La World Diamond Mark

Sergei Goryainov

Le programme World Diamond Mark (WDM), mis en place lors du 35ème Congrès mondial du diamant à Mumbai, devait être lancé en juillet 2013.[:] Ce projet est né d’une initiative de la World Federation of Diamond Bourses (WFDB). Selon elle, il s’agit « du plus important programme marketing jamais conçu pour promouvoir les diamants. »

Le marketing générique est devenu un problème grave dans l’industrie. À une époque, la De Beers, rejetant le système unilatéral de régulation du marché, a cessé de financer les programmes associés. La société s’est alors concentrée sur la promotion de ses propres marques. Depuis, la part des marchandises en diamants sur le marché du luxe n’a cessé de diminuer. Malheureusement, la tendance ne s’est toujours pas inversée. Les grands miniers ont tenté de sortir de cette spirale infernale grâce à une initiative connue sous le nom de International Diamond Board (IDB), mais en vain. Les motifs de l’échec étaient évidents : Rio Tinto, BHP et ALROSA ne possédaient pas leurs propres marques ; dès lors, selon eux, leur investissement dans le marketing générique aurait implicitement renforcé les avantages concurrentiels de la De Beers. Lorsque Rio Tinto a lancé la promotion de sa marque Nazraana et qu’ALROSA a renoncé à se lancer dans la diversification verticale, tout espoir d’une action coordonnée des miniers dans le marketing générique s’est évaporé. Alors, dans quelle mesure la World Diamond Mark peut-elle remédier à la situation ?

Les fervents défenseurs de la WDM se réfèrent souvent à l’expérience de la Platinum Guild International (PGI), une organisation créée pour promouvoir le marché des bijoux en platine. Son succès a été spectaculaire. La PGI a été créée en 1975 par les sociétés sud-africaines productrices de platine (Anglo American Platinum, Impala Platinum, Lonmin), avec un centre de commande à Londres et des bureaux aux États-Unis, au Japon, en Chine, en Inde, en Italie et en Allemagne. Les agences de publicité engagées par la PGI, dans les grands pays consommateurs de bijoux, n’excellent pas particulièrement par leur originalité ou par leurs découvertes créatives. Elles se contentent d’un bon vieux cliché frivole, adapté à chaque pays. Or, cette stratégie a produit des résultats impressionnants : si la consommation de platine dans l’industrie de la bijouterie, à l’arrivée de la PGI, ne dépassait pas 5 % de sa production, elle s’approche aujourd’hui fortement des 50 %. Ce succès est principalement dû à un financement de poids – selon diverses estimations, le budget publicitaire de la PGI oscille entre 0,3 milliard et 0,5 milliard de dollars par an. Rien de tel pour que ces messages publicitaires faits maison deviennent efficaces.

Les sociétés à l’origine de la PGI et qui financent ses opérations marketing, ne possèdent pas leurs propres marques de bijoux et réseaux de distribution. Elles se contentent de faire seules la promotion du platine, à savoir un métal destiné à fabriquer des bijoux. En réalité, la PGI est une réplique de projets similaires engagés par la De Beers il y a 30 à 40 ans, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de son affiliation avec Anglo American. On peut aisément supposer que, si l’une des sociétés à l’origine de la PGI avait créé et promu sa propre marque de bijoux en platine, toute la structure se serait effondrée.

L’analogie entre la WDM et la PGI paraît pour le moins artificielle. Pour s’engager dans le marketing générique, la WDM, telle qu’elle a été pensée par ses créateurs, devra associer les capacités financières et organisationnelles des sociétés opérant en aval de la filière du diamant, à savoir fabricants et détaillants. Bien entendu, ses créateurs sont habitués à disserter sur la nécessité d’attirer les grands miniers. Or, ils sont certainement très conscients de l’impossibilité d’appliquer concrètement ce genre de déclarations, et ce pour les raisons qui précèdent. Reste à contacter les fabricants, négociants et détaillants. Beaucoup sont tout à fait intéressés par le marketing générique et ne s’opposent pas au principe d’une petite « taxe », qui serait prélevée au bénéfice d’une noble cause.

Ce genre de solution à un problème urgent de l’industrie est très ingénieux et paraît prometteur à première vue. Il demeure toutefois quelques « pierres d’achoppement », qui seront difficiles à ignorer. En premier lieu, l’argent. En des temps meilleurs, la De Beers dépensait plus de 0,2 milliard de dollars par an en marketing générique. En considérant l’inflation, ce chiffre serait aujourd’hui multiplié par au moins trois. La WDM va-t-elle engendrer une telle ferveur des fabricants et des détaillants ? Les auteurs du concept prévoient que, d’ici cinq ans, les participants au programme WDM seront au nombre de 60 000 environ, dans pratiquement tous les pays importants pour l’industrie. D’ici là, son budget devrait atteindre 0,1 milliard de dollars. Si l’on revient sur l’expérience de la De Beers et de la PGI, ce niveau de financement semble insuffisant. Or, le marketing est un processus créatif. Généralement, le succès ne dépend pas des investissements de façon linéaire ; il arrive que certains slogans fortuits fassent bien plus que des milliards de dollars investis dans une publicité sans grand intérêt.

Mais il existe un obstacle bien plus sérieux que l’insuffisance du financement. Le marketing peut ne pas fonctionner, l’histoire regorge de ces exemples. Lorsqu’un programme marketing est financé et géré de façon centrale, les échecs peuvent être réparés assez rapidement et à moindre coût. Or, si le programme regroupe 60 000 « actionnaires minoritaires » et que, pour ses gestionnaires, les conséquences personnelles d’un échec sont relativement peu importantes, les suites risquent d’être assez désagréables. Autre scénario, plus complexe celui-ci : supposons que les efforts de la WDM déclenchent néanmoins une hausse générale de la demande des consommateurs pour les diamants. Qui peut garantir que cette demande se répartisse au pro rata de la contribution de chacun des 60 000 participants ? Que se passerait-il si cette demande concernait tout particulièrement une ou plusieurs marques ou, au contraire, des marchandises sans marque ? Ce risque est quasi-inexistant pour les membres de la PGI : les producteurs de platine développent le marché de la consommation. Peu importe pour eux la marque de bijoux qui réussira le mieux. La seule chose qu’ils recherchent, c’est une consommation accrue de platine. Le budget de la PGI ne regroupe que quelques contributeurs. Chaque avis revêt une certaine importance ; ainsi, si quelque chose tourne mal, l’erreur peut être rapidement éliminée. Dans le modèle proposé par la WDM, ce risque est presque absolu : il y a 60 000 participants, chacun avec son propre point de vue du marketing générique et sa propre stratégie, le but étant de l’utiliser comme une « onde porteuse » destinée à la promotion de ses propres produits. Dès lors, la redistribution du marché paraît presque inévitable, que le marketing générique réussisse ou échoue. Rien de plus facile donc que de prédire les conflits d’intérêts.

Évidemment, la WDM est un geste désespéré, une réaction à l’échec des miniers à défendre et, plus encore, à développer la position du diamant sur le marché du luxe, chose qu’avait su faire la De Beers en son temps. Si l’on rend hommage à l’ingéniosité de son approche, difficile de juger que ce nouveau concept puisse être cohérent. Et le slogan « When the world loves, we are here  »1 est bien loin de « A diamond is forever  »2. La vague allusion sexuelle n’aura probablement que peu d’impact face au meilleur slogan publicitaire du XXe siècle.

Aussi étrange que cela puisse paraître, il semble que le seul moyen de percer dans le marketing générique soit de le nier. Les principaux miniers créent leurs propres marques en établissant des réseaux de vente au détail ; « l’effet cumulatif » de ce processus (surtout compte tenu du montant des budgets publicitaires) peut venir raviver l’intérêt des consommateurs pour les diamants, bien plus que le programme très controversé de la WDM. Si ALROSA avait cessé de montrer une indifférence suicidaire au problème et rejoint le mouvement suivi par De la Beers, et plus dernièrement par Rio Tinto, la possibilité de croquer un délicieux « morceau du gâteau » du luxe aurait un avenir plus certain.

Source Rough&Polished


[1] Quand on aime dans le monde, nous sommes là

[2] Un diamant est éternel