Diamants du Zimbabwe, un rôle plus important qu’on pourrait le croire

Elena Levina

Ces derniers mois, les membres et les experts de l’industrie ont eu beaucoup de mal à déterminer les raisons de la stagnation du marché diamantaire. Il semblerait que les « bases » du marché promettent un avenir brillant à l’industrie[:] : la production mondiale diminue graduellement, tandis que les ventes de bijoux en diamants augmentent lentement, mais régulièrement. Toutefois, les prix du taillé restent stables, dans le meilleur des cas, ou reculent. Certains accusent le financement des fabricants, d’autres, l’évolution des préférences des consommateurs. Les géants de l’extraction minière associent leurs efforts pour ressusciter les programmes de marketing générique disparus depuis longtemps. Les experts appellent à porter davantage d’attention à la menace posée par les pierres synthétiques.

Mais il existe un autre facteur, qui a semble-t-il totalement échappé aux discussions.

[two_third]Il y a quelques années seulement, les experts prédisaient que le Zimbabwe jouerait un rôle important sur le marché mondial des diamants : on pensait que le pays était capable de produire de telles quantités de diamants qu’il pourrait faire basculer l’équilibre de l’industrie. Mais les niveaux de production de ce pays n’ont pas atteint les dizaines de millions de carats attendues et le sujet s’est graduellement tari. Toutefois, le Zimbabwe semble continuer de jouer un rôle bien plus important dans la vie de l’industrie que ce que l’on pensait.[/two_third][one_third_last]

« Il y a quelques années seulement, les experts prédisaient que le Zimbabwe jouerait un rôle important sur le marché mondial des diamants. »

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L’Inde a toujours misé un maximum sur le Zimbabwe. Lorsque le Kimberley Process a levé ses sanctions sur les diamants du pays, les diamantaires de Surat ont ressenti un véritable soulagement. À l’époque, l’Inde, le plus gros centre de fabrication diamantaire au monde subissait une forte dépréciation de la roupie face au dollar, qui contraignait financièrement les tailleurs locaux. « Les diamants du Zimbabwe sont devenus l’option la moins chère aujourd’hui, ont affirmé des responsables du GJEPC à cette époque. Ces pierres peu chères attirent les diamantaires indiens, en particulier des acheteurs de taille petite à moyenne. Ils apportent les diamants en Inde, en payant comptant, pour que leurs usines continuent de tourner. » Ils ont également exprimé l’espoir que la circulation des pierres bon marché du Zimbabwe fasse baisser les prix des diamants d’Afrique du Sud et de Russie.

Il faut dire qu’il était très rémunérateur à l’époque de traiter avec le Zimbabwe. En 2013, les diamants de ce pays africain, encore récemment considérés comme des diamants du conflit, se vendaient à prix réduit, jusqu’à 50 % moins cher que du brut comparable provenant d’autres sources. « Les négociants scrupuleux qui achetaient des diamants lors des tenders à Harare, en passant par la route de Dubaï, avaient soutenu que les diamants du Zimbabwe ne pourraient être achetés qu’avec de fortes remises allant jusqu’à 25 % à 40 %. Ils prétendaient que ces diamants étaient assortis de risques graves pour la réputation des négociants », avait écrit Equity Communications dans son rapport.

Selon les données publiées par le Kimberley Process en 2013, les exportations nettes de diamants vers l’Inde représentaient environ 110 millions de carats. À la même époque, les statistiques du commerce extérieur du Gem and Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) donnaient un chiffre très différent : 118 millions de carats. Gommer cet écart par des « différences entre les méthodes comptables » ne fonctionnera pas. C’est en effet en 2013 que, pour la première fois, les statistiques du KP et du GJEPC ont autant divergé. Ainsi, en 2012 et en 2011, les chiffres des exportations nettes vers l’Inde provenant de ces deux sources étaient presque identiques. Or, en 2013, l’Inde a reçu environ 8 millions de carats de brut, qui n’ont pas été enregistrés par le Kimberley Process pour une raison pour une autre – très probablement parce qu’il s’agissait de diamants du Zimbabwe achetés par des diamantaires Indiens « au comptant », au moment même où la chute de la roupie les obligeait à rechercher d’autres options pour continuer à travailler.

Imaginons maintenant que vous achetiez un pli de diamants bon marché du Zimbabwe pour le tailler. Il est peu probable que vous cherchiez à approcher de grands négociants avec ce type de marchandises : ils se montreront sûrement très réticents face à un tel risque pour leur réputation. Vous irez plus probablement voir de petits négociants, qui fermeront les yeux sur certains des problèmes liés à l’origine des diamants… en échange, bien entendu, d’une bonne remise sur le prix du marché. Les diamants remisés commencent alors leur parcours libre : à la différence du brut, il n’existe pas de certificat pour le taillé qui obligerait à indiquer le pays d’origine.

[two_third]Il est possible que la stagnation prolongée des prix du taillé soit due au fait que le marché continue à recevoir des pierres remisées, taillées à partir de diamants zimbabwéens. Combien de carats de taillé peut-on fabriquer à partir de 8 millions de carats de brut ? Peut-être 3 millions de carats, soit l’augmentation de la fabrication en Inde en 2014 par rapport au niveau annuel standard de 32 à 33 millions de carats des années précédentes[/two_third][one_third_last]

« Il est possible que la stagnation prolongée des prix du taillé soit due au fait que le marché continue à recevoir des pierres remisées, taillées à partir de diamants zimbabwéens. »

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Dans l’ensemble, les tailleurs de Surat ne doivent pas porter la responsabilité de leur volonté de faire vivre leurs entreprises. Le problème est plutôt lié à l’absence de réglementation. La recherche zélée d’un brut tout à fait propre au plan éthique (ce qui est en soi une bonne intention) n’a pas rendu les diamants du Zimbabwe plus ou moins « propres ». Nous n’entendons pas du tout critiquer la décision du Kimberley Process d’imposer un embargo sur le négoce des diamants du Zimbabwe, ni sa décision de l’annuler. Nous nous contentons d’attirer l’attention sur un fait : tout le monde sait que, même après la levée de l’embargo, le commerce des diamants du Zimbabwe est longtemps resté peu légitime et très peu transparent. En réalité, il n’a commencé qu’à être légèrement régulé fin 2013, lorsque les autorités du pays ont organisé des tenders ouverts à Harare et au-delà. Et même ce mécanisme est encore loin d’être parfait.

La bonne nouvelle est que, si les diamants remisés provenant du Zimbabwe imposent actuellement une véritable pression sur les niveaux de prix généraux, tôt ou tard, le stock de ces pierres viendra à s’épuiser et tout reviendra à la normale.

Ce qui est effrayant, c’est que, même si l’épuisement du stock permettra de faire disparaître les symptômes, cela ne résoudra pas le problème. Nous ne devons pas oublier, qu’en plus des grands fabricants, il existe de petites sociétés et des sociétés fermées sur le marché, dont les tarifs restent un mystère pour toute l’industrie. Et cela ne concerne pas uniquement le Zimbabwe. Le Kimberley Process est désormais présidé par l’Angola, qui a été confronté au problème du trafic illégal des diamants en lien avec la guerre civile qui a secoué son histoire. En réalité, c’est à de nombreux égards grâce à l’expérience de l’Angola que le système de certification du KP a révélé son efficacité. Mais selon des acteurs du marché, la plus grande société diamantaire d’Angola, Catoca, vend aussi des diamants avec une remise importante par rapport aux prix du marché. Et si, dans le cas du Zimbabwe, la remise était due aux sanctions et au statut « semi-légal » du brut, dans le cas de Catoca, elle est due à l’absence de transparence dans les ventes de la société. Bien entendu, le Kimberley Process n’est pas le seul à porter la responsabilité de la transparence du marché ; cela repose aussi sur les épaules des autorités de ces pays africains, lesquels profitent des revenus du marché des diamants.

N’oublions pas non plus que la République Centrafricaine devrait reprendre sous peu ses exportations de brut, après avoir subi les sanctions du KP depuis 2013. En réalité, la quantité et la qualité de ces diamants n’ont pas beaucoup d’importance : si ces pierres ne sont pas vendues de façon transparente après le retrait des sanctions, le marché courra bientôt le risque de voir arriver une nouvelle source de brut, vendu avec des remises de 50 %.

Source Rough&Polished