L’ère des diamants approche-t-elle de son crépuscule ?

Vladimir Zboikov

Face au monde extérieur, les sociétés minières évoquent la baisse de la demande mondiale avec un calme olympien : on constate des problèmes momentanés de distribution des excès de marchandises, qui se sont constitués sur le marché, la pénurie de prêts dans l’industrie, le ralentissement de l’économie chinoise, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, etc. En bref, tout est temporaire, les choses vont et viennent…

Dans le même temps, comme pour parer à toute éventualité, elles assurent que les diamants synthétiques se sont déjà forgé une niche, qu’ils ont attiré leur propre clientèle et qu’ils n’interfèrent pas particulièrement, semble-t-il, avec le développement du marché des diamants naturels. De plus, des mesures de séparation ont déjà été prises : mesures administratives (introduction de codes-produits distincts par les gouvernements, extension des politiques des « prix de préférence aux volumes », etc.) ou mesures technologiques (développement d’appareils comme D-Secure). Que reste-t-il comme mission aux principaux membres du marché diamantaire ? Se contenter de se reposer sur les « difficultés temporaires » et prendre les mesures habituelles en cas de « mauvaise passe » ?

Essayons d’envisager un ensemble plus étendu de facteurs qui favorisent ou engendrent la baisse de l’industrie diamantaire, avec un accent particulier sur la situation du premier minier de diamants, ALROSA.

  1. Menaces des diamants synthétiques

1.1. L’acceptation des diamants synthétiques par le public traduit l’indifférence réelle des personnes à « la fin du culte des diamants naturels ».

1.2. L’industrie mondiale de la bijouterie est elle-même quasiment indifférente à la baisse de statut des diamants naturels : ils sont simplement remplacés par des diamants synthétiques.

1.3. La constante baisse des prix et, par conséquent, la hausse de production des diamants synthétiques de qualité destinés à devenir des diamants taillés.

1.4. La vente, sans grand risque, de diamants synthétiques taillés, présentés comme des diamants naturels.

1.5. La difficulté d’identifier (en particulier par les acheteurs et sur des bijoux) que les diamants sont des pierres synthétiques, et non pas naturelles.

1.6. L’égalité effective entre les diamants taillés fabriqués à partir de diamants bruts naturels et de diamants synthétiques sur le plan réglementaire, selon la décision de la Federal Trade Commission aux États-Unis.

1.7. Un soutien marketing dynamique pour la promotion des diamants synthétiques bruts, renforçant l’idée, chez les jeunes, que les diamants synthétiques sont « innovants » et « écologiques ».

1.8. L’absence de publicité efficace et de réponse marketing aux campagnes de promotion des diamants bruts synthétiques.

1.9. Le développement par De Beers – qui est de facto un moteur essentiel du marché diamantaire – de son propre programme de diamants synthétiques (une trahison du principe de maintien de la pénurie sur le marché diamantaire).

  1. Menaces dues à l’évolution du modèle de consommation des clients.

2.1. Une baisse de l’intérêt pour les bijoux, le remplacement du culte des valeurs matérielles chez les jeunes par un « recueil d’expériences ».

2.2. L’émergence de nouveaux marchés pour les biens personnels populaires (gadgets) qui éloignent l’attention et les ressources des jeunes gens du marché des bijoux.

2.3. La volonté générale des gens de commencer leur vie en « dépensant de façon rationnelle ».

2.4. Le public n’a pas confiance en l’avenir en raison des instabilités actuelles (guerres commerciales, etc.) et ne considère pas le taillé comme une réserve de valeur.

2.5. L’échec de l’industrie diamantaire à offrir un véritable statut d’outil d’investissement aux diamants bruts – l’absence de mesures pour maintenir l’intérêt des investisseurs dans le brut et le taillé (les réserves d’or et de devises du monde ne s’intéressent pas aux diamants bruts et taillés et comme il n’existe aucun projet de ce type dans le secteur des diamants, les listes de Rapaport restent conventionnelles).

  1. Les menaces de changements dans l’économie mondiale

3.1. Les guerres commerciales.

3.2. La dévaluation des devises des pays en développement face au dollar.

3.3. Par conséquent, la réussite de l’activité diamantaire ne suscite pas la confiance, ce qui entraîne un resserrement des prêts dans les pays en développement.

  1. Des menaces spécifiques sur ALROSA

4.1. L’absence effective de marché national en Russie pour la vente de diamants naturels (il en était déjà ainsi par le passé).

4.2. La baisse supplémentaire du pouvoir d’achat de retail pour les Russes.

4.3. L’absence de marques de bijoux nationales, populaires en Russie, prêtes à financer le maintien de l’intérêt du public pour les bijoux en diamants, en tant que denrée (pour financer la publicité générique).

4.4. L’absence de marché de l’occasion pour le taillé en Russie réduit encore l’intérêt des Russes pour les diamants.La circulation de diamants non certifiés est interdite par la loi (article 191 du code pénal de la Fédération de Russie). Au mieux, les diamants taillés issus d’un bijou ancien peuvent être vendus à une boutique de rachat ou à un prêteur sur gages, au prix maximum de 200 dollars par carat.

4.5. En cas d’interdiction extraterritoriale des États-Unis portant sur les transactions avec ALROSA, au titre d’un quelconque ensemble de sanctions, quasiment tous les marchés de ventes pourraient être perdus (sauf pour le ministère des Finances de Russie). Cela sera facile à réaliser sous l’égide du Kimberley Process (repensez aux récentes interdictions sur les rubis du Myanmar, etc.).

Les problèmes de l’industrie diamantaire devraient probablement être abordés de façon globale, en prenant des mesures urgentes adaptées à chacune de ces menaces. Il est évident que toutes ne peuvent pas être atténuées, du moins en partie, mais que certaines peuvent certainement être traitées.

Hélas, l’industrie internationale de la bijouterie ne peut pas sauver l’industrie diamantaire. Il n’y a guère de différence pour les bijoutiers à produire et vendre des bijoux sertis de pierres naturelles ou synthétiques, y compris des diamants. Il n’y a pas non plus de différence pour les tailleurs. Les sociétés d’extraction le savent, bien entendu, mais que font-elles véritablement à ce propos ?

Aux États-Unis, elles ne peuvent même pas faire pression pour interdire l’égalité de sertissage entre diamants synthétiques et diamants naturels. La FTC a en effet introduit ce type de mesures d’égalisation. En Russie, ALROSA aurait divisé les flux de marchandises entre diamants taillés naturels et synthétiques, en faisant introduire de nouvelles normes dans la législation russe. Mais pour le minier, la Russie est un marché commercial qui ne concerne que 5,5 % de ses diamants bruts en poids et 11,9 % en valeur (2018). Ainsi, à l’échelle de la société, l’effet de ces mesures est négligeable. Mais pour le marché russe de la bijouterie, les coûts de cette « différenciation » sont tangibles. Cela en valait-il la peine ?

Quels sont les facteurs qui pourraient vraiment protéger l’activité diamantaire de l’invasion des diamants synthétiques ? Tout d’abord, la propagande visuelle des attributs d’un diamant naturel, présenté clairement comme un cadeau unique de la nature. L’auteur de cet article a déjà expliqué qu’un diamant synthétique est essentiellement considéré comme un faux par les acheteurs aisés mais que son prix est démesuré pour le marché des produits de grande consommation bas-de-gamme. Il est évident que la nouvelle baisse des prix des diamants synthétiques n’est qu’une affaire de temps. Tôt ou tard, les petits diamants synthétiques taillés devraient être légèrement plus chers que d’autres pierres synthétiques.

Les pierres synthétiques ne deviendront jamais vraiment exclusives. Et là réside leur « talon d’Achille ». Mais une question se pose : l’industrie diamantaire internationale se montre-t-elle suffisamment claire et convaincante lorsqu’elle explique l’exclusivité de l’origine naturelle des diamants au consommateur ?

Que voit un consommateur lorsqu’il est devant une bague en diamants naturels ? Un insert étincelant, mais taillé par l’homme (ou peut-être par une machine, peu importe). En réalité, la personne ne voit pas un objet naturel, elle voit le produit d’une activité humaine. Et que voit-t-elle lorsqu’on lui présente une bague en diamants synthétiques ? La même chose, évidemment…

Toutefois, dans le même temps, un autre marché se crée, celui des minéraux de collection. Parfois, les deux se croisent dans la vitrine d’une boutique de bijouterie, pour leur profit mutuel, et cette symbiose produit un effet cumulatif. De beaux morceaux de minerai dotés de cristaux naturels, dans des écrins ou sans coffret, rendent encore plus désirables, aux yeux de certains acheteurs, les bijoux sertis de ces pierres naturelles ! Ainsi, certains des acheteurs de bijoux en pierres naturelles apprécient d’en posséder, mais sous la forme d’un échantillon à poser sur le bureau – un cristal sur de la kimberlite. Un jour, dans une des boutiques de bijoux de Singapour, je suis tombé sur deux doubles achats de la sorte en l’espace d’une demi-heure.

Une vaste présentation de pierres, sous leur forme naturelle et sous une forme taillée sertie sur un bijou est l’une des premières étapes pouvant contribuer à assurer la séparation réelle, plutôt qu’une séparation administrative, dans la circulation des pierres synthétiques et naturelles de qualité – et des diamants bruts en particulier. Un acheteur – même si tous ne sont pas concernés – a besoin d’une confirmation visuelle que la pierre d’un bijou est naturelle.Cet acheteur méticuleux n’est pas totalement prêt à croire son interlocuteur sur parole. Il préfèrerait voir et toucher la pierre. Et même s’il ne s’agit pas de l’échantillon exact qui est taillé et serti sur le bijou, cela n’a pas d’importance.

Évidemment, tous les consommateurs ne seront pas inspirés par cette observation des cristaux naturels ni incités à acheter le bijou, mais ce sera forcément le cas de certains. Or, cet outil marketing ne coûte pas cher et peut se révéler très efficace. Aujourd’hui, un morceau de kimberlite avec un cristal de diamant exposé est une chose que l’on voit rarement dans une boutique. Malheureusement, ce formidable outil marketing est trop rarement utilisé.

Toutefois, cela n’est pas applicable en Russie. Sous la législation actuelle, il est absolument interdit de vendre des diamants non taillés dans le pays. Il est intéressant de noter qu’ALROSA a été le principal lobbyiste en faveur de l’interdiction totale de circulation des pierres précieuses non taillées !

Mais dans l’ensemble, à l’ère d’une informatique omniprésente et d’un décalage radical des valeurs et des priorités de vie, l’industrie diamantaire n’a pas d’occasion particulière à saisir, à l’exception de la composante potentielle de l’investissement pour les bijoux en diamants.

Organiser le rachat des gros diamants au moins, approximativement au tarif Rapaport (avec un escompte raisonnable) bien entendu, pourrait bien être le meilleur moyen de faire du marché des diamants naturels un objet d’investissement. Après tout, la véritable valeur d’un diamant taillé naturel pour les consommateurs n’est pas supérieure à celle d’un diamant synthétique. Et seuls ses attributs lui confèrent un avantage. Mais ces attributs doivent être soutenus par la reconnaissance de la valeur de l’article par le marché, exprimée, à son tour, par une tendance à la hausse des prix internationaux sur le long terme, ce dont l’on doute actuellement. Et l’ensemble doit être appuyé par des liquidités élevées, ce qui n’existe pas sur le marché secondaire.

La nature cyclique de n’importe quel processus de marché provoque parfois une chute des prix au lieu d’une hausse. Quant aux liquidités, il s’agit d’un autre facteur, non moins important, d’attractivité des investissements. Les diamants ont toujours eu des problèmes à ce niveau. Les diamantaires pourraient avancer qu’ils n’ont aucune difficulté à vendre de bons diamants. Mais les clients ordinaires envisagent différemment la liquidité des diamants sur le marché secondaire. Il en est au moins ainsi des consommateurs russes. Pour eux, il était irréaliste de récupérer le montant total investi dans des diamants taillés, même au cours des meilleures années.

Il est évident que l’industrie diamantaire préférerait généralement l’auto-liquidation de tous les diamants taillés au moment où le vendeur souhaite les écouler. Hélas, les valeurs matérielles ne sont pas éthérées, elles ne s’évanouissent pas dans l’air. Et si le problème n’a pas gravement nui à la tendance à la hausse, dans un marché en recul, il met en péril la survie de l’industrie diamantaire. Sans compter les diamants synthétiques…

De nombreuses tentatives ont été faites pour lancer un marché « du mêlé d’investissement » mais sans grand succès. Toutefois, l’absence de marché d’investissement pour les diamants et les liquidités disponibles pour le taillé sur le marché secondaire sont deux choses différentes.

Est-il vraiment impossible d’organiser le rachat de gros diamants naturels taillés à des prix raisonnables ? Peu importe qui prendrait la tête d’un tel mouvement. Mieux vaudrait que ce processus soit organisé à l’échelle internationale.

En ce qui concerne le marché russe, le mieux serait d’assurer un minimum d’activité, comme par exemple permettre de retailler des diamants taille ancienne issus des collections de bijoux des grands-mères. Aujourd’hui, c’est pratiquement impossible en Russie si l’on ne veut pas risquer de violer la loi. La mesure profite-t-elle vraiment au marché russe des diamants naturels ?

 Source Rough & Polished