La situation de l’Inde

Avi Krawitz

Le plus grand centre de fabrication au monde est relativement optimiste quant au marché local de la bijouterie à l’approche de Diwali, mais plus pessimiste face aux perspectives mondiales.

Quand la demande baisse, le marché indien du diamant doit faire face à un certain nombre de défis. Étant le plus grand centre de fabrication au monde, avec environ 90 % du taillé commercialisé, l’Inde façonne le marché : le prix auquel le pays achète le brut et vend le taillé donne le ton pour les autres. Or, entre les difficultés d’approvisionnement du brut et la diminution de l’offre de taillé, les tailleurs évoluent dans une dynamique de marché complexe.

Les incertitudes géopolitiques, le ralentissement économique en Chine lié à sa politique très stricte en matière de gestion de la Covid-19 et l’accalmie estivale aux États-Unis et en Europe ont conduit à une baisse de la demande de diamants. En parallèle, lorsque la production russe a été retirée du marché vers le mois de mars, le volume d’approvisionnement a chuté.

Dans une certaine mesure, ces dynamiques se sont équilibrées. Si la demande du taillé était aussi élevée que l’année dernière, les pénuries seraient plus graves, ce qui maintiendrait les prix, comme l’ont constaté de nombreux observateurs. Au lieu de cela, les prix ont baissé et il reste une grande quantité de taillé disponible.

Les pierres cotées sur RapNet étaient encore nombreuses, avec près de 1,9 million d’articles le 1er septembre, soit 16 % de plus que l’année dernière. Les prix se sont donc affaiblis avec l’essoufflement du marché. L’indice RapNet (RAPI™) pour les diamants de 1 carat a chuté de 3,6 % en août, après une baisse de 2,6 % en juillet.

La Chine et les États-Unis

Toutefois, le marché indien envisage la fin de l’année 2022 avec sérénité, comme le montrent les entretiens que Rapaport a eus durant ses récentes visites à Mumbai et à Surat, lors de l’India International Jewellery Show début août.

Pour les fabricants, le principal moteur de cette baisse est le ralentissement économique en Chine, pays qui maintient les restrictions liées à la Covid-19. Compte tenu des exigences de quarantaine pour les voyageurs internationaux, les fournisseurs sont réticents à se rendre dans le pays et les acheteurs chinois sont sortis du circuit de commerce international. Il en va de même pour Hong Kong, bien que les mesures de précaution n’y soient pas aussi strictes et se relâchent progressivement.

Le secteur du retail en Chine a également ralenti. Les dernières informations en provenance de Chow Tai Fook et de Luk Fook, deux des plus grands bijoutiers de la région, révèlent que leurs ventes en magasins comparables sur le continent ont respectivement chuté de 19 % et 28 % durant le trimestre qui s’est achevé le 30 juin. Ces acheteurs de gros volumes de marchandises ont donc considérablement réduit leurs commandes.

Naturellement, les fournisseurs indiens surveillent de près les États-Unis, leur principal marché, dans un contexte de récession et d’inflation. Néanmoins, bien qu’ils fassent part d’une diminution générale des commandes, le marché américain est resté stable, même si les bénéfices réalisés n’y atteignent pas les niveaux records de l’année dernière.

Le retail américain a diminué. Signet Jewelers, le plus grand joailler spécialisé du pays, a revu à la baisse ses attentes pour l’ensemble de l’année. La société prévoit des revenus de 1,75 milliard de dollars pour le deuxième trimestre fiscal, qui s’est terminé le 31 juillet. D’après les dossiers de Rapaport, cela représente une diminution de 2,1 % par rapport à l’année précédente.

« Nous avons constaté une diminution des ventes en juillet, car nos clients sont de plus en plus touchés par l’inflation rapide. Nous revoyons donc nos prévisions pour nous aligner sur ces tendances », a indiqué Gina Drosos, la PDG de Signet, au début du mois d’août.

Les grands fabricants s’inquiètent de la baisse des commandes américaines au cours du trimestre actuel. Mais le pays continue de soutenir le marché et une stabilisation est prévisible durant les fêtes de fin d’année.

Des changements en Inde

Pour l’instant, l’Inde se concentre sur le marché intérieur, puisque sa saison des fêtes et des mariages approche. Bien que le coût de la vie ait augmenté, avec une inflation d’environ 7 % en juin et un taux d’intérêt de 5,4 % à la Reserve Bank of India, autrement dit un retour aux niveaux d’avant la pandémie, les bijoutiers restent optimistes.

Du 4 au 8 août, le salon India International Jewellery Show (IIJS) a accueilli un nombre record de visiteurs et une fréquentation encourageante pour le Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC), qui a organisé l’événement. Dans un contexte d’évolution constante des goûts culturels, les marchandises en or ont fait l’objet de nombreuses commandes, tandis que les bijoux en diamants sont de plus en plus convoités.

La tendance aux bijoux moins lourds s’est accrue en Inde durant la pandémie de Covid-19. Les vendeurs de l’IIJS ont ainsi présenté des pièces plus légères et des modèles délicats sertis de diamants. Ainsi, de moins en moins de femmes portent le traditionnel mangalsutra en or, un collier offert aux mariées hindoues et porté durant toute la cérémonie. Et si elles sont susceptibles de le porter lors du mariage, elles le troquent souvent contre un pendentif en diamants plus léger, adapté à un usage quotidien, pour exprimer leur engagement matrimonial.

Le retail des bijoux en Inde est robuste : la croissance économique devrait rester supérieure à 7 % en 2022, tandis que le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 8,9 % en 2021, selon les chiffres de la Banque mondiale. La Reserve Bank of India a constaté que la confiance des consommateurs continuait de croître. Le chiffre d’affaires réalisé par Titan Company, le plus grand bijoutier de marque du pays, a presque triplé, avec 83,51 milliards INR (1,05 milliard USD) au cours du premier trimestre fiscal, qui s’est achevé le 30 juin, contre 30,5 milliards INR (383,2 millions USD) l’année précédente.

Les bijoutiers sont optimistes à l’approche de Diwali, qui tombe le 24 octobre cette année, et de la saison des mariages, qui dure jusqu’en avril. Cet optimisme a donné un coup de pouce au reste du marché, même si le secteur local ne constitue qu’une faible part de l’offre de taillé. L’Inde représente environ 6 % des ventes mondiales de bijoux en diamants, selon De Beers, et semble prête à prendre des parts de marché à la Chine. Ces dernières se sont réduites, tandis que l’Inde a poursuivi sa reprise en 2022.

Une tendance vers des pierres plus grosses

De façon générale, les fabricants estiment que leurs commandes ont diminué d’environ 5 % à 10 % par rapport à l’année dernière, mais qu’elles dépassent toujours les niveaux d’avant la pandémie. Les exportations de taillé en Inde sont restées stables à 6,27 milliards de dollars au deuxième trimestre, selon les dernières données du GJEPC. Les chiffres pour juillet ont baissé de 13 %.

Au cours du premier semestre, les exportations de taillé ont augmenté de 4 %, à 12,49 milliards de dollars, mais ont diminué de 13 % en termes de volume, pour atteindre 13,2 millions de carats. Cette tendance indique un intérêt pour les pierres plus grosses et de plus grande valeur, avec un prix moyen des exportations en hausse de 20 %, à 946 dollars par carat. Il s’agit du prix le plus élevé jamais enregistré dans le pays, selon les données de Rapaport. Cette évolution semble refléter la faiblesse du marché en Chine, généralement solide pour les petites marchandises certifiées, telles que les pierres de 0,30 carat, dont la demande a considérablement chuté depuis le début de l’année.

Les données indiennes du brut sont tout aussi parlantes. Les importations ont augmenté de 12 % pour atteindre 9,82 milliards de dollars au cours du premier semestre, même si elles ont chuté de 25 % en volume, à 66,8 millions de carats. Le prix moyen a bondi de 94 %, à 296 dollars par carat, un nouveau record selon les données de Rapaport.

Un manque de pénuries

Les chiffres du brut reflètent l’absence des produits d’ALROSA sur le marché, puisque le minier russe est un leader des petits diamants. Les États-Unis imposent des sanctions à la société depuis mars et ses ventes ont été gelées. Il est donc logique que les fabricants aient globalement importé des diamants en moindre quantité mais de plus grande valeur.

Cela dit, des rumeurs affirment que le brut russe s’est frayé un chemin jusqu’à Surat, même si les quantités étaient plus faibles qu’avant la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Des marchandises russes sont présentes en Inde et elles ne sont pas vendues au rabais, a confié un grand fabricant, admettant qu’actuellement, personne ne pourrait admettre qu’il en achète. De plus, comme l’Inde n’a imposé de sanctions ni à ALROSA, ni à la Russie, elle peut légalement vendre le taillé aux clients américains. Les diamants auraient été achetés en Inde en vertu du vide juridique dit de la « transformation substantielle » dans les sanctions, qui permet de vendre aux États-Unis un produit russe qui a subi une transformation significative dans un pays tiers.

Cette possibilité expliquerait les stocks de taillé conséquents, toujours présents sur le marché, malgré les restrictions d’achat sur les marchandises d’ALROSA. Néanmoins, ils pourraient également être dus au cycle de production. Même si ALROSA a annulé toutes ses ventes officielles depuis mars, nombre de ses clients avaient payé l’équivalent de trois cycles de production de brut en février et disposaient ainsi d’une quantité de diamants suffisante pour maintenir leur niveau de production au moins jusqu’en mai ou juin. Lorsque le taillé a été proposé en juillet, le marché a dû ralentir, ce qui a entraîné une augmentation des stocks. Les pénuries se font ressentir pour les petites pierres qui ne sont pas certifiées, dont ALROSA assure généralement de 40 % à 50 % de la production mondiale.

Une bénédiction

Ces difficultés d’approvisionnement, ainsi que l’augmentation de la quantité de marchandises envoyées en Afrique australe pour la valorisation, ont entraîné une baisse de la taille indienne. Mais les usines de Surat continuent de travailler sur les diamants synthétiques. Comme l’affirme un dirigeant du secteur de la fabrication : « L’arrivée des diamants synthétiques en Inde est une bénédiction, elle nous donne du travail. »

Les exportations de taillé synthétique indien ont augmenté de 80 % en glissement annuel, à 860 millions de dollars au premier semestre. Le pays assure environ 15 % de l’offre mondiale de diamants synthétiques et le GJEPC collabore avec le gouvernement pour développer le secteur.

La demande de diamants synthétiques est montée en flèche ces deux dernières années. Malgré tout, les diamants naturels restent l’activité de base du marché local et les fabricants ont bénéficié d’une période de fortes liquidités après les résultats positifs de l’année précédente, qui leur permettra de traverser la période de calme actuelle. Les crédits bancaires ne posent pas de problème, selon Colin Shah, président du conseil du GJPEC, qui a fait observer à l’IIJS que les représentants des quelques 30 banques présentes à l’événement n’avaient plus les mêmes appréhensions à propos du secteur qu’il y a quelques années. D’autres ont affirmé que les liquidités connaissaient des pressions en raison des retards dans la chaîne d’approvisionnement provoqués par la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

Quoi qu’il en soit, les tailleurs devraient augmenter leurs achats de brut et leur production de taillé dans les mois à venir. Leurs stocks doivent être prêts pour la saison des fêtes aux États-Unis, avant Diwali, quand les usines ferment pendant environ deux semaines. Les détaillants américains commencent en général à intensifier leurs commandes pour les fêtes en septembre.

Les fabricants se montrent donc prudents, mais ne paniquent pas devant le recul actuel du marché. Ils ont le sentiment que la demande est viable aux niveaux d’avant la pandémie, ce qui alimente la confiance pour le reste de l’année. Par ailleurs, la diminution apparente de l’offre de brut permettra certainement de soutenir les prix du taillé, lorsque la demande en période de fêtes reprendra et que les stocks de la chaîne intermédiaire baisseront, ce qui est probable. Ce sentiment changera certainement si les dépenses des consommateurs américains diminuent en raison de la situation économique. Le plus grand défi se présentera toutefois, selon les fournisseurs indiens, si les conditions actuelles du marché persistent en 2023.

Source Rapaport