Le marché du « mêlé »

Zainab Morbiwala

Utilisé en tant qu’ornement ou pour le pavage, le mêlé est un élément à part entière du marché diamantaire.

Le mêlé a toujours joué un rôle important au sein du marché diamantaire, en ornement sur les bijoux ou pour créer des pavages scintillants.[:]Ces 15 dernières années, le mêlé a encore gagné en importance sur les bijoux en diamants : son éclat sur les bagues de fiançailles est l’une des choses les plus appréciées du moment. En outre, avec une tendance qui fait la part belle au design et face à des consommateurs soucieux de leurs budgets, ces minuscules diamants ont permis de créer à plus grande échelle des créations marquantes, à des tarifs plus abordables.

Réputée pour être le plus gros producteur de taillé au monde, l’Inde est aussi le plus grand producteur de diamants mêlés. « On estime à 90 % la part du mêlé mondial qui est taillée en Inde », affirme Vipul Shah, du Gem and Jewellery Export Promotion Council of India (GJEPC). Surat arrive en tête dans le pays pour la transformation du mêlé, avec 90 % du total produit.

Ces très petits diamants ont leur propre vocabulaire permettant de qualifier leur grosseur. Souvent qualifié d’«éclats » par les consommateurs, le mêlé est un produit essentiel de l’industrie, en particulier pour les bijoux de créateurs. Le terme « mêlé » désigne un ensemble de petits diamants ; l’origine du terme vient du mot français « mêlée », autrement dit « mélangé ». Le mêlé peut aller de 0,001 carat, autrement dit 1 millième de carat, à 0,15 carat, soit environ entre 0,6 mm et 3,5 mm de diamètre. Sur le marché indien, le mêlé entre 0,001 carat et 0,025 carat est appelée « star ». Le nombre moyen d’unités par carat est alors de 40 à 333 pièces. Les pierres de 0,12 carat à 0,15 carat sont appelées « mêlé grossier ».

Le mêlé se mesure à l’aide de tamis, des instruments de haute précision composés de plaques métalliques rondes, dont les orifices ont des dimensions très précises. Les grosseurs des tamis vont de 000 à +16. Des jeux de tamis peuvent aussi être fabriqués par incréments d’un quart.

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Le mêlé et l’Inde

Selon Vipul Shah, l’histoire du mêlé en Inde remonte à 1962, lorsque le gouvernement indien a autorisé l’importation de brut afin qu’il soit taillé dans le pays. Au départ, l’Inde taillait les petits diamants, peu onéreux, comme les stars. Manish Jain, président de l’India Gems and Jewellery Trade Federation (GJF) explique : « Dès la fin des années 90 et jusqu’au début du siècle, l’Inde a perfectionné ses compétences en matière de taille. Les usines de taille indiennes se sont alors dotées de davantage de technologies de pointe et il est vite apparu que les différences de qualité qui existaient avec d’autres grands centres de taille s’effaçaient. Il était logique que les grands miniers disposent d’installations de taille en Inde pour transformer le mêlé, car c’était aussi là que se trouvait la majeure partie de la valeur pour ce segment. »

Évoquant les facteurs qui font de l’Inde la première destination pour la taille du mêlé, Mark Gershburg, fondateur et président directeur général (PDG) de Gemological Science International (GSI), fait remarquer : « Les nouvelles machines de taille et les technologies modernes ont amélioré la qualité des petites pierres et en ont augmenté la quantité. » En outre, les coûts de la main-d’œuvre en Inde sont bien plus moins élevés que dans d’autres pays.

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La logistique

Les travailleurs sont formés à la taille de l’ensemble du brut par des groupes de l’industrie comme l’India Diamond Institute (IDI).

D’après Vipul Shah, jusqu’à 70 % du personnel indien se consacre à la taille du mêlé. Le tri et la certification sont considérés comme un travail artistique. Il faut non seulement tamiser de minuscules diamants, mais également les trier. Les machines de haute technologie en provenance de Russie et d’Israël ont remplacé les méthodes manuelles mais, dans l’ensemble, la taille du mêlé est toujours considérée comme une opération gourmande en main-d’œuvre.

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Selon le GJEPC, les principales sociétés indiennes concernées par la taille du mêlé sont Kiran Gems Pvt. Ltd., Sheetal Diamonds Ltd., Rosy Blue, Mahendra Brothers Exports Pvt. Ltd., Dimexon Diamonds Ltd. et Asian Star Co. Ltd.

La rentabilité

[two_third]Le mêlé, comme d’autres catégories de brut, provient de miniers comme la De Beers, ALROSA, Rio Tinto, Dominion Diamond Corporation et d’autres mines africaines. Bien qu’il n’y ait pas de pénurie de mêlé, Vipul Shah considère qu’en raison de la conjoncture économique, la taille du mêlé ou de tout autre diamant n’offre pas une grande rentabilité. « Les prix des matières premières ont augmenté mais, en raison des tendances à la récession sur le marché mondial, les prix du taillé ou des produits finis n’ont pas augmenté d’autant, ce qui a fait baisser la rentabilité de l’activité », explique-t-il. Manish Jain précise que la rentabilité varie selon les marchés et les qualités.[/two_third][one_third_last]

« En raison de la conjoncture économique, la taille du mêlé ou de tout autre diamant n’offre pas une grande rentabilité. »

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Dinesh Lakhani, le directeur de Kiran Gems Pvd. Ltd., note que les coûts de production ont connu un « changement radical ces cinq dernières années, augmentant de près de trois fois par rapport à ce qui se faisait auparavant. » Vipul Shah propose plusieurs explications, comme l’inflation et l’augmentation des salaires, l’utilisation de machines modernes onéreuses et le coût des intérêts et de l’amortissement de ces machines.

Pourtant, la principale difficulté à laquelle l’Inde est confrontée, explique Mark Gershburg, « c’est le taux de change entre la roupie et le dollar, qui agit sur le coût de production du brut et, par conséquent, sur les prix du taillé. »

La demande

[two_third]« Les catégories de mêlé font l’objet d’une demande satisfaisante. Les échanges sont corrects, même pour le mêlé de pureté supérieure », explique Dinesh Navadia, le président de la Surat Diamond Association (SDA). Il ajoute : « Les activités issues du mêlé sont plus intéressantes que la production de diamants de grosseur supérieure. » Il explique la demande supérieure de mêlé par des « designs de bijoux plus complexes », faisant remarquer que « le mêlé s’adapte parfaitement aux designs tendance. »[/two_third][one_third_last]

« La principale difficulté à laquelle l’Inde est confrontée, explique Mark Gershburg, c’est le taux de change entre la roupie et le dollar, qui agit sur le coût de production du brut et, par conséquent, sur les prix du taillé. »

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En outre, fait remarquer Dinesh Lakhani : « Actuellement, avec l’amélioration de l’activité du mêlé, notre stratégie commerciale consiste à transformer du mêlé, comparativement plus rentable que les stars en matière de taille et de fabrication. » Toutefois, il émet un avertissement : « Toute l’industrie connaît un problème de rentabilité. Des pressions se font sentir dans toutes les catégories. Or, le mêlé est relativement moins touché et les ventes se font correctement. Grâce à cela, les niveaux de stock sont sous contrôle et le cycle des paiements est bien plus court. »

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Vipul Shah évoque une demande correcte de mêlé de la part de l’Europe, du Moyen-Orient, des États-Unis, de la Chine et du marché national indien. Dinesh Navadia explique que la plus forte demande de mêlé provient de Hong Kong et de Bangkok, en Asie, suivis des États-Unis. Les clients de ces pays aiment les bijoux aux designs complexes, qui comportent souvent du mêlé. Manish Jain s’explique : « La grosseur n’est pas le facteur différenciateur. Quelle que soit la grosseur, ce sont les tarifs qui vont déterminer ce qui se vend ou ne se vend pas dans un marché donné. Les États-Unis consomment la plupart des qualités inférieures même si, bien entendu, certains clients américains recherchent aussi des marchandises haut-de-gamme. »

Les tarifs

Selon Sanjay Shah, directeur de Gold Star Diamond Pvt. Ltd., actuellement, les prix du mêlé sont bas par rapport à ces derniers mois, en recul d’environ 5 %. « La demande a été très faible, explique-t-il, et malgré des hausses de prix pour les autres grosseurs et les marchandises plus importantes, soit le mêlé a connu un repli soit il est resté stable. On le sait, la production a été supérieure à la demande et la demande de bijoux est motivée par les prix : peut-être s’agit-il des raisons pour lesquelles les prix du mêlé ne suivent pas l’augmentation du tarif des autres diamants. » Il considère que les prix devraient rester stables pour l’instant.

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Ces dernières années, les stars ont dépassé le mêlé en prix mais l’écart entre les deux s’est réduit récemment. Les différences de prix disparaissant, la grande majorité des clients préfèrent de plus en plus souvent le mêlé aux stars.

L’attention portée à l’éthique

À une époque, la certification du mêlé était peu réglementée. Or, récemment, l’industrie étant plus ouverte à la question des diamants synthétiques, des laboratoires comme GSI, l’International Gemological Institute (IGI) et le Gemmological Institute of India (GII) ont commencé à certifier le mêlé. Les tests sur le mêlé présentent un problème, à savoir que les prix de vente peuvent être inférieurs aux frais engagés pour le tester.

[two_third]Vipul Shah précise qu’en raison de sa grosseur, le mêlé fait naître une « question éthique plus inquiétante », qui concerne le mélange de diamants synthétiques et de diamants naturels. « Nous avons rencontré quelques cas de ce type. Le GJEPC, avec le soutien de la Bharat Diamond Bourse (BDB), a mis sur pied le Diamond Detection and Research Center (DDRC), qui s’est établi à Mumbai et à Surat. Les dossiers indiquent que les découvertes de synthétiques ont baissé. Du fait de la mise à disposition de cette structure, les personnes peu scrupuleuses craignent désormais d’être prises sur le fait. Avec le temps, cette pratique illégale ne fera que diminuer. »[/two_third][one_third_last]

« Vipul Shah précise qu’en raison de sa grosseur, le mêlé fait naître une « question éthique plus inquiétante », qui concerne le mélange de diamants synthétiques et de diamants naturels. »

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Dinesh Lakhani ajoute : « L’affaire est sérieuse mais ne doit pas prendre des proportions insensées. Il faut plutôt mettre en place des mesures réfléchies. Chez Kiran Gems, nous nous assurons que notre filière soit préservée, grâce à des mesures de contrôle appliquées à différents niveaux. Toutefois, nous n’avons plus aucune prise une fois que les marchandises sont vendues. Il faudrait donc que des normes soient respectées dans toute la filière si l’on veut garantir le caractère sacré de la nature des diamants, en les soumettant à un audit indépendant. C’est encore plus important au niveau du B2C, c’est-à-dire au comptoir de vente, là où le client rencontre le diamant et toute l’industrie. »

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Évoquant les motivations derrière ces pratiques inéquitables, Sanjay Shah explique : « Oui, c’est un problème majeur, la principale raison étant que les petits fabricants ne gagnent pas d’argent lorsqu’ils taillent des diamants naturels. Cela les oblige à se tourner vers des solutions alternatives et, malheureusement, les synthétiques en font partie. Il ne fait aucun doute qu’il existe une grande offre de brut à laquelle des synthétiques peuvent être ajoutés. Il ne s’agit pas spécifiquement du mêlé, mais principalement de ce qui vient de Chine et des petites grosseurs. La plupart des marchandises qui sont taillées sont des -6,5 et avec la rareté des machines de détection des synthétiques à un niveau inférieur, les marchandises peuvent être facilement mélangées à des diamants naturels. C’est un problème majeur et, malheureusement, nous ne luttons pas tous ensemble. Le GJEPC devrait soutenir les synthétiques et reconnaître qu’il existe un marché, plutôt que de se lancer à la recherche des personnes qui en font le négoce en les faisant passer pour des criminels. Nous devrions appliquer des normes, qui permettraient non seulement de sensibiliser les consommateurs, mais aussi d’aider ceux qui le souhaitent à produire des synthétiques, afin qu’ils puissent les vendre en tant que tels. »

Pour stimuler l’activité globale des diamants en Inde, dont la fabrication de mêlé, Vipul Shah cite quelques domaines auxquels l’industrie aimerait que le gouvernement indien apporte son aide. « Le gouvernement indien peut soutenir cette industrie en adoptant des mesures rapides sur les sujets suivants : la mise en place dans le pays de la zone notifiée spéciale (SNZ) récemment annoncée et l’introduction d’une imposition forfaitaire pour l’industrie diamantaire indienne. Il faudrait aussi travailler sur la structure des droits d’importation pour les diamants naturels et de laboratoire et garantir la disponibilité directe et constante des matières premières. »

Avec une dynamique de l’industrie joaillière de plus en plus axée sur les tendances, la demande de mêlé est forte et les experts considèrent qu’elle le restera. « Il est difficile de déterminer les grosseurs de mêlée qui vont être demandées mais, dans l’ensemble, la réaction a toujours été positive », résume Dinesh Navadia.

« Toutefois, conclut-t-il, il faut voir comment obtenir de meilleures marges sur la production de mêlé et où trouver de la rentabilité pour le fabricant. Je dis cela car le prix du mêlé n’a pas augmenté de la même façon que celui des autres diamants de grosseurs supérieures. »

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Source Rapaport