En termes de marges bénéficiaires, l’intermédiaire se fait toujours léser. La situation est facile à évaluer dans l’industrie diamantaire. Il suffit de jeter un coup d’œil rapide sur les états financiers des sociétés évoluant dans les différents secteurs de la filière. [:]Autrement dit, les marges sont bien plus importantes aux deux extrémités, à la mine et dans le commerce de détail. Ce sont bien les fabricants qui souffrent le plus de la baisse des marges.
C’est ainsi que les annonces selon lesquelles la De Beers a augmenté ses prix sur certaines marchandises lors du sight de mai de la Diamond Trading Company (DTC) ont été accueillies très fraîchement sur le marché. Malgré un ajustement à la baisse des prix de la DTC sur d’autres marchandises moins populaires, beaucoup soutiennent qu’il n’est pas possible de justifier n’importe quelle augmentation, étant donné l’état actuel du marché du taillé.
D’ailleurs, la réaction du marché a montré que le secteur du taillé s’est calmé ces deux dernières semaines, ajoutant ainsi aux préoccupations sur les marges bénéficiaires des fabricants. Les liquidités indiennes sont limitées et l’incertitude est de mise chez les acheteurs mondiaux.
À titre de comparaison, l’indice RapNet Diamond Index (RAPI™) pour les diamants certifiés de 1 carat a chuté de 2,9 % au cours des quatre premiers mois de l’année, selon le rapport de recherche d’avril de Rapaport, publié récemment : « Conservative Markets (Les marchés conservateurs) ». Sur la même période, selon les estimations de Rapaport, les prix du brut ont augmenté d’environ 7 à 9 %.
La disparité entre les prix du brut et du taillé n’est pas inhabituelle. Les prix du taillé sont souvent en retard par rapport aux hausses des prix du brut. Or, l’idée que des prix élevés du brut entraîneront une hausse du taillé est erronée. Pour répéter un point déjà soulevé dans cette chronique, c’est le marché du brut qui devrait s’aligner sur celui du taillé et non l’inverse (voir l’éditorial « Rough Economies (Les économies du brut) » publié le 20 avril 2012).
Cependant, le profil des clients du brut a changé. Cela permet, dans une certaine mesure, d’augmenter les prix. Aujourd’hui, parmi les plus gros acheteurs de brut, se trouvent en fait les bijoutiers, qui jouissent de marges plus élevées, vendent le produit fini au consommateur final et sont ainsi plus à même d’absorber la hausse des prix du brut.
L’approvisionnement de la DTC aux détaillants est appelée à augmenter au cours de la période contractuelle en cours, Gitanjali Gems a obtenu un nouveau sight et Chow Tai Fook bénéficie d’un sight supplémentaire au Botswana. Parmi les autres sightholders du même genre, citons Tiffany & Co. (Laurelton Diamonds), Graff Diamonds (SAFDICO) et Chow Sang Sang. Chow Tai Fook, Tiffany & Co. et Graff Diamonds disposent chacun de plusieurs sights dans les centres de distribution de la DTC. En outre, de nombreux puissants fabricants indiens tels que Rosy Blue et Shrenuj & Co se sont aventurés avec succès sur le marché des bijoux. D’autres ont réussi à former des partenariats avec les détaillants.
Tiffany & Co. a déclaré dans son rapport annuel de 2011 envisager l’achat d’environ 200 millions de dollars de brut pour 2012. En plus de passer par l’entremise de la DTC et de Rio Tinto, Tiffany & Co. a conclu divers accords d’approvisionnement avec des sociétés minières pour des parties biens définies de leur production. Le joaillier a par exemple signé un accord avec Gem Diamonds pour les diamants jaunes extraits de la mine Ellendale. Tiffany & Co. a également déclaré avoir l’intention d’acheter du brut auprès d’autres fournisseurs avec lesquels il n’a aucune obligation contractuelle.
Chow Tai Fook, également diamantaire sélectionné de Rio Tinto, a estimé qu’environ 40 % des pierres utilisées dans son vaste empire sont taillés en interne. « Notre large éventail d’activités nous offre une connexion forte avec le marché du diamant car nous sommes directement confrontés à la dynamique de l’offre et de la demande », a expliqué Kent Wong, directeur général chez Chow Tai Fook, dans un entretien avec Martin Rapaport, publié dans le numéro de mai 2012 du magazine Rapaport.
Cela signifie que les fabricants sont confrontés à des conditions inéquitables. Il est d’ailleurs possible qu’un système à deux vitesses se soit développé au sein de la communauté des sightholders. Sur un plan plus large, les sociétés minières qui vendent sous contrat, appuient leurs hausses de prix du brut sur le succès des ventes de taillé qui en résulte au niveau des détaillants, plutôt qu’à celui des grossistes.
Cela ne traduit certainement pas la réalité du marché. La grande majorité des fabricants rencontrent ainsi plus de difficultés à tirer profit de leurs achats de brut.
Pour sa part, la DTC affirme tenir compte d’un certain nombre de facteurs dans sa politique de prix, notamment des informations émanant des enchères Diamdel De Beers, des retours d’informations du marché du taillé, ainsi que des tendances commerciales et économiques. La société a également déclaré avoir assoupli ses ajustements de prix à court terme, à la hausse ou à la baisse.
Pourtant, du fait de la tendance actuelle à créer des marques, les prix continueront à augmenter. D’autre part, depuis un certain nombre d’années, la DTC pousse les sightholders à se diversifier davantage dans la chaîne d’approvisionnement grâce à son programme de fournisseur privilégié. Comme l’a indiqué un sightholder à Rapaport News, non seulement vous devez prouver la valeur de votre marque pour obtenir un sight, mais il vous faut en plus présenter une marque forte pour gagner de l’argent grâce au sight. Il explique que, contrairement aux diamants génériques, les produits de marque assurent des premiums suffisants pour tirer profit de la hausse actuelle des prix du brut.
À l’évidence, les consommateurs se tournent de plus en plus vers les produits de marque et d’énormes opportunités marketing font leur apparition, notamment dans les pays en développement comme la Chine et l’Inde.
La De Beers met elle-même en avant sa propre marque depuis plus d’une décennie. La société continue de développer son identité de joaillier grâce à ses boutiques De Beers Diamond Jewellery et de faire progresser la marque Forevermark. Ayant mis en sommeil ses dépenses publicitaires pour le diamant en général, elle a accentué la promotion de sa marque pour stimuler la demande. Avec cette migration vers l’aval, la De Beers prévoit que les sightholders remontent en amont de la filière.
Le développement des marques de diamants ne peut en aucun cas être néfaste. Toutefois, la capacité des tailleurs à s’engager efficacement dans le monde des marques est discutable. Beaucoup s’y sont essayés et ont échoué. La création d’une marque nécessite un investissement et un savoir-faire considérables. En fin de compte, les fabricants se retrouvent en concurrence pour attirer l’attention des détaillants. À leur tour, les détaillants ont le choix de représenter efficacement la marque de leur fournisseur ou de développer la leur. Dans un monde farouchement axé sur la marque, le détaillant aura toujours le dessus, étant donné qu’il est au contact du consommateur final. D’où une pression supplémentaire sur le secteur manufacturier.
Mais pour la De Beers et d’autres, la boucle est bouclée. Suite à l’augmentation du nombre de détaillants de marques qui s’approvisionnent en brut à des prix qu’eux seuls peuvent se permettre, le marché semble vouloir contraindre les fabricants à « adopter une marque » Cela permettrait aux compagnies minières de maintenir des prix du brut supérieurs dans un environnement commercial qui serait flexible pour le taillé.
Que les tailleurs soient à la hauteur de la tâche, à savoir créer une marque, ou qu’ils aient intérêt à le faire est tout à fait discutable. Ce ne sera d’ailleurs pas le cas pour la grande majorité d’entre eux. Pour alléger leur fardeau et maintenir un secteur dynamique dans fabrication et l’échange de brut, la politique de tarification du brut doit être axée sur le marché du diamant en général, et non celui des marques.