La De Beers se redéfinit

Avi Krawitz

Leurs boîtes de la Diamond Trading Company (DTC) dans une main et la lettre de Philippe Mellier dans l’autre, les sightholders ont semblé plus intéressés par leurs attributions de brut au sight de la semaine dernière que par ce que le PDG de la De Beers avait à dire.[:]

Serait-ce la volatilité à court terme qui a fait naître une réflexion à court terme chez eux ? Ils semblaient en effet relativement satisfaits de la stabilité transparaissant dans les attributions de ce mois-ci, sur fond de marché difficile. La plupart des sightholders qui se sont entretenus avec Rapaport News ont qualifié l’annonce de M. Mellier sur le remaniement de la société d’affaire interne de peu d’intérêt, qui n’aura qu’un faible impact sur l’offre de brut de la De Beers.

Dans une certaine mesure, ils ont raison. Leurs attributions continueront d’être régies par les mêmes règles jusqu’en mars 2015 au moins (date d’expiration de leurs contrats d’approvisionnement actuels), qu’ils fassent partie de la famille De Beers ou du groupe de sociétés à venir.

Mais ils ne doivent pas se voiler la face quant aux possibles changements qui pourraient apparaître. Les sightholders pourraient bien devenir de plus en plus méfiants sur la restructuration, leurs contrats arrivant à échéance dans un peu plus de deux ans. D’ici là, leur statut ne sera pas très différent de celui de leurs homologues chez Diamdel, alias De Beers Auction Sales, la section enchères de la De Beers.

Au départ, l’ajustement porte sur le changement de nom de la famille de société De Beers, qui devient le groupe de sociétés De Beers, mais aussi sur la création de marques distinctes pour les entités contrôlées en tout ou partie par la De Beers, comme la DTC et Diamdel, qui seront progressivement incorporées dans le groupe De Beers.

Cette première phase engagée vers la transformation est donc subtile mais importante et, il faut le dire, logique. Il devient en effet très compliqué, avec toutes ces divisions, d’écrire des articles sur la De Beers et, vu sa structure actuelle, terriblement frustrant. Le consommateur ou l’investisseur ou même le joaillier lambda, informé et curieux, se rend-il compte qu’un diamant extrait de la mine de Jwaneng, appartenant à Debswana, envoyé pour être trié et assemblé à la DTC Botswana, expédié à Londres pour distribution aux sightholders, avant de recevoir la marque Forevermark est, en fait, traité en intégralité par une seule et même société ?

Le regroupement des filiales de la De Beers sous un même logo d’entreprise est donc logique et favorise tous ceux qui se rassemblent sous cette identité, notamment grâce à la notoriété du nom De Beers.

Il faut donc envisager cette évolution dans le contexte de la stratégie de la De Beers de ces dernières années, visant à se concentrer sur la publicité de marque plutôt que d’aborder le thème des campagnes de marketing générique. Beaucoup s’interrogent sur les raisons pour lesquelles l’entreprise n’a pas profité de l’outil marketing le plus puissant à sa disposition, son nom, de manière plus avantageuse.

Les consommateurs vont désormais mieux comprendre ce qu’est un diamant Forevermark : ils sauront d’où il vient, qui l’a taillé et la valeur qu’il affiche. Une marque centralisée pourrait aussi permettre à la De Beers de déployer plus facilement d’autres sous-marques. En outre, avec une identité commerciale plus claire, plus rationalisée et plus simple, la De Beers sera mieux équipée pour dissiper les idées négatives que les consommateurs conservent sur la société.

La restructuration est pourtant principalement considérée comme une volonté de préciser l’essence même de la De Beers et d’aligner ses objectifs en conséquence. En remaniant les divisions, M. Mellier semble vouloir présenter la société comme un groupe de luxe, et non comme un simple minier, comme nous l’avons déjà montré ici auparavant. Le sens même de ces évolutions reste à établir et il faudra déterminer si les nouveaux produits et les divisions commerciales seront concernés. Pour l’instant, la simplification de l’identité de la société doit être considérée comme une tentative pour mieux la positionner auprès des consommateurs et la réintégrer dans la filière.

« Pendant des années, nous avons considéré les consommateurs comme l’extrémité de la filière du diamant : l’industrie pilote leur demande sans les laisser vraiment nous piloter, a déclaré Varda Shine, la PDG de la DTC. Or, pour la De Beers, pour parvenir à un paysage bien plus compétitif, le consommateur doit se tenir au début de la filière, façonner notre activité et nous permettre d’anticiper les besoins cycliques de nos sightholders ; nous parviendrons ainsi à nous adapter si nécessaire. »

Cela signifie-t-il que la De Beers n’a jamais été dirigée par la demande, même dans l’ère post-monopole ? Le changement représenterait alors une évolution tardive de ses perspectives, assez phénoménale pour la société compte tenu de son passé axé sur l’offre, et de son modèle actuel.

Savoir si les prix du brut de la De Beers s’ajusteront aux niveaux fluctuants de la demande et aux niveaux de prix du taillé en résultant permettra de déterminer une chose : le champ laissé aux consommateurs pour orienter la De Beers et façonner ses activités. Les sightholders doivent mettre la direction face à ses responsabilités devant ce changement de perspective.

En revanche, si elle se concentre sur la demande, la De Beers pourrait chercher à capitaliser sur son nom et se montrer plus présente dans un espace du luxe en pleine croissance. On ne sait pas encore si elle peut rivaliser avec des noms comme Tiffany, Cartier et Graff.

La restructuration est également parfaitement logique dans le contexte de l’offre de la De Beers et semble avoir pour objectif d’améliorer le contrôle de son comité exécutif sur ses activités minières. Ce secteur est constitué de quatre divisions, avec notamment une participation dans Debswana égale à celle du gouvernement du Botswana, un partenariat similaire avec le gouvernement namibien à Namdeb, une participation de 74 % dans De Beers Consolidated Mines (DBCM) en Afrique du Sud et la propriété exclusive de De Beers Canada.

Même si chaque unité gagnera un certain degré d’indépendance, une structure plus centralisée aidera la De Beers à ajuster la rentabilité de sa production face à la volatilité du marché. Comme l’a expliqué un responsable de la De Beers à Rapaport News, l’accent mis sur l’exploitation minière est essentiellement une évolution interne, qui resserre les liens entre les mines. L’opération influera sur les méthodes, les calendriers et les lieux de l’ajustement de la production.

Et surtout, pour la première fois, des marchandises de la De Beers seront bientôt vendues par un tiers dès qu’Okavango Trading Company, une société publique du Botswana, lancera ses opérations, ce qui est prévu pour le premier trimestre 2013. Les ventes, qui représenteront de 12 % à 15 % de la production de Debswana, constituent une opportunité passionnante pour le Botswana mais un virage redoutable pour la De Beers, qui devient le fournisseur d’un fournisseur et fait concurrence à ses propres produits.

Certes, le Botswana détient les 15 % de la De Beers que n’a pas Anglo American, mais l’émergence du pays comme un acteur indépendant sur le marché du brut souligne le besoin de la De Beers de resserrer les contrôles sur son propre approvisionnement. Après tout, quelle valeur ajoutée génère-t-elle sur le marché et pourquoi ses partenaires d’approvisionnement au gouvernement ont-ils besoin d’elle ?

La De Beers a connu quelques années très actives, indépendamment de conditions de marché difficiles. Déterminée à se débarrasser de son étiquette de monopole, elle a réduit sa capacité de production en vendant des mines et en permettant à d’autres acteurs de voir le jour. La société a déménagé ses activités de distribution à Gaborone et y transfère actuellement ses sights, ayant signé entretemps un contrat d’approvisionnement de 10 ans avec le gouvernement du Botswana. Ajoutez à cela un nouveau PDG, le départ de l’influente famille Oppenheimer et la reprise ultérieure d’Anglo American, avec pour point culminant la nomination la semaine dernière de la PDG d’Anglo American, Cynthia Carroll, au poste de présidente de la De Beers. N’oublions pas non plus que la De Beers a favorisé l’interaction entre les unités commerciales de la DTC et de Diamdel.

Ces événements ont ouvert la voie à un examen des activités de la De Beers et apporté un satisfecit évident à Anglo American. En réalité, il pourrait même s’agir d’un remaniement global de la De Beers, qui s’alignerait sur la structure d’Anglo American, plus orientée entreprise. Une marque de luxe performante offre certainement une perspective intéressante pour le portefeuille du conglomérat minier, mais peut aussi rappeler à la De Beers de se concentrer sur ce qu’elle fait de mieux : les mines de diamants.

Pour l’instant, convenons que la restructuration était inévitable, la De Beers s’adaptant au marché et à l’évolution de son propre rôle dans ce contexte. Les conséquences pour les autres acteurs restent à déterminer, la société essayant peut-être tout simplement de réinventer la roue. Les sightholders vont vouloir retirer plus de valeur sur leurs boîtes de la De Beers que sur celles récemment proposées par la DTC. En effet, sur l’ensemble du processus, les sightholders évalueront la valeur de l’offre de la De Beers et se demanderont si le remaniement de la société fait sens.

Source Rapaport