Leçons tirées de la publicité générique et de la publicité de marque

Matteo Butera

La publicité diamantaire connaît de gros changements. En août dernier, la De Beers a annoncé « un investissement majeur dans une campagne marketing pour les fêtes destinée à accroître la demande des consommateurs pour les bijoux en diamants pendant les fêtes de fin d’année ».[:]La campagne sera lancée parallèlement aux publicités de Forevermark, « A Diamond is Forever », également axées sur la promotion générique des diamants.

Bien que la nouvelle ait été accueillie avec enthousiasme par le marché, elle a également suscité des réactions d’étonnement. Le fait que la De Beers utilise Forevermark pour la publicité générique semble, en soi, une pure contradiction : la marque a en effet été créée pour améliorer la différenciation entre les produits. Tout semble montrer que la décision de la De Beers n’a pas été planifiée et qu’il s’agit plutôt d’une « intervention de premiers secours » face à l’érosion constante de la valeur relative des diamants.

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Lorsqu’au début des années 2000, la De Beers a commencé à s’éloigner de la publicité générique, elle a évoqué des motifs valables. Pour commencer, la société avait dû supporter le coût de la promotion des diamants pendant près d’un siècle. Ses dirigeants proposaient ce service « gratuitement », sans rechigner, du moins tant que la De Beers exerçait un quasi-monopole sur le commerce du brut. Mais les sociétés minières nouvellement arrivées sur le marché ont adopté une attitude indépendante et leur absence de contribution importante au marketing générique a commencé à poser de gros problèmes.

Puis, à la fin des années 90, plusieurs scandales ont éclaté et menacé l’industrie : diamants du conflit en Afrique, pierres synthétiques entrant dans la filière commerciale, préoccupations environnementales et absence de responsabilité sociale des entreprises. La De Beers n’a pas été directement touchée par ces scandales mais, étant l’acteur principal du secteur, elle a fini par payer plus cher que les autres en termes absolus.

La création de Forevermark en 2008 était probablement motivée par le besoin d’affronter ces problèmes. En produisant des diamants de marque et en en faisant la publicité, la De Beers s’assurait que l’argent qu’elle dépensait pour ses campagnes publicitaires ne profite qu’à sa société. En outre, Forevermark a été créée en présentant un profil éthique de grande qualité : ses diamants étaient certifiés naturels, de grande qualité, étrangers aux conflits et respectueux des communautés locales et de l’environnement. L’objectif était de distancer la marque, de l’élever au-dessus de ses concurrents.

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De ce point de vue, la politique de la De Beers paraissait rationnelle et proportionnée. Pourtant, les résultats n’ont jamais été à la hauteur des attentes, obligeant la société à prendre un virage à 180° pour se retourner vers la publicité générique. Quelles erreurs ont donc été commises ?

Plusieurs enquêtes sur la consommation ont analysé le rôle de la publicité générique au cours des 30 dernières années. En règle générale, elle vise à augmenter la demande pour une catégorie de produits, en persuadant davantage de personnes d’en acheter. Si nous imaginons le marché diamantaire comme un gâteau à répartir entre tous les acteurs du secteur, le rôle de la publicité générique serait d’augmenter la taille du gâteau autant que possible. La plupart du temps, le marketing générique n’a pas d’effet sur la part du gâteau qui revient à chacun. La concurrence au sein d’un marché spécifique s’exerce généralement par l’intermédiaire de la publicité de marque. La publicité générique est chose courante pour les matières premières agricoles, notamment aux États-Unis, où elle s’est montrée efficace au fil des années.

Dans le cas spécifique des diamants, la publicité générique a joué un rôle essentiel pour créer et consolider le marché mondial au XXe siècle. S’il n’y avait pas eu de stratégies marketing intelligentes, aujourd’hui, les diamants ne seraient pas considérés par le grand public comme l’un des symboles universels de l’amour éternel.

Lorsqu’elle a pris la décision d’arrêter toute publicité générique en 2008, la De Beers a probablement fait un calcul logique. Dans son idée, ces décennies de campagnes publicitaires continues avaient façonné un marché solide, qui resterait fidèle au produit, même sans promotion générique. Elle s’attendait donc à ce que la taille du gâteau ne diminue presque pas, voire pas du tout. D’autre part, l’argent que la De Beers économisait pourrait être réinvesti dans la promotion de ses produits de marque (principalement Forevermark et De Beers Diamond Jewellers), augmentant ainsi sa part de marché aux dépens de ses principaux concurrents.

La De Beers a véritablement eu raison sur la deuxième partie. Depuis sa création, la marque Forevermark profite d’une croissance à deux chiffres. Sa bonne réputation lui permet de vendre ses produits 15 % plus chers que ceux proposés sur le marché générique. Pour reprendre l’exemple du gâteau, en vendant plus de diamants, et à des prix plus élevés que la concurrence, la De Beers a réussi à se tailler une plus grosse part, en en laissant moins pour les autres acteurs diamantaires.

Mais ce qui a péché dans la stratégie à long terme était la première hypothèse, à savoir que la fidélité des clients pour les diamants était acquise. Cet excès de confiance dans la solidité du marché diamantaire s’est révélé être une grosse erreur car, dès que la publicité générique a commencé à baisser, l’industrie a subi des pressions de la part d’un large éventail de concurrents. Aujourd’hui, la concurrence ne se limite plus aux produits d’une gamme comparable, comme les bijoux en général, mais elle provient de plusieurs secteurs du luxe, sans lien avec les bijoux. La haute couture, les appareils électroniques, les voyages, l’automobile et les produits de beauté sont tous devenus des concurrents directs des bijoux en diamants. Et à mesure que les alternatives se multiplient pour le public, l’élasticité de la demande de diamants augmente, empêchant toute hausse des prix.

Les analystes du marché de la De Beers sont progressivement arrivés à la conclusion que cette situation présentait désormais une menace stratégique pour l’industrie. Preuve en est le fait que la concurrence des autres catégories du luxe a été mentionnée comme la troisième prochaine tendance la plus importante dans le rapport Diamond Insight Report de la société en 2014. Le rapport indiquait également que « des investissements seraient nécessaires pour préserver et nourrir le rêve du diamant. » À l’évidence, la seule façon d’agir est de passer par une certaine forme de publicité générique.

Certes, les efforts de la De Beers doivent être accueillis de façon positive mais le reste de l’industrie ne doit pas pour autant se reposer sur ses lauriers. Premièrement, le financement de la De Beers n’a rien à voir avec ce qu’elle garantissait il y a 15 à 20 ans. Elle entend en effet ne pas abandonner les produits de marque, qui continueront à profiter de financements substantiels. Il est plutôt évident que la De Beers n’essaye pas de faire grossir le gâteau diamantaire autant que possible mais qu’elle tente plutôt de trouver une combinaison optimale entre publicité de marque et publicité générique pour optimiser ses revenus.

Il serait donc extrêmement dangereux de considérer l’engagement de la De Beers comme une excuse pour abandonner les efforts conjoints de l’industrie, comme la World Diamond Mark. Au contraire, il s’agit d’une occasion unique de lancer une action de synergie internationale et de stimuler la valeur des diamants partout dans le monde.

Un premier pas dans cette direction consisterait à reconnaître que la publicité générique est trop importante pour le marché diamantaire pour qu’elle soit abandonnée à l’initiative individuelle et au financement volontaire. Plusieurs autres marchés de matières premières, qui se trouvent dans une situation similaire, ont adopté une approche normative de la publicité. Un très bon exemple est la campagne très réussie intitulée « Got Milk? 1», lancée par la Californie en 1993. Dans un effort pour lutter contre la baisse de la consommation de lait, les producteurs se sont mis d’accord sur un impôt qu’ils se sont volontairement imposé, d’environ 0,03 dollar par gallon, à dépenser pour une grande campagne marketing. Celle-ci aurait largement contribué à redynamiser le marché du lait et des produits laitiers après 15 ans de baisse constante.

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Bien entendu, la situation de l’industrie diamantaire mondiale est bien plus complexe que celle des produits laitiers. Cela ne signifie toutefois pas que ce genre de stratégie doit être mis de côté. Par exemple, une taxe très faible (environ 0,5 %) sur les ventes de brut garantirait un apport constant de fonds à dépenser pour des activités marketing, grandement nécessaires. Un tel impôt serait très facile à négocier, à mettre en œuvre et à surveiller, étant donné le nombre relativement faible de miniers qui contrôlent la production de brut. En outre, étant imposée immédiatement en amont, la charge de l’impôt serait répartie sur toute la chaîne de valeur et éviterait que les acteurs ne fassent cavaliers seuls dans ce système.

Pour parvenir à un tel niveau de coopération, l’industrie doit toutefois changer sa façon de penser. Jusqu’à présent, les producteurs se sont orientés vers la concurrence interne, plutôt que vers l’expansion. Cette trajectoire s’est révélée insoutenable à long terme. S’accorder sur un ensemble de règles essentielles pour garantir la promotion à long terme des produits en diamants est une étape qui ne doit plus être repoussée.

Source Rough&Polished


1. « Vous avez du lait ?