « une pression accrue sur les dépenses discrétionnaires des consommateurs et des freins macro-économiques plus importants. »

Paul Zimnisky s’intéresse au parcours de Signet depuis longtemps et a réfléchi à ses difficultés et à ses réussites.

« Il y a huit ans environ, le bilan de la société faisait penser à celui d’une banque des sub-primes, étant donné la quantité de crédits à la consommation de qualité médiocre qu’elle avait accordés », se rappelle-t-il.

Signet a fini par sous-traiter son portefeuille de crédits en juillet 2018 et a été condamnée à 11 millions de dollars d’amendes relatives à ses cartes de crédit en magasin en janvier 2019. Ce casse-tête a ainsi été réglé.

« À peu près à la même époque, la société a racheté Zales, une opération qui paraissait trop lourde pour ses épaules », a-t-il ajouté.

D’après Paul Zimnisky, les années qui ont suivi ont été difficiles. Le cours de son action a dégringolé d’un plus haut à 150 dollars, jusqu’à moins de 10 dollars.

C’est à cette époque que Signet a racheté James Allen, juste avant que les États ne commencent à taxer les achats en ligne. L’acquisition a ensuite été amortie, a-t-il ajouté.

« La société a fait beaucoup de chemin depuis et se retrouve selon moi dans une bien meilleure position », a-t-il ajouté.

Signet a ensuite racheté Diamonds Direct au plus fort de la bulle de la pandémie.

« Ceci dit, je pense que Signet a bien négocié la transaction avec Blue Nile. Le prix semble juste. C’est certainement sa meilleure transaction de ces dix dernières années », a déclaré Paul Zimnisky.

David Bonaparte, de JA, a qualifié l’offre « d’avancée intelligente permettant à Signet de mieux diversifier sa part de marché. »

Comme la concurrence s’échauffe, les bijoutiers doivent continuer à s’adapter.

Je suis l’auteur d’une série intitulée « What’s Next » qui s’intéresse aux projets des grandes sociétés de bijoux comme Signet ou Pandora.

Évidemment, les bijoutiers indépendants ont intérêt à savoir ce que font les grands noms, mais je profite de cette occasion pour vous inviter à observer vos propres entreprises.

Vous avez déjà entendu des intervenants dans cette industrie, y compris moi-même, vous rappeler inlassablement qu’il faut s’adapter pour survivre et que ceux qui n’évoluent pas sont voués à l’échec.

J’ai assisté à des conférences en tant qu’observatrice, intervenante et animatrice et, quel que soit le sujet, ce qui me frappe, c’est une résistance durable au changement.

Qu’il s’agisse d’une discussion sur le commerce électronique, le marketing sur les réseaux sociaux ou, pauvres de nous, les diamants synthétiques, nous freinons des quatre fers.

« Et si ça ne marchait pas ? Je n’ai jamais rien fait de tout ça et mon entreprise tourne », disent-ils.

Ce genre de discours m’inquiète un peu car je sais ce que nous risquons si ces entreprises font faillite.

Lorsque j’étais à National Jeweler, j’ai rencontré et interrogé de nombreux bijoutiers indépendants et j’admire la somme de connaissances qu’ils possèdent, leur engagement envers les communautés locales et la joie qui est la leur lorsqu’ils célèbrent de grands moments avec leurs clients.

Les géants comme Signet ont leur place mais le cœur de l’industrie est constitué de bijoutiers indépendants. Vous devez être ouvert au changement.

Ne possédant pas moi-même d’entreprise, j’admets qu’il existe des subtilités que je ne comprends pas et je sais que toutes les sociétés n’ont pas le budget de Signet pour tester des nouveautés.

Vous trouverez peut-être que je fais preuve d’audace en vous faisant la morale à propos de votre entreprise mais je m’exprime ici parce que j’ai bientôt 30 ans, une tranche d’âge clé pour les bijoutiers, et que je me situe de l’autre côté du comptoir, qu’il soit physique ou virtuel.

En 2022, certaines choses ne sont pas négociables et vous devez en tenir compte dans votre budget.

Si vous souhaitez rester compétitif, investissez dans votre présence en ligne, que ce soit votre site de commerce électronique ou les réseaux sociaux.

L’industrie de la bijouterie est un secteur « à l’ancienne » à de nombreux égards mais vous pouvez préserver ces valeurs et adopter de nouvelles méthodes pour améliorer votre résultat.

Il existe de nombreuses ressources gratuites ou abordables pour vous aider à améliorer votre activité.

Et comme je déteste parler d’un problème sans proposer de solution, voici ce que je conseillerais.

Sur son site Internet, Jewelers of America propose une quantité faramineuse de ressources, ainsi qu’une série de webinaires éducatifs.

National Jeweler dispose de sa propre série de webinaires, intitulée My Next Question. Les autres rédacteurs-en-chef et moi-même traitons de tous les aspects de l’industrie, des tendances en matière de styles à la technologie, et l’inscription est gratuite.

Nous avons aussi des chroniqueurs qui partagent leurs connaissances en matière de réseaux sociaux, de ventes, de relations publiques, etc.

Si vous avez besoin d’aide dans le domaine du marketing, consultez le podcast gratuit Joy Joya organisé par Laryssa Wirstiuk ou rejoignez l’experte du marketing des bijoux Liz Kantner dans Stay Gold Collective (payant).

Pour développer votre savoir-faire en termes de technologie, rendez-vous sur le site Internet de Technology Therapy Group. Jennifer Shaheen, la présidente, fréquente assidûment les conférences de l’industrie.

Pour des informations relatives au retail, DeAnna McIntosh de Retailing Evolved et Nicole Leinbach Reyhle de Retail Minded constituent de formidables ressources.

Profitez aussi des nombreuses organisations de l’industrie qui proposent des conseils et des ressources éducatives, comme Plumb Club, Jewelers Vigilance Committee, Black in Jewelry Coalition et la Women’s Jewelry Association.

De nombreuses personnes œuvrent pour le succès des bijoutiers indépendants, y compris moi-même, et j’ai hâte de découvrir ce qui attend ceux qui sont prêt à renforcer leurs capacités.

Source National Jeweler