La voie vers la reprise

Avi Krawitz

L’industrie diamantaire se trouve au mieux depuis plus de dix ans mais elle va devoir se montrer proactive si elle veut maintenir cette progression.

Le marché diamantaire connaît un certain dynamisme qui en a surpris plus d’un, alors que nous arrivons à la moitié de l’année. Si l’on considère les difficultés auxquelles l’industrie a été confrontée au cours de la dernière décennie, les diamantaires ne sont pas nécessairement habitués aux forces positives qui façonnent le marché en 2021.

« À l’issue d’une année difficile, il est clair que l’industrie diamantaire s’en est mieux sortie que la plupart des industries, explique Paul Rowley, vice-président exécutif du négoce des diamants chez De Beers. Le marché a fait preuve d’une résistance remarquable. »

Non pas que l’industrie a progressé en 2020. La croissance était toujours négative en glissement annuel. Le retail des bijoux était en baisse d’environ 10 % à 12 % d’après les estimations de De Beers. Mais en règle générale, le marché diamantaire – comme le secteur du luxe dans son ensemble – a gagné des parts de marché pendant la pandémie : les consommateurs ont dépensé moins pour les voyages et avaient plus d’argent discrétionnaire pour acheter des cadeaux.

Une hausse de l’engagement

Cette année, l’industrie assiste déjà à une solide croissance. Les ventes de bijoux aux États-Unis ont dépassé les niveaux d’avant la pandémie, entre mars et mai, d’après Mastercard SpendingPulse. Les revenus issus de la catégorie étaient en progression de 30 % en mars par rapport au même mois de 2019, puis ont pris 14 % en avril et 45 % en mai, d’après les rapports de la société de recherche de carte de crédit. Les ventes de bijoux en diamants sur ces trois mois étaient de 30 % supérieures à 2019 et le triple des niveaux de l’année dernière, d’après des estimations du Natural Diamond Council (NDC).

De la même façon, la Chine a rebondi par rapport aux plus bas de la pandémie de Covid-19. Lors de l’exercice fiscal clos le 31 mars, le bijoutier Chow Tai Fook a enregistré ses plus hauts revenus et profits annuels en sept ans. Les ventes du second semestre étaient au plus haut sur tous les semestres rapportés.

La reprise très solide du retail aux États-Unis et en Chine – les deux plus grands marchés pour les diamants – « a probablement été meilleure que ce que nous pensions », affirme Paul Rowley. Le rebond a également stimulé la demande de taillé dans la filière intermédiaire – fabricants et négociants – car les bijoutiers ont dû reconstituer les stocks vendus.

En plus de la croissance des ventes, l’humeur des consommateurs envers les diamants a connu une amélioration considérable, fait observer David Kellie, PDG du NDC, dont l’organisation organise des campagnes marketing pour dynamiser le désir du public pour les diamants.

La génération Y est fortement engagée envers le produit, annonce-t-il, citant les réseaux sociaux et d’autres métriques numériques, comme les recherches Google spontanées. En effet, le coronavirus a contraint l’industrie à investir dans le numérique, définissant une nouvelle normalité pour les affaires, fait remarquer David Kellie, même s’il explique qu’il y a encore beaucoup à faire et notamment pour améliorer la conversion et vendre.

Des pénuries de l’offre

Dans la filière intermédiaire, le premier semestre a été marqué par la stabilité des négoces et une humeur positive. Pourtant, rien ne confirme si la force qui entraîne la reprise est une hausse de la demande, une pénurie de l’offre ou une combinaison des deux.

Environ 20 % de l’offre ont pu sortir du système au plus fort de la crise, estime Paul Rowley. Les fabricants et les négociants ont pu réduire leurs stocks et vendre en ligne tout en gelant les achats de brut et la production de taillé pendant une période relativement longue. Le négoce et la fabrication ont rapidement repris avec le ralentissement de la Covid-19 au second semestre 2020.

Toutefois, des pénuries de taillé sont réapparues lorsque l’Inde a été confrontée à une nouvelle vague d’infections au coronavirus cette année, amenant le gouvernement à imposer des restrictions sur les entreprises en avril et en mai. L’industrie diamantaire a continué de fonctionner, puisqu’elle a été qualifiée de service essentiel, mais la fabrication a ralenti avec l’absence de nombreux travailleurs. Des arriérés de marchandises aux laboratoires de certification du Gemological Institute of America (GIA) à Mumbai et Surat ont encore aggravé les pénuries.

« Il est difficile de s’approvisionner dans certaines catégories, fait remarquer Russell Mehta, directeur général de Rosy Blue, un fabricant installé en Inde. Le marché est très étroit pour l’instant dans ces catégories et les fournisseurs disposent de faibles stocks. » S’il y avait une grosse commande sur le marché de la part d’un grand détaillant et que ces marchandises étaient difficiles à trouver, cela ferait naturellement augmenter les prix, fait-il observer, en ajoutant que les raretés concernent principalement les marchandises certifiées.

Elliot Krischer, président du New York Diamond Dealers Club (DDC) et associé chez le vendeur de taillé Esskay Gems, convient que les pénuries de l’offre aident le marché. Mais il constate également une demande élevée : les dépenses des consommateurs ont grimpé après l’envoi par le gouvernement de chèques de relance. Les gens se fiancent de nouveau après avoir reporté leurs projets de mariage pendant la Covid-19. Ces facteurs seront maintenus au moins jusqu’à la fin de l’année, prévoit-il.

Paul Rowley, pour sa part, considère que « les bases de l’industrie sont aujourd’hui probablement les meilleures depuis au moins une décennie. »

Des marges qui s’amenuisent

Comme la demande dépasse l’offre au premier semestre 2021, les prix du taillé ont maintenu leur dynamique à la hausse. À l’heure où nous rédigions, le 24 juin, l’indice RapNet (RAPI™) pour les diamants certifiés de 1 carat avait augmenté de 7,6 % depuis le début de l’année.

Par ailleurs, les pénuries de taillé ont provoqué une forte demande de brut, même si les prix du brut ont augmenté et que les marges bénéficiaires des fabricants se sont amenuisées. Les prix du brut ont progressé d’environ 7,1 % depuis le début de l’année 2021, d’après les estimations de Rapaport, et de 13,6 % depuis septembre et octobre 2020, à l’époque des dernières baisses de prix de De Beers et d’ALROSA en lien avec la pandémie. Les deux grands miniers avaient adopté une politique consistant à assurer la stabilité des prix du brut et à maintenir une offre basse lors des premières étapes de la crise, lorsque les gens n’avaient peut-être pas les liquidités ou le courage d’acheter, se rappelle Russell Mehta.

Mais les achats sont vigoureux depuis août 2020, puisque les ventes de taillé et le retail des bijoux se sont considérablement améliorés. Les ventes de brut combinées d’ALROSA et de De Beers ont plus que doublé en glissement annuel, atteignant 3,9 milliards de dollars lors des cinq premiers mois de 2021. Elles étaient de 10 % supérieures à celles de la même période de 2019. Les deux sociétés ont réduit les stocks qu’elles avaient cumulés pendant la pandémie.

Des changements dans les sights

Pourtant, les derniers sights de De Beers n’ont pas été très volumineux, souligne Paul Rowley. La société a vendu 385 millions de dollars de brut en mai et 470 millions de dollars en juin. Les ventes relativement faibles sont dues en partie aux contraintes de production, notamment des perturbations dans des sites miniers en Afrique australe et au Canada, d’après sa société-mère Anglo American, dans ses actualités du premier trimestre.

À l’échelle internationale, d’après des estimations de Rapaport, les volumes de production étaient en baisse d’environ 17 % en glissement annuel au premier trimestre 2021. Il a fallu attendre le mois d’avril de l’année dernière pour que la diffusion de la pandémie commence à peser sur le marché. La base de comparaison pour cette période était donc toujours solide. La production totale pour 2020 a fini par chuter d’environ 18 %. Depuis, la plupart des mines ont retrouvé leur pleine capacité. Les prévisions pour toute l’année 2021 montrent une hausse de production d’environ 4 %. Toutefois, les chiffres restent toujours bien en deçà des niveaux d’avant la pandémie et la fermeture récente de la mine Argyle, en Australie, qui produit de gros volumes de faible valeur, a de nouveau restreint la production.

La récente politique de De Beers, qui consiste à vendre en fonction des niveaux réels de la demande, contribue à la faiblesse de ses transactions. (La société tente ainsi d’améliorer l’efficacité sur le marché.) La baisse de l’offre aide le marché à s’aligner sur la nouvelle normalité, explique Paul Rowley.

De Beers a réparti ses sightholders en trois catégories pour la période contractuelle qui a débuté le 1er avril : fabricants, négociants et « sightholders intégrés », le terme utilisé pour désigner les clients qui sont détaillants. La société fournit davantage de brut de plus de 0,75 carat aux centres de valorisation. Des pays comme le Botswana et la Namibie souhaitent tailler davantage de brut localement afin de diversifier leur industrie diamantaire, au-delà de l’extraction.

De cette façon, De Beers donne la priorité aux clients qui disposent d’usines au Botswana et en Namibie, puis viennent les sightholders intégrés qui paient des honoraires supplémentaires pour profiter de services plus spécialisés lors du sight, explique un sightholder, qui a demandé à garder l’anonymat. Viennent ensuite les sightholders internationaux, autrement dit ceux qui fabriquent uniquement en dehors des centres de valorisation, et enfin les négociants. De Beers souhaite qu’il y ait moins de boîtes revendues sur le marché secondaire et davantage de marchandises allant directement en fabrication, explique le sightholder.

La liste des clients de De Beers pour 2021 contient bien moins de négociants qu’avant, d’après un rapport de janvier de Rapaport News. Toutefois, Paul Rowley réfute l’idée selon laquelle la nouvelle politique met de côté les négociants de brut ou les petits fabricants qui comptent sur le marché secondaire pour s’approvisionner. « Nous avons passé beaucoup de temps à comprendre où allait notre brut et à essayer de consolider le type de marchandises destinées à des sous-traitants spécifiques, pour s’assurer qu’ils reçoivent le produit dont ils ont besoin », affirme-t-il. Par ailleurs, « nous savons qu’un seul fabricant ne peut pas tout fabriquer. »

Nous avons pu constater « un changement de dynamique sur de nombreux points sur le marché », ajoute-t-il, provoquant « une répartition plus serrée et une mise sur le marché plus efficace ».

Le cœur de la fabrication

Étant donné tous les efforts engagés pour resserrer le système de distribution, certains craignent des pertes d’emplois dans le secteur de la fabrication, notamment avec la disparition de l’offre de faible valeur d’Argyle. Le brut d’Argyle nécessitait des compétences différentes mais personne ne va remplacer ces marchandises, explique un dirigeant du secteur de la fabrication sous couvert d’anonymat – même s’il reconnaît que les diamants synthétiques pourraient venir remplir ce vide.

Paul Rowley comme Russell Mehta estiment que Surat demeurera le centre névralgique de la fabrication diamantaire. L’Inde continue d’apporter de la valeur grâce à son savoir-faire – notamment ses compétences sur les petites pierres – et grâce à ses infrastructures et à ses faibles frais de main-d’œuvre, assurent-ils. Et même si De Beers pourrait bien rester le plus grand producteur de marchandises de 0,75 carat et plus pour les pays de valorisation, le brut provenant d’autres miniers – comme ALROSA et ceux qui vendent aux enchères et dans les tenders – continue d’être envoyé en Inde pour y être taillé, fait remarquer Russell Mehta.

Implications du commerce électronique

Le virage vers une filière plus efficace modifie également la dynamique du marché pour les négociants de taillé, en particulier parce que les fabricants ont lourdement investi pour améliorer leurs plates-formes de ventes en ligne.

« Le modèle de vente des marchandises certifiées a été bouleversé, notamment avec la ruée vers les ventes en ligne, affirme Russell Mehta. C’est une tendance qui ne va pas s’inverser. Les ventes seront désormais plus directes pour les détaillants du monde entier. »

Elliot Krischer, du DDC, admet que cette tendance existe mais considère que les négociants conserveront leur place sur le marché. « Ce sont les éléments les plus utiles de la chaîne des diamants », souligne-t-il, expliquant que seuls les négociants disposent des réseaux nécessaires pour garantir un volume de diamants similaires pour un programme de retail. Ce sont également eux qui sont prêts à faire crédit, sur la durée exigée par les bijoutiers, et à proposer des marchandises en consignation, explique-t-il.

Sur le marché actuel, tout le monde doit trouver des moyens et des méthodes pour ajouter de la valeur dans la chaîne de distribution, fait remarquer Russel Mehta. « Sans ajout de valeur, vous pourriez peut-être vous en sortir à court terme mais à long terme, vous serez contraint de sortir du marché. »

Une approche proactive

Les craintes relatives à la consolidation du marché renforcent une nécessité, celle d’accroître le désir des consommateurs pour les diamants, affirme David Kellie du NDC.

« Si nous vendions plus de diamants, 98 % des problèmes de l’industrie disparaîtraient », promet-il, faisant remarquer que le marché se montre naturellement pessimiste et tend à se focaliser sur des « diversions » spécifiques au marché, comme les tarifs, le financement bancaire et la menace des diamants synthétiques. Le marché devrait plutôt se concentrer sur la façon d’augmenter la demande, explique-t-il.

Même si l’industrie a fortement rebondi après le ralentissement du coronavirus, David Kellie fait remarquer qu’elle est restée « largement en-deçà » de la croissance économique mondiale ces 10 dernières années. Pour inverser la tendance et préserver la part de marché obtenue l’année dernière, le marché doit continuer à renforcer son positionnement numérique.

Jusqu’à la pandémie, souligne-t-il, l’industrie était en retard dans la sphère du numérique, elle ne s’était même jamais adaptée.
Certes, beaucoup considèrent que la crise financière de 2008 a marqué le début du recul de l’industrie, mais David Kellie insiste sur le fait que la révolution du commerce électronique et des réseaux sociaux a débuté à peu près à la même période, avec le lancement de l’iPhone et le développement de plates-formes comme Twitter et Instagram. « Selon moi, il existe une corrélation directe entre nos mauvais résultats et l’absence de compétences dans le domaine du numérique. »

La bonne nouvelle pour nous, c’est que les diamants constituent un produit fabuleux et que l’industrie regorge d’histoires passionnantes à raconter, poursuit David Kellie. Elle doit juste se montrer proactive. « Savoir si la croissance va durer ou pas dépend vraiment de nous. Comment nous investissons en tant qu’industrie, comment nous adoptons le numérique et comment nous nous associons à la culture du voyage et des expériences, deux domaines qui devraient refaire surface. »

Source Rapaport