Diamants synthétiques et liquidités, les plus grosses menaces pour l’industrie

Avi Krawitz

Entretien avec Mike Aggett, le directeur général de H. Goldie .
H. Goldie & Company est l’un des plus anciens courtiers accrédités de la De Beers. [:]La société travaille particulièrement avec les sightholders indiens. Mike Aggett l’a intégrée en 2009, en tant que directeur général, après avoir travaillé pour la De Beers. Il s’est récemment entretenu avec Rapaport News à propos des facteurs qui influencent le marché du brut :

D’où venez-vous et comment êtes-vous entré chez H. Goldie & Co. ?

J’ai travaillé 32 ans pour la De Beers, notamment pour acheter du brut en Afrique et vendre, par l’intermédiaire de l’ancien Diamdel, en Inde et à Anvers. Je suis rentré à Londres et j’ai travaillé dans les ventes aux sightholders, avec en point d’orgue la coordination des opérations commerciales de la De Beers à Londres, en tant que responsable de la gestion clientèle. À cette époque, j’ai collaboré avec les sightholders et avec les maisons de courtage accréditées, dont H. Goldie, que j’ai rejoint en 2009.

Que fait un courtier accrédité par la De Beers et en quoi cela a-t-il changé ces dernières années ?

Notre rôle consiste surtout à représenter tous les intérêts commerciaux des clients sightholders, en nous concentrant particulièrement sur leurs relations avec la De Beers.

Nos fonctions ont commencé à évoluer lorsque la De Beers a introduit l’initiative des fournisseurs privilégiés, aux environs de l’an 2000. Au départ, le but était d’agir comme une sorte de lobby, pour représenter le client auprès de la De Beers. Or, aujourd’hui, nous devons personnaliser notre offre pour les sightholders, afin d’ajouter de la valeur au cas par cas. Ceci peut porter sur n’importe quel aspect de leur activité, de l’approvisionnement en brut aux conseils financiers, en passant par le marketing de détail et l’aide à la création de marques.

L’ancienne offre, qui était identique pour tous, n’a vraiment plus lieu d’être. H. Goldie cherche désormais à élargir son champ d’action professionnel.

Quelles ont été les conséquences du déménagement au Botswana sur l’activité de courtage ?

La mise en place du déménagement au Botswana a suscité de nombreuses craintes. En réalité, la transition s’est faite quasiment sans heurts. Les sightholders regrettent clairement la ville de Londres. Mais Gaborone les a accueillis à bras ouverts et la communauté des sightholders est presque toujours présente dans son intégralité à chaque sight.

Je ne pense pas que ce changement ait beaucoup affecté la relation entre courtiers et sightholders. Nous proposons toujours une assistance logistique complète à nos clients dans leurs négociations avec la De Beers et avec d’autres producteurs du sud de l’Afrique.

Le fait qu’Okavango Diamond Company, tout comme d’autres tenders et ventes, se soit aligné sur la semaine du sight de la De Beers à Gaborone a permis de faire comprendre aux clients l’utilité de leur présence.

Quelle différence voyez-vous entre l’actuel contrat des sightholders de la De Beers et le prochain?

Les objectifs et les principes de la De Beers restent les mêmes : mettre leurs produits entre les mains des sociétés les plus solides, un moteur qui doit permettre de continuer à optimiser les bénéfices et les rendements de leurs actionnaires.

Les changements apportés par la De Beers, comme l’ouverture de l’approvisionnement de brut aux non-sightholders – appelés acheteurs accrédités – lui assurent un vecteur pour parvenir à ses objectifs, en lui offrant un accès potentiel à une large gamme d’acheteurs.

N’oublions pas qu’en intégrant des réglementations financières plus strictes, de la transparence et une meilleure gouvernance d’entreprise, la De Beers va améliorer la qualité de ses clients. Espérons que cela tire toute l’industrie vers le haut, attire davantage de financement et inspire la confiance.

Que pensez-vous du marché du brut en 2014 ?

Les prix ont été forts au premier semestre. Tous les producteurs ont augmenté leurs tarifs et écoulé des volumes assez importants. En milieu d’année, les prix ont commencé à se stabiliser, avant de baisser au troisième trimestre.

Dans de nombreuses catégories, la hausse des prix du premier trimestre s’est probablement amenuisée au fil de l’année. Le sentiment actuel est que les prix du brut pourraient continuer à baisser jusqu’à la fin de l’année.

La demande a également été solide au premier trimestre. Le rythme a commencé à ralentir aux environs d’avril-mai. En milieu d’année, les sociétés minières se sont retrouvées dans l’incapacité de vendre les gros volumes de brut qu’elles avaient accumulés les mois précédents. La situation était principalement due à une baisse des ventes et des prix du taillé, à une hausse des stocks de brut et de taillé et à des liquidités limitées.

Les liquidités posent de plus en plus problème depuis le début de l’année. Elles ont largement contribué aux pratiques d’achat et aux tarifs pratiqués sur le marché secondaire. Le départ récent de la Banque diamantaire anversoise (ADB) et l’approche plus stricte des prêts par les autres institutions financières exerceront une pression constante sur la filière.

Cette correction des prix du brut au troisième trimestre a-t-elle été répercutée lors des sights ?

Pas vraiment. La De Beers a adopté une politique de tarification dynamique : elle étudie très attentivement plusieurs facteurs, puis ajuste les boîtes quasiment chaque mois. Les prix ont dû refléter le marché dans une certaine mesure, mais je pense que le marché a réagi plus fortement que les prix de la De Beers.

Si la De Beers n’ajuste pas ses prix en fonction du marché secondaire, comment les sightholders s’y retrouvent-ils ?

Les fabricants se plaignent régulièrement des marges bénéficiaires. Les faibles profits dans la fabrication ont maintenu les premiums à des niveaux minimum. Cette année, la demande a principalement été stimulée par les usines, pour répondre aux besoins particuliers de chaque fabricant.

Au second semestre, les Small de moins de 3 grains ont particulièrement reculé, de même que les marchandises produisant des puretés VS et supérieures. C’est, à l’évidence, le résultat des tendances de la demande de taillé. Celle qui est liée à la valeur intéressante du brut a été quasiment éradiquée cette année, et jamais aucune boîte à bas prix n’a influencé la demande.

Je pense aussi que le système des tenders de brut a optimisé les prix car il est bien plus axé sur des catégories de demande spécifique et il optimise ces prix. Les fabricants ont besoin de marges supérieures, qu’ils obtiendront grâce à la différenciation, au design et à la création de marques. Les consommateurs sont de plus en plus conscients des prix. Ce n’est qu’en proposant des produits différenciés que le prix deviendra un facteur secondaire dans la décision d’achat.

La hausse des coûts du brut ne sera-t-elle pas répercutée sur le consommateur ?

La hausse des coûts du matériau devra être répercutée sur les prix de détail à un moment ou un autre pour que l’activité reste durable. Avec l’émergence des nouveaux marchés de consommation pour les bijoux en diamants et le positionnement des diamants comme un impératif culturel, symbole d’une réserve de richesses ou de cadeaux, la demande va se développer. Je pense toutefois que les craintes portent sur la vitesse à laquelle les attitudes d’achat des futures générations vont changer.

Même si l’attrait des diamants naturels, parfait cadeau d’amour, est une évidence pour les consommateurs, il existe aussi des diamants synthétiques. Avec un prix inférieur et un impact moindre sur l’environnement, au fil du temps, les diamants synthétiques pourraient plaire davantage aux consommateurs modernes.

Je pense que certains consommateurs continueront à n’acheter que des diamants naturels, en particulier pour des fiançailles et des mariages. Mais en ce qui concerne les bijoux de mode, les alternatives pourraient être plus attirantes.

Quel sera selon vous l’impact d’une baisse de l’offre sur les échanges de brut du marché secondaire ?

Les échanges sur le marché secondaire ont déjà changé, et ils continueront à s’adapter aux réalités de l’industrie. Le négoce traditionnel a peut-être moins d’influence que par le passé. Les négociants trouvent de plus en plus difficile d’obtenir des marges suffisantes. Ils sont aussi touchés par le besoin croissant des grands fabricants de s’assurer du brut auprès des principales sources ou par des systèmes de tenders plus importants. Une combinaison de tous ces éléments façonnera l’avenir des échanges sur le marché secondaire. Si nous observons le secteur de la fabrication, il y a toujours eu des regroupements. Plusieurs petites structures ont disparu ces dernières années. Les regroupements ralentiront mais les entreprises existantes, moins durables, risquent de disparaître.

Quelle est la situation du crédit bancaire et des liquidités en Inde, où se trouvent bon nombre de vos clients ?

L’annonce de la fermeture d’ADB a été un choc dans l’industrie partout dans le monde, y compris à Mumbai. S’y est ajoutée l’annonce dans la presse indienne que Standard Chartered Bank envisageait également de réduire son exposition à l’industrie diamantaire.

Les regards se tournent donc vers les banques indiennes, qui ont hésité à accepter de nouveaux clients diamantaires. En fait, elles n’ont accepté aucun nouveau financement pour leurs clients existants depuis six mois.

Les paiements locaux ont aussi été retardés de plus d’un mois et les sociétés qui vendaient du taillé à crédit ont essayé de se faire payer à temps pour Diwali. Le coût du financement en Inde a également été très élevé et il semble impossible que les taux d’intérêt baissent dans les prochaines semaines, la Banque de réserve indienne essayant de maintenir l’inflation sous contrôle. Les banques indiennes se montrent donc prudentes et ne se sont pas précipitées pour combler le vide laissé par ADB et les autres banques.

Quelles sont vos plus grandes craintes pour l’industrie ?

Je pense que la menace des diamants synthétiques non déclarés et l’effet qu’ils peuvent avoir sur la confiance des consommateurs, s’ils s’infiltrent dans la filière des diamants naturels, sont la plus grosse menace sous-jacente pour l’industrie. Ce danger est parfaitement admis et l’industrie a engagé les démarches nécessaires pour s’y attaquer – en introduisant des systèmes et des installations de dépistage afin d’identifier les diamants artificiels.

Au quotidien, le plus gros défi concerne les liquidités et l’accès au financement, en plus de la nécessité de créer des marges bénéficiaires raisonnables.

Quelles sont les perspectives à long terme pour le marché, les sightholders et H. Goldie dans les 10 prochaines années ?

La demande devrait dépasser l’offre. Et puisque le développement économique génère de nouveaux consommateurs pour le produit, l’avenir semble positif pour les diamants.

À mon avis, les sightholders représentent déjà les meilleurs diamantaires mondiaux. Les nouvelles exigences de la De Beers, visant à élever la marque des sightholders à un niveau de transparence financière supérieure et de gouvernance d’entreprise et de normes éthiques exemplaires, devraient inspirer plus de confiance aux institutions financières et aux investisseurs, mais aussi au marché de détail et aux consommateurs, pour qu’ils choisissent les sightholders comme partenaires professionnels.

Chez H. Goldie, nous continuons à développer de bonnes relations de travail avec chacun de nos sightholders, tout en nous adaptant au paysage changeant dans lequel évolue l’industrie. Nous continuerons à nous adapter et à développer un ensemble diversifié de services à valeur ajoutée, personnalisés pour chaque société, et nous les aiderons à affronter les défis majeurs du marché du brut.

Source Rapaport