La légende des diamants de Golconde

Isabelle Hossenlopp

« Au-delà de ce chaos de rochers et de remparts, qui est la citadelle, et qui dévale, dans le grand silence, jusqu’en bas, la muraille extérieure de la ville, la muraille crénelée, que le nizam fait entretenir, serpente au loin pour dessiner encore les contours de ce qui fut Golconde, la Golconde aux diamants merveilleux. »

Pierre Loti

Golconde évoque une légende, celle de diamants incroyablement purs, venus de mines aujourd’hui disparues depuis deux siècles et qui ont orné les fastueuses parures des plus grands rois moghols et des maharajahs. Dans un livre inédit sur le sujet, fresque historique très documentée et richement illustrée, l’historienne Capucine Juncker retrace le destin fabuleux de ces trésors de la Terre.

Golconde en Inde était la seule source connue de diamants, bien avant la découverte des diamants brésiliens (1725) et des mines africaines (1870). Des textes sanskrits anciens mentionnent déjà la pierre d’éternité, symbole spirituel et économique. Celui qui porte « un diamant beau et étincelant d’éclairs, a une force qui triomphe de toute autre puissance, et se rend maître de toute terre qui l’avoisine » (Buddhabhatta, Ratnaparîksâ, stance 51).

Collier Taveez, XVIIe siècle, diamants et cordon de soie, 1,36 × 1,18 × 0,84 cm (dimensions de la briolette centrale), SANTI © Krishna Choudhary / SANTI

De Pline l’Ancien (Ier siècle) à Jean-Baptiste Tavernier, les grands voyageurs évoquent le diamant, très convoité dans les échanges entre l’Orient et l’Occident. Les empereurs moghols Qutb Shahi, Shah Jehan et Aurangzeb feront de Golconde une région prospère et réputée, et de ses diamants un symbole de pouvoir, de richesse et de splendeur. Ils accumuleront des trésors inestimables. Des peintures anciennes soulignent la richesse incroyable de leurs ornements et parures de cérémonie.

La réputation des diamants est due à leur ancienneté mais aussi à leur qualité exceptionnelle. C. Juncker précise que « La région du Deccan, qui abritait cinq sultanats dont celui de Golconde, est renommée pour avoir produit un grand nombre de diamants de “type IIa”, qui représentent 1% des diamants extraits dans le monde, c’est-à-dire des diamants qui se définissent par une très grande pureté chimique (sans azote détectable en spectroscopie IR et transparents aux UVC) et une transparence optique exceptionnelle ». Ces qualités confèrent au diamant une beauté et une lumière exceptionnelles. Ne parle-t-on pas d’« eau de Golconde » ou de « qualité Golconde » pour désigner de nos jours des pierres parfaitement pures ? Les diamants sont alors peu taillés, pour rester au plus près de leur forme originale, don de la Terre. La taille était d’ailleurs proscrite pas la religion hindoue. Plus tard, les Européens les tailleront minutieusement pour en extraire toute la lumière.

En Europe, Louis XIV, fou amoureux du diamant, mandate Jean-Baptiste Tavernier pour lui rapporter les fabuleuses gemmes de Golconde qui orneront épées, souliers, vêtements, accessoires et bijoux d’apparat.  Parmi eux figurent le Régent, taillé d’un brut de 426 carats, le Beau Sancy ou encore l’étonnant diamant bleu de 115 carats, ancêtre du Hope.

Le Beau Sancy, avant le début du XVIIe siècle, diamant piriforme brun pâle taillé en double rose, 2,3 ´ 1,9 ´ 1,1 cm, 34,98 ct, collection particulière © Galerie Kugel

Avec la colonisation britannique, les diamants de Golconde se mettent à circuler plus fréquemment en Occident, notamment grâce à la Compagnie des Indes Orientales. Ils viennent orner les couronnes européennes et les bijoux de maharajas conçus par les ateliers de Cartier, Chaumet ou encore Boucheron. Ce dernier réalisa en 1928, pour le Maharajah de Patiala, la plus importante commande spéciale de toute l’histoire de la place Vendôme. En Angleterre, le fameux Koh-I-Noor, qui signifie « Montagne de Lumière » en perse et pèse plus de 105 carats, sera offert à la reine Victoria en 1950.

Les « Golconde » les plus célèbres : Capucine Juncker consacre un chapitre à leur histoire, qui enchante encore le monde contemporain, donnant parfois lieu à de véritables batailles d’enchères. Parmi eux, le Wittelsbach-Graff d’un bleu profond, le Princie d’un rose légèrement orangé, le Vert de Dresde et son vert bleuté d’un éclat très pur.

« Les diamants de Golconde ont appartenu à des figures historiques, ils ont des parcours rocambolesques et une immense valeur romanesque… Les porter ou les posséder, c’est faire partie de cette histoire » écrit C. Juncker.

La Rose hollandaise, anonyme, début du XVIIIe siècle, Pays-Bas ?, argent et diamants, 5,72 ´ 3,18 ´ 1,28 cm, collection particulière © Les Enluminures

Où sont les diamants de Golconde aujourd’hui ? Les mines étant épuisées depuis plus de deux siècles, ils sont extrêmement rares.  Les familles princières indiennes ont commencé à vendre leurs joyaux après la dissolution de l’Empire Britannique et l’Indépendance de l’Inde afin de maintenir leur train de vie. De nombreux joailliers occidentaux, tels que Cartier ou Harry Winston, ont alors acquis de belles pierres. Quelques pièces rares et anciennes sont certainement encore dans les coffres de certaines familles. « Quant aux milliardaires indiens tels les Ambani, la presse mondaine nous montre sans cesse combien ils ont conservé le goût des riches parures, qu’elles soient contemporaines ou faites de pièces anciennes voire historiques – dont peut-être des diamants de Golconde ! » souligne C. Juncker.

Des pierres anciennes apparaissent sporadiquement « lors de ventes aux enchères de prestige, telles que l’Archiduc Joseph en 2012, un D IF qui a atteint le prix record de 280 000 $ le carat, le Beau Sancy en 2012, le Princie en 2013, plus récemment le Farnese Blue en 2018 et l’Arcot II en 2019. D’autres sont jalousement conservées dans les coffres forts de banques. Quelques grands joailliers s’amusent à les posséder un temps (Graff et le Wittelsbach, SANTI possède aujourd’hui le plus grand diamant portrait au monde). D’autres ont complètement disparu des radars (le Florentin, le Nassak). On s’interroge sur l’identité de quelques-autres comme le Hornby, quand on ne bute pas sur des doutes ou des mauvaises attributions (le pendentif de Liz Taylor orné du diamant gravé Taj Mahal) » précise C. Juncker.

JUNCKER, Capucine. « Diamants de Golconde », éd. SKIRA, octobre 2024, 208 p.