Interview de Russel Shor, analyste senior au GIA

Veronica Novosela

Dans une interview accordée à Rough and Polished, Russell Shor, analyste sénior de l’industrie auprès du GIA, propose une approche précise des questions politiques et économiques complexes auxquelles sont aujourd’hui confrontées les industries des pierres précieuses et de la joaillerie. [:]Il fait partie de l’équipe qui publie Gems & Gemology, le bulletin trimestriel primé du GIA, et participe à diverses autres publications de l’institut ; il collabore également avec les services Laboratoire, Formation, Recherche, Développement et Marketing du GIA sur les principales questions qui touchent ce secteur.

Dans une interview accordée à Rough&Polished, Russell Shor, analyste sénior de l’industrie auprès du GIA, propose une approche précise des questions politiques et économiques complexes auxquelles sont aujourd’hui confrontées les industries des pierres précieuses et de la joaillerie. Il fait partie de l’équipe qui publie Gems & Gemology, le bulletin trimestriel primé du GIA, et participe à diverses autres publications de l’institut ; il collabore également avec les services Laboratoire, Formation, Recherche, Développement et Marketing du GIA sur les principales questions qui touchent ce secteur.

Depuis plus de 23 ans, Russell Shor évolue à tous les niveaux de l’industrie, des mines aux principaux négociants et détaillants. Russell Shor, employé par le GIA depuis neuf ans, était auparavant rédacteur en chef du magazine GemKey (désormais InStore) et de GemKey.com, un site pour lequel il supervisait les départements information et communauté. Avant cela, entre 1995 et 1998, il était rédacteur en chef de New York Diamonds. Il est également réputé pour ses reportages sur les diamants publiés dans le magazine JCK entre 1980 et 1995. Pour ce poste, Russell Shor s’est rendu dans les grands centres de traitement en Inde, en Israël et à Anvers, mais aussi dans les régions minières d’Afrique du Sud, d’Australie, d’Afrique de l’Ouest, de Russie et du nord du Canada. Russell Shor a écrit en 1993 l’ouvrage « Connections: A History of the Diamond Trade and Its People » (Connexion : une histoire du commerce des diamants et des personnes). Il a été conférencier lors de nombreux événements de l’industrie, y compris à l’occasion des Symposiums internationaux de gemmologie de 1991 et 1999. Nous avons également demandé à Russell de nous parler du laboratoire du GIA et de répondre à quelques questions qui peuvent intéresser tous les fabricants de diamants.

De quel genre d’innovations profite actuellement le système de certification ? Quelle est la différence entre celles-ci et les méthodes employées il y a quelques années ? De nombreuses usines tentent toujours de certifier les diamants dans leurs propres laboratoires, car vos certificats sont onéreux. Comment pouvez-vous nous convaincre de la nécessité de faire certifier les diamants dans de bons laboratoires professionnels, de classe mondiale, tels que celui du GIA ?

Le GIA propose un avis neutre et indépendant sur chaque diamant analysé dans ses laboratoires du monde entier. Au fil des années, l’industrie a appris à compter sur ces rapports d’évaluation, non pas parce que le GIA a su prouver leur utilité, mais parce qu’elle en a besoin (à noter que nous n’employons pas le terme de « certificats »).

Rappelons quelques faits : il y a plus de 60 ans, les chercheurs du GIA ont créé des normes visant à évaluer les diamants, toujours utilisées de nos jours. Grâce à un équipement normalisé, dont l’éclairage est contrôlé, et à des lignes directrices claires pour l’évaluation, tous les diamants sont expertisés dans les mêmes conditions, quel que soit le laboratoire du GIA dans le monde. Les chercheurs du GIA ont réalisé à l’époque qu’une différence d’éclairage par exemple pouvait modifier le rendu des couleurs des pierres. Le GIA a également créé la liste des « 4C » pour qualifier la qualité d’un diamant de façon standard partout dans le monde. Certaines sociétés diamantaires travaillent, dans leurs locaux, dans des conditions différentes de celles d’un laboratoire de gemmologie ; elles risquent donc de « voir » les diamants différemment, d’où les écarts d’évaluation.

À quelle fréquence découvrez-vous des certificats comportant des évaluations différentes de celles du GIA ? À quelle fréquence constatez-vous des conflits de prix dus à ces divergences ?

Une fois de plus, c’est le marché qui arbitre. Les diamants évalués par le GIA sont assortis d’un premium. Il n’y a généralement pas de « conflit de prix » ; d’ailleurs, la plupart des négociants et détaillants sont tout à fait prêts à régler un coût supplémentaire pour avoir la garantie que le diamant est précisément évalué.

La certification vise la transparence des prix dans l’industrie. Peut-elle avoir une quelconque incidence sur le marché ?

Les rapports d’évaluation ont ouvert de nouvelles voies pour la vente des diamants. Ils ont facilité les transactions entre les entreprises à travers le monde et soutenu la demande en favorisant la confiance du public.

Quel est votre avis sur les promesses du marché asiatique ? 

Les marchés asiatiques ont progressé de 30 % à 40 % ces dernières années. La Chine reste au premier plan, mais d’autres marchés, tels que Taïwan, la Corée et la Malaisie connaissent aussi un essor rapide. Quant à Hong-Kong, le pays est devenu l’un des centres les plus actifs au monde pour la joaillerie de luxe.

Certains joailliers estiment que la taille traditionnelle en 57 facettes est complètement dépassée ; dès lors, tout bon bijoutier tente d’inventer de nouvelles formes. Quelles sont celles que vous appréciez personnellement ? Quelle est celle qui donne le plus d’éclat à un diamant ?

Les ronds brillants à 57 facettes font toujours les beaux jours des joailliers dans le monde, il serait donc inexact d’affirmer que cette taille est vieillissante. Toutefois, les nouvelles formes ont permis de créer des marques, en offrant aux créateurs un produit unique qu’ils peuvent proposer en exclusivité. La clé réside dans la technologie : ces 15 dernières années, les avancées techniques ont permis de créer des tailles plus valorisées, avec plus de facilité et moins de risques pour la pierre.

Selon vous, le marché des diamants synthétiques peut-il occuper une place prépondérante ? Quelles sont les tendances actuelles sur ce marché ?

Les premiers diamants synthétiques sont apparus il y a près de 60 ans. Une chose n’a pas changé : il faut beaucoup d’argent pour créer des pierres synthétiques de qualité. On trouve aujourd’hui des pierres synthétiques attrayantes, mais elles ne représentent encore qu’une infime proportion du marché des diamants naturels.

À quel moment existera-t-il de la demande pour de grandes quantités de diamants synthétiques ? 

Personne ne peut le dire avec certitude, mais il faudra d’abord que les prix baissent. Pour atteindre la « masse critique », le nombre de producteurs devra largement augmenter.

Les analystes discutent de la possibilité pour la De Beers de s’étendre sur le marché des diamants synthétiques de qualité. Est-il possible d’y établir un monopole semblable à celui qui a déjà existé sur le marché du diamant naturel ?

Probablement pas, sauf si une entreprise trouvait un moyen de produire des diamants synthétiques attrayants, rapidement et à moindre coût. Dans ce cas, elle pourrait être en mesure de dominer le marché jusqu’à ce que d’autres conçoivent des méthodes alternatives. La technologie de production des pierres synthétiques est bien connue ; s’il y avait de la demande, de nombreuses entreprises pourraient commencer à en produire.

À votre avis, quels sont les problèmes les plus urgents que doit résoudre le marché du brut et du taillé ? Quel est votre point de vue sur les divergences de prix entre brut et taillé?

Le plus gros problème de l’industrie demeure le financement. Les ratios dette/vente sont trop élevés depuis de nombreuses années et les liquidités manquent. C’est l’une des raisons pour lesquelles les prix du brut augmentent plus rapidement que ceux du taillé : les diamantaires achètent du brut pour faire travailler leurs employés, mais le marché n’absorbe pas toujours le taillé qui est produit, donc les prix baissent.

Si les diamants devenaient une matière première, s’agirait-il d’une évolution positive ou négative pour le secteur ?

A priori, ce ne serait pas une bonne chose, car les bijoutiers sont bien plus habiles à vendre la beauté et le romantisme qui sont liés aux diamants.

Le Kimberley Process est-il toujours efficace ? Selon vous, quels sont ses points forts et ses points faibles ?

Le Kimberley Process (KP) a été globalement efficace. Il a fortement soutenu l’industrie traditionnelle, qui exècre le commerce des diamants du conflit. Son point faible, comme on l’a vu avec les conflits au Zimbabwe, réside dans le fait qu’il a été créé pour empêcher les diamants de financer les guerres et les révolutions opposées aux gouvernements établis. Dans le cas du Zimbabwe, c’est le gouvernement lui-même qui a combattu son propre peuple. Le KP n’avait pas prévu ce cas de figure. Sa nouvelle présidente, l’ambassadeur Gillian A. Milovanovic, a déclaré vouloir s’attaquer à ce problème.

Les prix des diamants sont en hausse, à quelle fréquence augmentez-vous les prix de vos services ? Qu’est-ce qui peut influencer les prix des rapports d’évaluation du GIA ?

Nous sommes bien conscients des difficultés de financement auxquelles est confrontée l’industrie du diamant et nous n’avons pas énormément augmenté nos prix. Nous avons toutefois calqué les prix locaux sur ceux de nos sites mondiaux pour absorber les fluctuations des taux de change.

Nous rencontrons sur le marché davantage de pierres auxquelles le GIA a attribué la mention Triple Excellent et avec un premium très élevé, supérieur à une taille VG normale. Qu’en dites-vous ?

Sur les 4C, c’est la taille (cut) qui influe le plus sur la beauté de la pierre. Le premium Excellent sur les tailles en est la conséquence.

Rencontrez-vous souvent des diamants d’investissement dans les laboratoires du GIA ?

Le GIA ne fait pas de distinction entre les diamants vendus pour un investissement et ceux destinés aux bijoux. Toutefois, en règle générale, la demande augmente pour les diamants d’investissement, en particulier en Asie, au Moyen-Orient et en Russie. Selon certains négociants à la récente foire BaselWorld en Suisse, jusqu’à un tiers des diamants de qualité supérieure de plus de 5 carats sont destinés au marché de l’investissement.

L’un des principaux facteurs de réussite est l’accès à du brut de haute qualité. Quels sont les pays producteurs les plus prometteurs dans le monde ? Quels problèmes doivent-ils résoudre pour développer l’industrie dans son ensemble ?

Parmi les plus prometteurs figurent le Canada, l’Angola et la Russie. Tous affichent des problèmes et des opportunités différents. Le Canada, bien sûr, est politiquement très stable, mais ses régions diamantifères se trouvent généralement dans des régions reculées, où les coûts de développement sont très élevés et où (à juste titre) les mesures de protection environnementale sont strictes.

L’Angola a du potentiel, mais une infrastructure peu développée, pas de financement local et des problèmes gouvernementaux qui freinent les grandes sociétés minières dans l’exploration et le développement des sources possibles.

La Russie pourrait disposer de vastes ressources, mais l’histoire du gisement de Verkhotina à Arkhangelsk le montre, les sociétés minières peuvent perdre leurs droits très rapidement. Les lois russes sur les mines dissuadent les investisseurs étrangers. Toutefois, Alrosa semble très intéressée. Lukoil, actuel propriétaire de Verkhotina, a fait part de sa volonté de vendre le bien, malgré son potentiel qui pourrait être prometteur.

Quel genre d’avenir voyez-vous pour l’industrie du diamant ?

L’industrie du diamant vit une période trouble : la De Beers, qui contrôlait la majeure partie de la production de brut, a vu son rôle largement décliner. D’autres grandes sociétés minières, Rio Tinto et BHP Billiton, ont déclaré vouloir se concentrer sur les matières premières présentant un plus grand potentiel, et beaucoup des petites sociétés minières ne disposent pas d’un capital suffisant pour développer une mine importante. En outre, la politique mondiale affecte l’industrie comme jamais auparavant : l’arrivée de la Chine au Zimbabwe, par exemple, a contribué à y court-circuiter le Kimberley Process. Par ailleurs, les consommateurs sont de plus en plus informés sur la qualité des pierres et sur les questions sociales. Le GIA joue son rôle en veillant à ce que le public ait confiance dans la qualité du produit, mais l’industrie doit appliquer les normes établies par le KP pour que les consommateurs ne doutent pas de l’intégrité du produit.

Source Rough & Polished