En quête de signes : l’art de prouver l’origine d’un bijou

Leah Meirovich

Marques du fabricant, photos, témoignages des familles… tels sont quelques-uns des indices que les experts utilisent pour retracer l’origine des bijoux les plus anciens et confirmer leur authenticité.

Les bijoux anciens et vintage ont une histoire, qui engendre une usure, laquelle efface parfois les signatures. Des altérations à cause desquelles il devient plus compliqué d’attribuer un bijou à l’œuvre d’un designer en particulier. Suivre le parcours d’un bijou pour prouver son origine célèbre peut nécessiter des efforts mais le résultat accroît la valeur de l’article. Dès lors, les négociants engagent des moyens extraordinaires pour dévoiler ces mystères et retrouver le nom des bagues, broches, boucles d’oreilles et autres bijoux qui croisent leur chemin.

Il existe plusieurs degrés en termes d’origine, explique Jill Burgum, directrice exécutive des bijoux chez Heritage Auctions. « Vous pouvez avoir une grande maison de design comme Van Cleef & Arpels ou un membre d’une famille royale comme Marie-Antoinette ou même quelqu’un d’important comme Elizabeth Taylor. Et puis, le bijou peut avoir appartenu à une notable du Texas. Peut-être n’était-elle célèbre que dans sa région mais tous les bijoux qui lui ont appartenu se vendront bien, en particulier sur les marchés régionaux où elle était connue. Faire authentifier ces articles a aussi l’avantage d’intéresser certains acheteurs, passionnés par l’histoire qui est racontée. »

Plus aucun doute

Les histoires intéressent toujours le public mais pour établir la valeur des bijoux d’une succession, des preuves sont nécessaires.

« Il ne suffit pas que je dise : « Ce bijou a appartenu à l’ancienne première dame des États-Unis, Jackie Kennedy ». C’est à la portée de tout le monde, explique Gus Davis, cofondateur de la société de bijoux anciens Camilla Dietz Bergeron. Si l’acheteur accepte de verser un premium pour un bijou signé ou venant d’une célébrité, il veut être certain que ces affirmations sont authentiques. Bien sûr, il apprécie le bijou. Bien sûr, il aime son esthétique mais je vous assure qu’il le prendra très mal s’il découvre que ce n’était finalement pas un Van Cleef & Arpels alors qu’il en a payé le prix. »

Établir l’authenticité peut aider le négociant à fixer le juste prix d’un bijou dès le départ. Certes, une bague en diamants de haute qualité peut être évaluée à un certain prix, mais elle se vendra plus cher si c’est une bague Tiffany & Co. de Jean Schlumberger, simplement en raison du nom à l’intérieur du corps.

« Si le bijou n’est pas signé parce qu’un bijoutier l’a retaillé et a effacé les marques sans réaliser ce qu’il faisait, malheureusement, nous ne pourrons pas établir le créateur de la bague, explique Edward Lewand, propriétaire de Consultant Appraisal Service et directeur de l’Antique Jewelry Symposium. Une personne nous a appelés en affirmant qu’elle possédait une bague Harry Winston qui n’était plus signée. Cette personne n’avait aucun document, nous ne pouvons donc pas affirmer qu’il s’agit d’une bague Harry Winston. »

La valeur d’une histoire

Connaître l’histoire d’un bijou peut également renforcer son potentiel aux enchères, assure Jill Burgum. « Généralement, les gens sur lesquels je fais des recherches ne sont plus de ce monde, je ne peux donc pas leur poser de questions mais je peux rencontrer des proches et leur demander de me raconter une histoire. De m’aider à savoir qui était cette personne, ce qu’elle a fait. Et cela m’aide vraiment à faire la promotion du bijou : si j’arrive à faire adhérer mon public à cette histoire, cela fait une grosse différence dans le succès de la vente finale. »

L’histoire n’a peut-être pas d’impact sur l’estimation de l’évaluateur, mais Jill Burgum ajoute : « Elle peut tout à fait faire une différence sur le prix que les gens sont prêts à dépenser. »

Didier et Martine Haspeslagh en conviennent. Ces propriétaires du négociant britannique Didier Ltd. vendent des bijoux anciens créés par des artistes comme Pablo Picasso, Man Ray et Salvador Dali.

« Ce qui donne vie à un bijou pour la plupart des gens, c’est son histoire, explique Didier Haspeslagh. Pourquoi a-t-il été créé ? Pour qui a-t-il été réalisé ? Combien d’exemplaires ont été fabriqués ? C’est cette note personnelle que nous essayons de dévoiler, qui apporte une plus-value, qui s’ajoute à la valeur de l’artiste et à la valeur du matériau. »

Et cet ajout de valeur peut être immense, d’après Gus Davis. « Une personne nous a apporté une paire de boucles d’oreilles en diamants qui, selon elle, venait de Van Cleef & Arpels. Elles avaient vraiment le style du joaillier mais n’étaient pas signées. Ces bijoux non signés étaient beaux, ornés de diamants, valant probablement entre 6 000 et 7 000 dollars. Les bijoux signés, eux, pourraient valoir 60 000 dollars, soit 10 fois plus. »

Edward Lewand se rappelle la fois où la Straus Historical Society – qui relate les réussites de la célèbre famille Straus aux États-Unis – lui a demandé d’estimer une paire d’alliances en or. Ces bagues n’ont généralement qu’une valeur moindre mais celles-ci avaient appartenu à feus Isidor et Ida Straus, propriétaires de Macy’s. Elles avaient été récupérées sur le Titanic, où le couple a péri.

« C’est là que l’origine joue un rôle important. Certaines personnes adoreraient posséder ces bagues en raison de l’identité de leurs propriétaires et parce que ceux-ci sont morts sur le Titanic, explique-t-il. Cette histoire a donc généré un premium et nous avons estimé les bagues à 10 000 dollars pièce. »

Une plongée dans l’inconnu

Lorsque vous recherchez la provenance d’un article, il n’existe pas de lieu unique pour trouver les informations manquantes, fait remarquer Jill Burgum. « Nous nous engageons souvent dans des territoires inconnus pour trouver des réponses. Nous recherchons les livres publiés sur un designer particulier, parcourons d’anciennes photos pour essayer de trouver une concordance, parlons aux membres des familles ou – s’il s’agit de quelqu’un de célèbre – cherchons en ligne autant d’informations que possible. »

Toutefois, les experts doivent se montrer incroyablement prudents avant d’attribuer un bijou à un designer précis. La signature à elle seule n’est pas une preuve que le bijou a été fabriqué par la marque. Pour les articles qui n’ont pas de certificat ou de reçu, il faut souvent mener de vastes recherches pour en vérifier l’authenticité.

L’experte Jennifer Leitman Bailey voyage avec son propre laboratoire. Elle s’entretient d’abord avec le client pour apprendre des détails comme par exemple la façon dont le bijou a été acheté, son origine et depuis combien de temps il est aux mains du propriétaire. Elle vérifie également d’éventuels documents et certificats. Puis elle examine attentivement le bijou pour observer le savoir-faire, noter les travaux de réparation et rechercher des signatures, des poinçons, des estampilles ou des marques de fabricant. Vient ensuite l’examen des pierres pour déterminer si le sertissage, la grosseur, la taille ou d’autres aspects sont cohérents avec l’époque du designer ou la période historique de l’origine supposée du bijou. Une fois l’inspection terminée, elle entreprend des recherches pour confirmer ses conclusions.

« J’utilise Google. Je vais à la bibliothèque, explique-t-elle. J’ai une collection de catalogues qui remontent au début des années 1990 et dans lesquels je me plonge. Je m’intéresse aux enchères passées. J’ai mis toutes les maisons d’enchères dans mes favoris depuis des dizaines d’années. Je garde les vieux rapports tarifaires que j’utilise comme une encyclopédie. »

Le processus est souvent plus difficile pour les Haspeslagh, qui s’occupent de bijoux d’artistes plutôt que d’articles de marques connues. Dans ce cas, les informations peuvent être rares. Ces dix dernières années, le couple s’est constitué sa propre bibliothèque, qui lui permet de mener des recherches à l’aide d’informations collectées dans des monographies et des fondations d’artistes. Cela leur donne une idée du style de l’artiste, comme les coups de marteau distinctifs d’Alexander Calder ou la couche de peinture noire de Louise Nevelson. Cela les aide aussi à reconnaître la patte de l’artiste dans le bijou. Ils collectent également des catalogues d’expositions, des publications sur les bijoux et des ouvrages sur les artistes.

Leitman Bailey se souvient d’une famille qui lui avait apporté la collection de leur mère pour la faire évaluer. Elle a vu un bijou qui lui a paru particulier mais qui ne portait pas de signature. Un signe ressemblant à la marque d’un fabricant était effacé et obscurci. Elle a commencé à effectuer des recherches dans des livres, avançant page par page pour trouver des similitudes. « Et voilà qu’au dos du livre, sur la toute dernière page, je l’ai trouvé – c’était un bijou extraordinaire de Seaman Schepps, un bijoutier de New York », affirme-t-elle. L’identification du fabricant a rajouté entre 20 000 dollars et 30 000 dollars à l’estimation initiale.

« Il faut souvent jouer au détective, ajoute-t-elle. On obtient des bribes d’informations et il faut retrouver la provenance en rassemblant toutes les pièces du puzzle. »

Source Rapaport

Une bouche célèbre


L’histoire de deux experts qui ont rattaché une broche en forme de bouche à l’œuvre d'une sculptrice française.


Il y a plusieurs années, Martine et Didier Haspeslagh, de Didier Ltd., ont acquis une broche en or ayant la forme d'une paire de lèvres. Supposée être l’œuvre de la  sculptrice française Claude Lalanne, elle portait son monogramme et les poinçons de GianCarlo Montebello, dont la société GEM Montebello aidait les artistes à transformer leur inspiration en bijoux réels. Or, la broche ne portait pas les marques des autres bijoux de GEM et ne figurait pas sur la liste des bijoux des Haspeslagh que Montebello avait produits avec d’autres artistes. Mais ils savaient, par Montebello lui-même, qu’il avait travaillé avec des créateurs comme Claude Lalanne en dehors de ses productions GEM. De plus, les Haspeslagh possédaient un collier orné d’une paire de lèvres en or que Montebello avait moulée pour Claude Lalanne en 1970, et portant les mêmes poinçons. Malheureusement, cela ne suffisait pas à établir avec certitude l’origine de la broche. La recherche de preuves pouvait donc commencer.

« Nous l’avons cherchée dans des publications, se rappelle Martine Haspeslagh. Notre bibliothèque de livres et de catalogues est vaste et s’est étoffée au fil des décennies. Nous avons aussi des archives d’œuvres qui ont été présentées aux enchères, que nous les ayons achetées ou non, ainsi qu’un compte Dropbox rempli de photos trouvées sur Internet. » Mais aucune de ces sources n’a pu aider le couple à identifier le bijou. « Nous avons fait chou blanc pendant très longtemps. »

Puis Didier Haspeslagh a aperçu une image floue d'un article de Vogue sur Instagram, montrant deux parures créées par Claude Lalanne, avec pour modèle l’icône allemande de la mode, Veruschka. Les Haspeslagh ont retrouvé le texte complet de l’article de décembre 1969 en ligne et la légende confirmait que Claude Lalanne avait créé trois bijoux moulés sur Veruschka, le troisième étant une paire de lèvres. Les Haspeslagh sont alors retournés à la bibliothèque pour reprendre leurs recherches. « Et soudain, eurêka ! Nous avons trouvé [...] une photo en noir et blanc de Claude Lalanne appliquant du plâtre sur la bouche et le menton de Veruschka – un indice incontestable, déclare Didier Haspeslagh. La preuve était là, sous notre nez, depuis le début, elle attendait juste qu’on la repère. »