Les intermédiaires bientôt évincés de l’industrie

Ronen Shnidman

Entretien avec Avraham (Bumi) Traub, président honoraire de l’Israel Diamond Manufacturers Association et fondateur d’A.B.T. Diamonds Ltd.[:]

L’Israel Diamond Manufacturers Association (IsDMA) est une association bien établie dans l’industrie, dont les membres gèrent plus de 90 % des diamants fabriqués en Israël. Bumi Traub est un ancien tailleur et fabricant, avec des dizaines d’années d’expérience dans l’industrie israélienne. Deux fois président de l’IsDMA, il est, depuis 2013, président honoraire à vie.

Qu’est-ce que l’IsDMA et qu’est-ce qui la distingue des autres organisations de l’industrie en Israël ?

L’IsDMA est une organisation créée en 1940, avant même qu’existe la bourse israélienne du diamant. Le gros de ses membres est constitué de propriétaires d’usines de taille et son principal objectif est de représenter leurs intérêts. Bien que les adhérents se soient diversifiés ces dernières années, ils restent majoritaires au sein de l’IsDMA.

L’organisation est chargée de traiter avec les banques, de représenter l’industrie lors des négociations avec le gouvernement en matière de fiscalité et d’incitations économiques, ainsi que de promouvoir l’adoption des nouvelles technologies.

Lorsque je suis devenu président en 1993, l’organisation comptait 103 membres. Aujourd’hui, elle regroupe environ 185 membres.

Quel a été votre premier emploi dans l’industrie diamantaire ?

J’ai commencé pendant mes études : vous ne pouvez pas devenir tailleur sans avoir reçu la formation adéquate. Après cela, je suis devenu tailleur, puis fabricant sous-traitant et enfin fabricant principal. J’ai gravi tous les degrés de l’échelle de la taille.

Combien de temps faut-il pour devenir tailleur professionnel ? L’industrie israélienne parvient-elle à attirer la nouvelle génération ?

Il n’existe pas de délai précis. Il y avait 10 personnes dans ma classe. Trois d’entre elles sont devenues tailleurs professionnels. Tout le monde ne peut pas être médecin, comme tout le monde ne peut pas être tailleur. En tant que tailleur, j’ai continué à apprendre et à acquérir des connaissances pendant 18 ans.

Il y a des jeunes gens ici qui utilisent une technologie très innovante, mais on n’entend pas parler d’eux. Ils voyagent partout dans le monde, apprennent à acheter, fabriquer et dégager des bénéfices. Ils ont tranquillement pris la place de ceux qui aiment à parler et se plaindre.

Si vous voulez mon avis, l’industrie n’a pas fait assez pour attirer la nouvelle génération. Si je pensais qu’il n’y a rien à changer, ça voudrait dire que mon mode de réflexion pose problème. On ne doit jamais devenir complaisant.

Il y a des familles de diamantaires ici, avec une jeune génération formidable, qui reprend l’activité. Ces personnes sont encore plus douées que nous l’étions à l’époque. Mais il y a aussi des familles qui vont quitter l’industrie. Ce que je veux, c’est trouver du sang neuf dans la rue. Je veux des personnes avides de réussite, comme moi lorsque je suis arrivé ici.

Vous avez émigré d’Union soviétique en Israël en 1973, avant l’ouverture du marché russe. Comment vous êtes-vous fait une place dans l’industrie du pays ?

Lorsque je suis arrivé dans les années 70, personne ne m’a déroulé le tapis rouge. L’industrie se développait en Israël, elle avait besoin de main-d’œuvre. Une usine recrutait près de 30 immigrants grâce à un échange de main-d’œuvre, j’en ai fait partie. En fait, je passais la moitié de ma journée à traduire. Les [responsables de l’usine] m’expliquaient des choses en yiddish, que je traduisais à mes collègues en russe.

La De Beers prévoit que l’offre mondiale de brut commencera à diminuer durablement en 2020. Quelles seront les conséquences sur le secteur de la fabrication ?

Il y a toujours eu du brut et il y en aura toujours. Je suis en Israël depuis 41 ans. Les gens ont toujours dit qu’il n’y avait pas de brut et pourtant, il y en avait toujours beaucoup.

Le brut a toujours été aux mains des plus forts. Il va à ceux qui peuvent payer et qui ont les capacités de se battre. Il faut comprendre que c’est une bonne chose. L’absence totale de brut, ce sont des fadaises.

Personne ne peut se targuer de prédictions justes à 100 %. La De Beers a affirmé que l’offre de brut commencerait à baisser en 2020. D’ici là, les choses peuvent encore changer. Regardez le marché secondaire, voyez comme il s’est développé. Les diamants se recyclent et bon nombre de ces petits diamants doivent être retaillés.

Inutile de tirer des conclusions hâtives. Les gens aiment à imaginer la situation dans quelques années mais il faut voir plus loin que le bout de son nez. Tant qu’il y aura de jolies femmes, il y aura du travail pour l’industrie diamantaire.

D’accord, mais pourquoi fabriquer précisément en Israël ?

C’est une question à laquelle je réfléchis depuis longtemps. Il y a eu une époque, dans les années 90, où la main-d’œuvre était bon marché en Inde et en Extrême-Orient et où nous n’étions pas compétitifs.

Aujourd’hui, les salaires ont augmenté dans ces pays et leur avantage n’est plus aussi évident qu’avant. Ce qui distingue maintenant les concurrents entre eux, c’est le financement et, en Israël, il est difficile d’accès. Le crédit bancaire proposé aux diamantaires se situe entre 1,4 milliard et 1,5 milliard de dollars. C’est gênant… Même les petits magnats de l’industrie en Israël doivent plusieurs fois cette somme.

Pour l’instant, c’est comme si les banques et le reste du monde avaient pris un virage à droite et que nous avions continué tout droit, comme si de rien n’était. J’ai fait pression sur l’industrie locale pour qu’elle aille vers plus de transparence et applique les normes comptables internationales, mais c’est difficile de changer sa vision du monde. J’espère que mes efforts finiront par porter leurs fruits.

Quel est l’état actuel des relations entre l’industrie et les banques en Israël ?

Les relations avec les banques sont excellentes. On peut dire que Bank Leumi a paniqué, annulant rapidement tous ses crédits à l’industrie, mais les autres banques sont ravies de prendre sa place.

Ici, toutes les banques ont retiré des bénéfices de l’industrie diamantaire, malgré toutes les sociétés qui ont disparu ces 20 dernières années. L’industrie s’appuie sur des réputations, pas des contrats. C’est notre mazal.

Le système des contrats à long terme, utilisé par les grands miniers, a-t-il gêné les fabricants dans leur approvisionnement de brut ?

Non, le brut est aux mains des plus forts. Si vous regardez un peu les statistiques, vous verrez que les prix du brut se maintiennent dans une plage confortable et que nous sommes proches des tarifs de 2008.

Il y a pourtant un nouveau problème. La technologie permet désormais aux miniers de savoir exactement ce que donnera le brut et ils fixent le prix de la pierre en conséquence. Les diamants sont donc en passe de devenir une matière première. Mais ils passent toujours aux mains de plusieurs intermédiaires avant d’arriver chez le consommateur.

Je crois que, dans un avenir pas si lointain, les fabricants vendront directement aux consommateurs. Peut-être qu’il subsistera quelques grands négociants pour assurer crédit et financement. Si les banques assuraient un crédit suffisant pour le taillé, les négociants disparaîtraient.

Diriez-vous qu’à l’avenir, davantage de brut sera vendu aux enchères, les ventes par contrat ayant tendance à fausser le marché ?

Je pense que le marché est dans une phase de transition. Les grands fournisseurs qui vendent par l’intermédiaire de contrats à long terme organisent également des enchères ou des tenders. Ils augmentent les prix payés dans le cadre des contrats à long terme en fonction des résultats des tenders mais il leur faut plus longtemps pour les baisser.

Ils pourraient se justifier en affirmant que ce système contribue à maintenir la valeur des diamants. Or, ces dernières années, les inconvénients pour les fabricants ont indubitablement dépassé les avantages.

Avant, si vous aviez un fournisseur stable, vous pouviez facilement imaginer obtenir un bénéfice. Mais lorsque j’ai commencé, l’industrie connaissait un grand événement ou un virage à peu près tous les deux ans. Aujourd’hui, les choses évoluent plus rapidement. Chaque matin, lorsque vous vous levez, le monde a changé. Cela signifie que la stabilité de l’offre et des prix du brut ne représente plus vraiment un avantage. À l’avenir, les gens auront de moins en moins recours aux contrats à long terme.

À mesure que l’offre de brut diminue, les diamants synthétiques pourraient-ils soutenir l’industrie en Israël, malgré la forte opposition qui y existe ? 

Les deux questions ne sont pas liées. Je suis favorable à un marché libre, à une seule condition. Si vous devez vendre des diamants qui ne sont pas 100 % naturels, soyez honnête. Indiquez qu’il s’agit de diamants synthétiques ou traités.

Si certaines personnes souhaitent gagner leur vie en vendant des diamants synthétiques, qu’elles le fassent.

Que prévoyez-vous pour l’industrie en Israël dans les 5 à 10 ans ?

C’est une échéance lointaine si l’on considère la volatilité du marché. Avant, il était presque possible de prévoir l’avenir, car les programmes de travail étaient prévus au moins cinq ans à l’avance. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Il y aura ici une industrie de taille moyenne. Le secteur va maintenant se concentrer sur le marché secondaire et la retaille des nombreux diamants recyclés qui doivent être améliorés.

Il y a 20 ans, j’ai dit à mon fils qu’il pourrait faire vivre sa famille s’il travaillait dans ce secteur. Aujourd’hui, je ne sais pas si c’est encore possible.

Que diriez-vous à quelqu’un qui souhaite entrer dans l’industrie aujourd’hui ?

De persévérer, persévérer et encore persévérer. Ne jamais s’arrêter. Tout système a ses bonnes et ses mauvaises périodes. Mais celui qui est toujours à la poursuite de la prochaine affaire n’arrive jamais nulle part.

L’avenir de l’industrie dépend de quelques jeunes gens, très professionnels, qui veulent jouer un rôle important. Ils resteront dans ce secteur et y gagneront de l’argent.

Je suis heureux qu’aujourd’hui, il existe des usines dont les ingénieurs étudient la taille de chaque pierre, car plus vous travaillez avec des personnes très éduquées, plus vous avez de chances d’aller loin.

Source Rapaport


Photo Israeli Diamond Industry.