Les diamants brilleront-ils plus que d’autres articles de luxe ?

Anastasia Smolnikova

Selon Bain & Company (Rapport mondial sur les diamants de 2019), le marché international de la bijouterie a été estimé à environ 330 milliards de dollars en 2019. Les ventes de bijoux en diamants sont évaluées à 80 milliards de dollars. Ce segment du luxe représente environ 10 % (à peu près 8 milliards de dollars) du total.

En comparaison, le marché des montres de luxe s’est établi à 39 milliards de dollars sur la même période, la maroquinerie a représenté 57 milliards de dollars et le marché vestimentaire 64 milliards de dollars (Étude de marché internationale sur les biens de luxe, automne-hiver 2019).

Le marché de la mode représente environ un quart du marché total des biens de luxe. D’après les experts de l’agence McKinsey (Un avenir multi-facette : l’industrie de la bijouterie en 2020), le marché de la bijouterie devrait se développer en suivant le modèle du marché des vêtements de luxe, en passant par les étapes suivantes :

Internationalisation des marques

Certes, dans les années 1980, les sociétés qui produisaient des vêtements de luxe (et pas seulement de luxe) ne les vendaient que dans certains pays. Mais la quasi-totalité d’entre elles sont maintenant passées au niveau international. Ainsi, par exemple, la part des ventes de la marque Hugo Boss hors d’Allemagne est passée de 50 % dans les années 1990 à 80 % dans les années 2010. Le principal marché de la bijouterie est actuellement assuré par de grandes marques de retail nationales (comme Chow Tai Fook en Chine ou Christ en Allemagne), ainsi que par de petites et moyennes entreprises. Les dix plus grands groupes de bijoux ne représentent que 12 % du marché mondial. Seuls deux d’entre eux, Cartier et Tiffany & Co., figurent au classement Interbrand des 100 plus grandes marques internationales.

Le branding de la bijouterie

Sur le marché des montres-bracelets, les marchandises de marque ont représenté environ 60 % des ventes, alors que la part des bijoux de marque n’est que de 20 % du volume total. Toutefois, ce chiffre a doublé depuis 2003. Les principaux clients des bijoux de marque sont des acheteurs aisés, issus des marchés émergents, pour qui la réputation des marques est une façon de montrer leur situation financière. D’après des experts de McKinsey, par le passé, l’essor des bijoux de marque était assuré par des noms de notoriété internationale comme Cartier et Tiffany & Co., ainsi que par de nouveaux acteurs du marché (Pandora et David Yurman). Mais à l’avenir, ce rôle devrait être joué par les sociétés qui produisent des vêtements et de la maroquinerie de luxe comme Dior, Hermès et Louis Vuitton, lesquels conçoivent également leurs collections de bijoux.

Dans le même temps, notons qu’à la différence des vêtements, des accessoires et même des montres, dont les marques sont souvent immédiatement visibles (sacs Louis Vuitton, trench coats Burberry, montres Rolex, etc.), les marques de bijoux ne sont pas aussi apparentes. En outre, les bijoux en diamants se portent rarement pendant la journée (à l’exception des bagues de fiançailles que les femmes ne devraient pas, dans l’idéal, avoir à renouveler) mais dépendent des événements sociaux, ce qui limite les possibilités pour les consommateurs d’exposer leur statut.

Reconfiguration des méthodes de vente

D’après Bain & Company, les ventes en ligne représentent près de 12 % du marché des biens de luxe (environ 33 milliards de dollars en 2019). Parallèlement, les ventes en ligne concernent majoritairement des accessoires (43 % des biens de luxe vendus en ligne), des vêtements (27 %) et des cosmétiques (19 %), tandis que les montres et bijoux représentent ensemble 11 %. D’après des chercheurs de McKinsey, dans un proche avenir, la part des ventes de bijoux ne devrait pas dépasser 10 %. Il est en effet extrêmement important pour les acheteurs d’examiner soigneusement le bijou et de le toucher avant de l’acheter. De même, pour que la décision soit plus facile à prendre, de nombreux clients profitent des plates-formes sur Internet avant de se rendre dans une boutique. Les vendeurs de bijoux sont ceux qui devraient profiter le plus de l’essor des chaînes de boutiques mono-marques, ainsi que de boutiques multimarques soigneusement sélectionnées.

Extension du cercle des consommateurs

Depuis peu, il est possible d’observer des associations entre des articles de luxe et d’autres n’ayant pas de marque. La tendance actuelle de « consommation intelligente » en est l’une des raisons. Ainsi, des célébrités peuvent défiler sur le tapis rouge, parées de luxueux bijoux en diamants et portant une robe de grande consommation ou vice versa. Le « phénomène Swarovski », ainsi qu’il a été baptisé, joue un rôle important : il concerne les cas où des bijoux de mode sont vendus à des prix comparables à ceux d’articles réalisés en pierres et métaux précieux, tout en faisant l’objet d’une forte demande. Compte tenu de ces tendances, les bijoutiers peuvent envisager de lancer leurs propres grammes de produits à des prix raisonnables et de permettre à de jeunes consommateurs ou à des consommateurs moins aisés d’acheter des bijoux de marque. De nombreuses sociétés produisant des vêtements et accessoires de luxe proposent ces gammes à prix abordable : Just Cavalli par Roberto Cavalli, See by Chloe par Chloe, etc.

Par ailleurs, certains fabricants de bijoux peuvent se cantonner au segment haut-de-gamme et convaincre leurs clients, grâce à de la publicité et des services de haut niveau en boutique, que des bijoux bas-de-gamme amoindriraient la valeur des marchandises proposées. Leur offre perdrait alors de son côté élitiste. C’est en tout cas la stratégie qu’a adoptée Harry Winston.

Se concentrer sur la fast-fashion

Le mouvement de la fast-fashion, qui est né au milieu des années 1990, a concerné non seulement le marché de masse mais également certaines marques haut-de-gamme (Diesel, Juicy Couture) qui sortent plusieurs collections chaque année. Pour les bijoutiers qui proposent au maximum deux collections par an, ces rythmes sont trop rapides. Ce n’est pourtant pas le cas des fabricants de bijoux de mode ou de bijoux peu chers, qui utilisent des pierres semi-précieuses ou synthétiques. D’après des analystes de McKinsey, les marques de bijoux innovantes devraient se comporter comme les sociétés de fast-fashion en s’adaptant rapidement à l’évolution des tendances et en raccourcissant leurs cycles de production. La principale charge reposera alors sur les épaules des designers. Notons que, d’après l’étude de Bain & Company menée en 2016 (Rapport mondial sur les diamants de 2016), les acheteurs aux États-Unis et en Chine avaient choisi le design comme caractéristique la plus importante pour un bijou en diamant (avec la grosseur de la pierre, sa couleur, sa pureté, le prix, la marque du bijou, etc.).

Quelle que soit l’évolution de l’industrie de la bijouterie, la promotion reste le principal moteur pour le marché des bijoux en diamants. Après tout, c’est le slogan publicitaire « A Diamond is Forever », lancé en 1947, qui a propulsé la croissance rapide des bijoux en diamants. Il a été reconnu comme slogan marketing le plus efficace de l’histoire. Il était d’une telle qualité qu’il n’a pas été égalé pendant quasiment 75 ans. Dans les années 1990-2000, les campagnes publicitaires affichaient les slogans « For your past, present and future » et Celebrate Her » mais n’ont pas connu un grand succès.

En 2016, la Diamond Producers Association (DPA) a lancé la campagne publicitaire « Real is Rare, Real is a Diamond », destinée principalement à ce que l’on appelle les Millenials, ou génération Y, les consommateurs nés entre 1980 et 1994. Les Millenials sont aujourd’hui les principaux consommateurs de bijoux en diamants. Par ailleurs, comme le montre l’étude de Bain & Company de 2016, il n’existe pas de grosses différences entre leurs préférences et celles des autres (la génération X, les personnes nées entre 1965 et 1979, et les précédentes). Les différences actuelles concernent principalement la façon d’acheter les bijoux en diamants. L’unique exception porte sur les appareils électroniques, que la génération Y préfère offrir en cadeau, par rapport aux bijoux en diamants. En revanche, les autres générations placent les smartphones et autres gadgets en quatrième place sur leur liste de cadeaux préférés. C’est probablement la raison pour laquelle le slogan publicitaire destiné à la génération Y contient à peu près les mêmes valeurs que celles qui ont inspiré les consommateurs de la génération X : authenticité, rareté, éternité.

Ce style pourrait toutefois changer à l’avenir. D’après l’étude de Bain & Company en 2019, d’ici 2030, la génération Y disposera toujours de la majeure partie des revenus mais, de surcroît, les revenus de la nouvelle génération Z, les personnes nées entre 1995 et 2015, augmenteront considérablement. Cette tranche d’âge, dite « génération Internet », est bien différente des précédentes. Elle a sa propre culture, ses valeurs et exige une approche unique.

La principale tâche des publicitaires de bijoux consiste donc à développer une stratégie fondamentalement nouvelle, destinée à populariser les diamants auprès de ces personnes, encore très jeunes. À bien des égards, leurs choix détermineront l’évolution du marché : voudront-ils la toute nouvelle version d’un gadget électronique, un sac à main de mode, un billet de croisière ou… l’éternité ?

Source Rough&Polished 


Photo © Harry Winston.