Le plan sur cinq ans de Fyodor Andreev

Elena Levina

Lorsque vous parlez d’ALROSA à des experts d’Anvers ou d’Israël, ils répètent souvent que « le marché a beaucoup changé depuis que la société russe y est entrée en 2009. »[:] La Russie extrait des diamants depuis plus de 50 ans, mais ce n’est que récemment qu’ALROSA a commencé à être reconnue comme un participant à part entière de l’industrie diamantaire, et plus encore comme son leader. Au cours des cinq années passées sous la direction de Fyodor Andreev, la société est parvenue, non seulement à éviter le risque de faillite, mais aussi à s’extirper de l’ombre de la De Beers et à se forger une réputation de partenaire de confiance.

Une société inclassable

« ALROSA est une société unique. Elle n’a pas d’équivalent. Pas facile de savoir à quoi comparer ses performances et son modèle de développement et ce qui peut marcher dans son cas » se sont plaints les analystes financiers avant la récente crise économique. Peut-être l’instabilité du développement du minier, qui l’a mené à une crise en 2009, était-elle due à ses caractéristiques uniques.

Après la découverte des premières cheminées de kimberlite en URSS dans les années 50, les capacités de la Yakoutie à devenir le nouveau leader mondial de la production de diamants semblaient évidentes. Or, les grandes réserves de diamants nécessitent des investissements lourds en termes de construction d’exploitations minières, en particulier dans les zones de pergélisol. Lorsqu’il est apparu évident que les réserves des mines à puits ouvert se tarissaient lentement, ALROSA a décidé de lancer un programme à grande échelle pour construire des mines souterraines et ainsi maintenir un haut niveau de production. Une mine profonde d’un demi-kilomètre nécessite au moins cinq ans de travail et environ 1 milliard de dollars d’investissements. ALROSA a prévu de bâtir quatre mines de ce type. Les revenus de la société à l’époque étaient d’environ 2,5 milliards de dollars par an. Les mines ont donc été construites à crédit.

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Toutefois, les diamants taillés et les bijoux en diamants présentent une valeur ajoutée bien supérieure à celle des diamants bruts. Ainsi, au début des années 2000, la direction d’ALROSA a décidé de tenter de bâtir une « holding intégrée verticalement », qui comprendrait les opérations de taille et même sa propre fabrication de bijoux.

Cette initiative n’a pas freiné l’expansion du cœur d’activité de la société. Dans le sillage de la reprise économique mondiale en 2003-2007, la direction d’ALROSA (et, apparemment, ses actionnaires) a décidé de diversifier l’activité. Cette décision était dans l’air du temps, pour toutes sortes de sociétés et a été formulée ainsi : « Acheter de nouveaux actifs, créer une société holding et lancer une introduction en bourse à Londres. » ALROSA a racheté des actifs très différents dans diverses parties de la Russie : mines d’or, mines de fer, champs de gaz et de pétrole. À un moment donné, le marché a même cru qu’ALROSA pourrait absorber Norilsk Nickel – malgré le fait que la valeur de Norilsk Nickel était à l’époque cinq fois supérieure à celle du minier.

Le marché se développait et ne laissait craindre aucun bouleversement. ALROSA n’a donc rencontré aucune difficulté pour trouver des prêts destinés à acheter de nouveaux actifs. L’exploration et la construction des nouvelles installations ont elles aussi été réalisées à crédit. En réalité, le minier avait beaucoup à bâtir : le projet de minerai de fer à lui seul était estimé à 10 milliards de dollars.

En règle générale, les problèmes arrivent quand personne ne s’y attend. La crise financière de 2008 a été intense et rapide, elle a balayé cette société instable en quelques mois seulement. ALROSA n’a pas pu honorer ses 5 milliards de dollars de dettes cumulées. Il fallait pourtant continuer à bâtir de nouvelles mines, même si, après l’effondrement du marché, il n’y avait plus de demande, pas même pour le brut des mines existantes. Le projet de création d’une unité de fabrication de diamants et d’une marque de bijoux a été mené à fonds perdu, tandis que l’estimation de viabilité des activités fer et gaz était effroyable. Les banquiers avançaient prudemment le mot de « faillite ». Lorsque Fyodor Andreev a pris les rênes d’ALROSA au milieu de l’année 2009, les banquiers pensaient qu’elle serait défaillante d’un jour à l’autre.

Une commercialisation innovante

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La première chose qu’a faite ALROSA pour sortir de la crise a été d’introduire un système commercial totalement innovant, qui a permis non seulement de combler les déficits financiers, mais également d’optimiser le travail auprès des clients sur le marché.

Dans les années 60, les diamants de qualité n’intéressaient pas beaucoup l’Union soviétique – le pays avait besoin de pierres techniques pour son développement industriel. Tous les diamants de qualité étaient vendus par l’intermédiaire de la De Beers.

ALROSA n’a obtenu le droit de vendre une partie de son propre brut qu’à la fin des années 90. Toutefois, à l’époque, la Russie n’avait pas encore beaucoup d’expérience des structures indépendantes sur le marché mondial du diamant, bien que, dans le même temps, le pays ait voulu développer sa fabrication de diamants et de bijoux. « Le brut de la meilleure qualité était vendu dans le pays, à des prix bien inférieurs à ceux du marché – avec une remise d’environ 30 %, se souvient l’un des acteurs de l’industrie. Le brut de qualité inférieure allait aux marchés étrangers, pour être vendu dans le cadre de contrats uniques ou lors d’enchères, afin d’obtenir le prix le plus élevé. Tout ce qui restait allait à la De Beers. »

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Ce système fonctionnait dans un marché en bonne santé, mais s’est révélé assez peu viable en temps de crise. Lorsque le marché s’est affaibli en 2008, les clients habitués à acheter du brut lors des enchères ont commencé à en vouloir à moitié prix. Les sociétés russes, affaiblies par la crise, ont considérablement réduit leurs achats. Pour survivre, ALROSA a dû demander l’appui du gouvernement et a vendu quasiment la moitié de sa production annuelle à l’État.

Depuis l’été 2009, ALROSA a changé de stratégie marketing et commencé à élaborer ses premiers contrats à long terme pour l’approvisionnement de brut. À certains égards, le système était similaire à celui des sightholders de la De Beers : il proposait des contrats de trois ans pour l’approvisionnement d’assortiments de brut, dans des quantités convenues à l’avance. ALROSA a alors cessé d’accumuler des dettes et commencé à les rembourser, après seulement six mois.

En 2012, la société a donné un coup d’accélérateur à ses ventes. Parallèlement à son service anti-monopole, ALROSA a développé un document visant à réglementer sa politique commerciale et garantir l’égalité d’accès au brut pour tous ses clients, quelle que soit leur situation géographique.

Les clients étrangers d’ALROSA ont bien accueilli cette nouvelle politique commerciale. Les représentants des clients de la société admettent qu’avant l’introduction de ce système, ils « ne comprenaient pas comment ALROSA choisissait ses clients. » À ce jour, la politique commerciale d’ALROSA est la plus transparente du marché – les principes de sélection des clients et de distribution des boîtes des autres sociétés minières demeurent un mystère impénétrable.

Cette évolution vers plus de transparence a compliqué les relations avec les fabricants nationaux. Les sociétés russes, habituées à obtenir du brut de qualité à bas prix, n’étaient pas disposées à s’inscrire définitivement dans une économie de marché. Il a fallu plusieurs mois pour harmoniser la quantité des ventes et la gamme de produits destinés aux tailleurs nationaux. Ils sont finalement parvenus à trouver leur niche. Les résultats parlent d’eux-mêmes : en 2008, ALROSA vendait 2,5 milliards de dollars de brut tandis qu’en 2013, les ventes de la société atteignaient 5 milliards de dollars.

Une nouvelle stratégie

La nouvelle équipe managériale a proposé une stratégie novatrice : se concentrer sur l’extraction de diamants et abandonner totalement les activités non essentielles. Toutes les dépenses non indispensables pèsent inévitablement sur le coût de chaque carat de brut, ce qui ruine les atouts compétitifs de la société. Il faut se souvenir que les principaux revenus d’ALROSA proviennent toujours des ventes de diamants.

[two_third]L’objectif stratégique de la société est de préserver son leadership sur le marché mondial du diamant. Pour cela, ALROSA augmentera sa production, passant de 36 millions de carats actuellement à 41 millions de carats dans les prochaines années. Cela sera possible en grande partie parce que la société, même lorsqu’elle se remettait de la crise, n’a pas abandonné son programme de construction des mines souterraines. À l’été 2014, ALROSA a mis en service la dernière et la plus grande d’entre elles, Udachny. Ces mines ont nécessité de gros investissements, mais elles garantiront la stabilité de la production en Yakoutie pour les années à venir. Actuellement, près d’un quart des diamants extraits par ALROSA proviennent de mines souterraines. Dans quelques années, ce chiffre atteindra les 40 %.[/two_third][one_third_last]

« L’objectif stratégique de la société est de préserver son leadership sur le marché mondial du diamant. »

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La réussite de cette stratégie a été confirmée notamment par les performances financières de la société, qui s’est considérablement développée depuis 2009. Preuve en est la confiance exprimée par les investisseurs étrangers exigeants, qui ont acheté ses actions lors de l’introduction en bourse, qui a eu lieu fin 2013.

Une référence pour l’industrie

alrosa-235Lors de l’entrée en bourse d’ALROSA, les réactions ont été disparates sur le marché. Les acteurs ont expliqué que « cela n’avait pas grand-chose à voir avec le marché réel. » Pourtant, si l’on creuse un peu, le flottement des actions de la société russe a peut-être été encore plus utile à la filière qu’à ses actionnaires. En garantissant la conformité de ses documents avec les normes boursières, ALROSA est devenue la société diamantaire la plus ouverte et la plus transparente actuellement. Elle publie tout, de ses états financiers aux informations relatives aux appels d’offres pour l’achat de fournitures de bureau.

[two_third]Dans l’ensemble, les acheteurs de brut se moquent des cotations d’ALROSA. En revanche, ils s’inquiètent de la quantité de brut que la société met en vente et des diamants que le minier sortira de son stock. ALROSA révèle même les prix du brut vendu – un luxe que ne peuvent se permettre ni la De Beers, ni les autres sociétés minières.[/two_third][one_third_last]

« ALROSA exige le même niveau de transparence de ses clients. »

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ALROSA exige le même niveau de transparence de ses clients. Aucune société ne peut être client à long terme d’ALROSA si elle n’a pas publié ses états financiers et démontré une stabilité professionnelle suffisante. En outre, ALROSA a créé pour ses clients le concept de « pratiques professionnelles responsables », aux termes desquelles chaque client à long terme doit garantir qu’il respecte toutes les exigences du Kimberley Process, combat la corruption et ne vend pas de diamants synthétiques. Les responsables d’ALROSA ont même laissé filtrer dans les médias que la société s’intéressera de près aux clients qui pratiquent la manipulation des prix – c’est-à-dire qui achètent certaines catégories de brut pour créer une pénurie, puis écoulent le stock cumulé sur le marché. ALROSA menace d’exclure de sa liste de partenaires de longue date ceux qui enfreindraient les « normes professionnelles éthiques ».

En 2014, quelques années après que la société russe a introduit un système strict de critères financiers et professionnels pour ses clients, la De Beers mettait en place un système identique.

[two_third]Après 10 ans d’instabilité, ALROSA a trouvé sa stratégie de développement. Aujourd’hui, la société est le plus gros producteur de diamants au monde. Elle dispose des ressources les plus importantes et jouit d’une réputation de partenaire fiable et stable, qui définit les normes commerciales de toute l’industrie. La seule question que se posent désormais les acteurs du marché, après la démission de Fyodor Andreev du poste de PDG de la société, est de savoir si ALROSA préservera cette stabilité.[/two_third][one_third_last]

« Après 10 ans d’instabilité, ALROSA a trouvé sa stratégie de développement. Aujourd’hui, la société est le plus gros producteur de diamants au monde. »

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Source Rough & Polished