La crise du crédit indien

Avi Krawitz

Malgré le pic d’activité constaté en 2014, les liquidités devraient se resserrer dans le secteur de la fabrication en Inde. Beaucoup voient donc le marché des diamants bruts avec prudence, malgré son dynamisme. Cette hausse saisonnière pourrait en effet ralentir en avril, au début du nouvel exercice fiscal indien.[:]

Les fabricants indiens citent trois facteurs qui lèsent leur crédit bancaire en 2014 : les banques se méfient davantage du marché des diamants et des bijoux après une vague de défaillances de grande envergure l’année dernière, les banques étrangères réduisent leur exposition à l’industrie et la dépréciation de la devise a donné lieu à un crédit bancaire en roupies, moins rémunérateur pour les achats de diamants bruts libellés en dollars.

La roupie s’est dépréciée de 20 % par rapport au dollar entre mai et septembre 2013, avant de remonter à son niveau actuel. À environ 62,2 INR pour 1 dollar, la monnaie se situe en ce moment à 12 % au-dessous du niveau d’il y a un an.

Même si les banques tiennent leurs états financiers et fixent leurs limites de crédit en roupies, les diamantaires axés sur l’exportation obtiennent leur financement au cours au comptant en dollars, d’après ces limites. Leurs lignes de crédit se réduisent donc à mesure que la roupie se déprécie.

Ainsi, si une société a établi une limite de crédit de 100 millions de dollars au 1er avril 2013, les livres de la banque mentionneront un montant de 5,4 milliards de roupies. Au taux de change actuel, ce montant équivaut à 87,5 millions de dollars.

« Même si les banques ne réduisent pas leurs limites, les exportateurs subissent une baisse forcée à cause de la devise », a expliqué un fabricant basé à Mumbai, sous couvert d’anonymat. D’après lui, bien que la Reserve Bank of India (RBI) ait recommandé aux banques de fixer des limites pour les exportateurs en dollars, aucune directive n’est venue modifier officiellement la politique.

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Résultat, un marché indien inhabituellement prudent au second semestre 2013, qui a naturellement influencé le commerce mondial. Nous avons déjà observé, dans cette rubrique, que les prix des diamants taillés ont commencé à chuter à peu près à la même époque que la roupie, en mai de l’année dernière. Les exportateurs ont été affectés par la dépréciation de la roupie ; les négociants locaux, qui s’appuient sur certains grands fabricants pour obtenir des marchandises et des conditions de crédit favorables, ont eu à subir un effet d’entraînement.

Or, malgré une certaine adaptation aux nouveaux niveaux de la roupie, les diamantaires remarquent que les banques se méfient davantage de l’industrie du diamant. De grandes sociétés, bien établies, ont en effet fait défaut sur leurs paiements de crédit ; d’autres ont perdu une valeur significative sur les marchés financiers.

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« Malgré une certaine adaptation aux nouveaux niveaux de la roupie, les diamantaires remarquent que les banques se méfient davantage de l’industrie. »

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Dans l’annonce la plus largement diffusée jusqu’à présent, le Gem and Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) a informé ses membres, en janvier, que les banques ont entamé des procédures judiciaires pour recouvrer les prêts accordés à Winsome Diamonds et à l’une de ses filiales, pour un montant d’environ 894 millions de dollars. D’autres sociétés, comme Gitanjali Gems et Shree Ganesh ont perdu une valeur significative l’année dernière et se négocient à plus de 75 % au-dessous des niveaux d’il y a un an.

GJEPC
Anup Zaveri, responsable du comité pour la banque, l’assurance et la fiscalité du GJEPC, n’hésite pas à souligner que ces affaires sont liées à des lingots d’or, et non à l’industrie du diamant. Le conseil fait pression sur les banques, en expliquant que le commerce des diamants a été relativement soutenu, surtout ces deux derniers mois où le marché était positif.

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Un responsable d’un fabricant coté en bourse a affirmé utiliser le même argument pour rassurer les investisseurs. Ceux-ci ont estimé que l’effondrement des cours des actions des joailliers l’année dernière agissait comme une mise en garde pour l’ensemble de l’industrie diamantaire.

Un autre facteur pousse les banques indiennes à se montrer plus prudentes à l’égard de l’industrie : leurs homologues étrangers resserrent leurs prêts. La Bank Leumi d’Israël ferme sa succursale dédiée aux diamants, tandis qu’ABN Amro a informé ses clients qu’elle ne financerait que 70 % des achats de brut, laissant le solde à la charge de ses clients.

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« Un autre facteur pousse les banques indiennes à se montrer plus prudentes à l’égard de l’industrie : leurs homologues étrangers resserrent leurs prêts. »

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« L’idée, c’est que les clients parviennent à être plus efficaces dans la fabrication », a déclaré Erik Jens, PDG du groupe diamants et bijoux internationaux d’ABN Amro, qui n’est pas directement présent en Inde. « Il faut accroître la conformité et la transparence et tout le monde doit y travailler et s’impliquer, a-t-il ajouté. Nous aidons également les clients à développer et à renforcer une activité plus durable et négociable auprès des banques, dans un environnement plus sain et plus robuste en termes de financement. »

[two_third]Les mesures prises par ABN Amro sont entrées en vigueur le 1er janvier, mais Erik Jens a noté que la réduction des lignes de crédit n’avait pas influencé les échanges. En fait, selon lui, la situation a plutôt été inversée. Les liquidités ont reflué sur le marché et les diamantaires ont engagé leurs propres fonds, lorsque c’était nécessaire. Erik Jens a lancé une mise en garde ; selon lui, le marché des diamants bruts est actuellement trop optimiste et devrait reculer aux environs du mois d’avril. Abaisser les taux de prêt à l’avance aura un effet dans les mois à venir, étant donné les délais nécessaires pour faire appliquer ces mesures, a-t-il expliqué.[/two_third][one_third_last]

« Le marché du brut est actuellement trop optimiste et devrait reculer aux environs du mois d’avril. »

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Polished-cut-IndiaLes diamantaires ont affirmé que le marché est cyclique et qu’il est probable qu’il reste à la hausse dans les deux prochains mois, avant qu’une plus grande prudence ne s’installe. Les réactions adressées à Rapaport News suggèrent que les échanges de brut sur le marché secondaire ont été solides pendant la semaine du 17 février. Les négociants s’attendent en effet à ce que la De Beers augmente de nouveau ses prix lors du sight qui aura lieu du 24 au 28 février.

En même temps, les fabricants ignorent si les prix des diamants taillés augmenteront suffisamment d’ici avril pour permettre de gagner de l’argent sur du brut acheté à un prix plus élevé.

Les banquiers internationaux espèrent que leurs mesures se répercuteront en Inde, pour assurer prudence et efficacité dans le secteur de la fabrication. Ce faisant, Erik Jens considère que l’industrie pourra générer un regain d’intérêt auprès des investisseurs et d’autres banques.

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Selon lui, l’Inde présente un avantage par rapport à d’autres centres, car plusieurs banques prêtent à l’industrie et opèrent au sein de consortiums de financement. Anup Zaveri a estimé qu’environ 40 banques prêtent actuellement à l’industrie en Inde, avec une exposition combinée de 5,3 milliards de dollars en septembre 2013. Il a ajouté que l’industrie continue de bénéficier du soutien du gouvernement, qui l’a classée prioritaire pour les prêts. En outre, un certain pourcentage de fonds bancaires doit lui être alloué, selon un tarif réduit.

Shri P. Chidambaram, le ministre des Finances, n’a fait allusion à aucun changement de politique dans son budget provisoire, présenté pendant la semaine du 17 février. Les banquiers et les diamantaires locaux ne prévoient pas d’évolution dans le projet final. De plus, le gouvernement a intérêt à renforcer le secteur de la fabrication locale face à la concurrence d’autres centres.

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« L’Inde présente un avantage par rapport à d’autres centres, car plusieurs banques prêtent à l’industrie et opèrent au sein de consortiums de financement. »

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Pourtant, Anup Zaveri a fait valoir que les banques indiennes sont vigilantes, contrairement à ce que l’on pourrait croire. D’après lui, elles répartissent mieux le risque que d’autres centres, grâce au système des consortiums. Cela implique que chaque banque prête généralement à un client et que le consortium est dirigé par une banque principale.

En outre, Anup Zaveri l’admet, le sentiment général est que les banques resserrent leurs exigences et que leurs conditions générales se sont alignées sur les normes bancaires internationales et les accords de Bâle.

En conséquence, les fabricants remarquent que les banques prêtent à l’industrie du diamant avec prudence, mais maintiennent leur financement pour de grands fabricants en œuvrant au cas par cas. « Certes, leur attitude envers l’industrie dans son ensemble peut avoir changé, mais les banques aident les sociétés qui mettent l’accent sur la conformité », a déclaré un sightholder.

Ce soutien pourrait se traduire par un changement dans la composition du marché. Les grands fabricants auront alors accès à un financement, inaccessible pour les petites entreprises. Cela pourrait aussi expliquer l’achat agressif de brut par de grands fabricants indiens depuis janvier.

Aux niveaux actuels de la demande de taillé, personne ne sait si la situation est durable. Après tout, le marché est stimulé par la demande et l’offre d’argent. Si l’un ou l’autre manque, il ralentit. En fin de compte, une banque responsable devrait agir pour un commerce plus prudent et plus sain. Les effets d’un resserrement du crédit ne seront peut-être pas évidents en février ; pourtant, c’est bien la façon dont les banques et les diamantaires indiens vont gérer leurs liquidités après cela qui donnera à nouveau le ton pour le marché international au cours de la prochaine période fiscale indienne.

Source Rapaport