Deux stratégies marketing et un gros jackpot

Sergei Goryainov

Lors des discussions de l’industrie sur le rôle et les perspectives des diamants synthétiques (DS) et leurs avantages et inconvénients par rapport aux diamants naturels (DN), on souligne toujours qu’à caractéristiques comparables, les DS sont bien moins chers (d’au moins 50 %) que les DN. C’est évidemment vrai mais, paradoxalement, cette idée amène les analystes à des conclusions opposées, puisque certains considèrent que la différence de prix actuelle (qui va augmenter à l’avenir) relèguera les DS dans la niche des bijoux de mode et que le marché des DN sera ainsi débarrassé de ce problème. D’autres au contraire considèrent qu’un prix inférieur (et donc une marge supérieure) permettra aux DS d’évincer les DN du segment des petites grosseurs (jusqu’à 1 carat).

Or, imaginons un acheteur lambda, qui n’est généralement pas informé du marché et encore moins des analyses de l’industrie, qui se rend dans une bijouterie (que ce soit une boutique physique ou un magasin en ligne) pour y dépenser une certaine somme d’argent pour un bijou en diamants. Le choix du client (DS ou DN) est influencé par les informations diffusées par les modèles marketing utilisés. Et d’après nous, l’efficacité du marketing se traduira non pas dans la différence de prix entre les DS et les DN de caractéristiques égales, mais dans la qualité des marchandises serties de DS et de DN achetées pour le même prix. C’est ce point d’analyse qui permet d’évaluer les modèles marketing et de prédire le vecteur de préférences des consommateurs.

La façon la plus simple d’expliquer cet argument est d’en donner un exemple concret. Envisageons et comparons deux bijoux : un pendentif (DS) Lightbox et un pendentif (DN) d’ALROSA-Diamonds.

Les deux ont à peu près le même prix : le pendentif Lightbox coûte 2 000 dollars, le pendentif ALROSA-Diamonds coûte 139 100 roubles (soit 2001,7 dollars au taux de change de la Banque centrale à l’heure où nous rédigeons). Les marchandises sont vendues dans les boutiques en ligne respectives et sont disponibles pour n’importe quel titulaire d’une carte de paiement internationale. Les marques sont toutes deux réputées dans l’industrie et connues des médias pour avoir derrière elles les plus gros acteurs du marché diamantaire – De Beers et ALROSA.

Nous ne discuterons pas de leur design car il s’agit d’un facteur très subjectif, nous nous concentrerons sur les paramètres pouvant être mesurés.

Ainsi, la société Lightbox propose un diamant synthétique D, VVS, de 1 carat, taille KP57 Excellent dans un sertissage en or blanc 18 carats (correspondant à la norme 750) pour 2 000 dollars.

Pour la même somme d’argent, ALROSA-Diamonds propose 45 diamants naturels d’un total de 0,38 carat, toutes les pierres sont de couleur F, pureté VS1, taille KP57 (la qualité de taille n’est pas indiquée mais pour la justesse de cette expérimentation, nous supposons qu’il s’agit également d’une taille Excellent), un sertissage est réalisé en or blanc 14 carats (norme 585).

À l’évidence, toutes ces caractéristiques, du métal du sertissage à celui des inserts, montrent que le bijou d’ALROSA-Diamonds est inférieur à celui de Lightbox et leur prix similaire ne peut s’expliquer que par le premium lié à l’origine « naturelle » des diamants utilisés. Il faut maintenant évaluer l’efficacité des efforts marketing. Envisageons les conditions les plus sérieuses, qui sont en quelque sorte des axes du modèle marketing.

Les conditions vont de l’énoncé « un DS est un bijou de mode, les marchés des DS et des DN sont séparés » à celui-ci : « les marchés des DS et des DN sont les mêmes ». « Uniquement des diamants véritables ! », tel est le leitmotiv d’ALROSA qui a tout simplement refusé de travailler sur le marché des DS. Quoi qu’il en soit, Sergei Ivanov, PDG de la plus grande société diamantaire russe, est assez catégorique, lorsqu’il affirme : « Les diamants naturels bruts sont un produit unique qui s’est créé pendant des milliards d’années, ils sont uniques et limités en nombre car la nature n’en « produit » plus. Quant aux diamants synthétiques, ils sont un bijou de mode produit en masse, ils n’ont ni passé, ni histoire, il suffit d’une flotte de réacteurs pour les produire en imitant les conditions naturelles – une forte température et une forte pression ». Et dernière chose : « En général, nous pensons que les pierres naturelles et synthétiques ont des publics cibles et des niches d’achat tout à fait différents» Est-ce vrai ? Un pendentif en DS de 2 000 dollars (D, VVS) en or 18 carats est-il un bijou de mode ? N’est-ce pas le cas d’un pendentif en or 14 carats avec 45 petits DN – pour le même prix ? Comment peut-il y avoir « des publics cibles et des niches d’achat différents » pour un article ayant le même objectif et le même prix ? Deux mille dollars représentent une somme importante pour la classe moyenne aux États-Unis et au Japon, c’est une forte somme pour les acheteurs de nombreux pays de l’Union européenne et c’est une fortune pour les Indiens. Généralement, ceux-ci ne dépensent pas autant d’argent pour des bijoux de mode. Un bijou de mode est un zircon cubique sur de l’argent coûtant (au mieux) 50 dollars. Non, les marchandises comparées, fabriquées par Lightbox et ALROSA-Diamonds ne peuvent pas être considérées comme des bijoux de mode, il s’agit de bijoux à part entière. Et si c’est le cas, où est l’accord de partage de marché ? Ici, nous rencontrons deux vrais concurrents. Par conséquent, un acheteur qui a l’intention de dépenser 2 000 dollars pour un pendentif choisira l’un ou l’autre. L’espoir que De Beers ait créé Lightbox dans le seul but de rabaisser les articles en DS au rang de bijoux de mode paraissait assez naïf dès le départ.

Les DN sont un produit qui s’est « créé pendant des milliards d’années » et les DS sont « une réplique moderne fabriquée dans un “tube à essai” » (on utilise souvent le terme discutable de « diamants de laboratoire »). Le message marketing est bon, mais uniquement à première vue. Il serait intéressant d’interroger les défenseurs de cette idée pour savoir s’ils s’intéressent au type d’or dont est fait le sertissage du bijou qu’ils possèdent ou qu’ils ont l’intention d’acheter. Cet or a-t-il été extrait dans un gisement primaire ou alluvial il y a un mois ou obtenu en fondant les restes de bijoux de différentes époques remis à des prêteurs sur gages ? Existe-t-il une véritable différence ? Ou est-ce qu’il suffit que ce soit de l’or avec le nombre exact de carats déclarés ? À l’évidence, pour un consommateur moyen, l’origine et l’âge du métal du sertissage n’ont pas d’importance. Dans ce cas, pourquoi l’acheteur se soucierait-il de l’origine des morceaux taillés dans du carbone cristallin et insérés dans ce sertissage ? Physiquement, chimiquement et optiquement, les DS et les DN sont absolument identiques. Et le plus drôle, c’est que les atomes de carbone de la matrice cristalline des diamants naturels et synthétiques ont le même âge. Les produits qui se sont « créés pendant des milliards d’années » et la « réplique moderne réalisée dans un “tube à essai” » sont vraiment composés d’atomes apparus à la même époque. Que notre client soit athée et défenseur de la théorie du big-bang, adepte de Démocrite ou de Lavoisier ou qu’il professe l’une quelconque des religions contenant un dogme à propos de la création du monde, il serait d’accord avec cette déclaration.

Quant à l’attractivité d’investissement des DS et des DN, il est le même et d’ordre négatif – il est très probable que vous ne revendiez jamais ces pendentifs au prix où vous les avez achetés ou plus cher. En général, pour les marchandises produites en masse allant jusqu’à trois carats de diamants incolores sans origine particulière, il n’est pas logique de parler de réserve d’investissement. Par conséquent, la valeur marketing de ce facteur est nulle.

En ce qui concerne l’impact comparatif des DS et des DN sur l’écologie, « l’aspect vert » gagne rapidement du terrain marketing en ce moment. À cet égard, les DS ont un avantage indéniable, et pour des raisons objectives. N’importe quelle extraction minière à grande échelle est associée à un impact négatif irréversible sur l’environnement de la région concernée. Quels que soit les efforts de réhabilitation engagés par les sociétés minières, il est impossible de restaurer totalement les régions où a été réalisée l’extraction. Aujourd’hui, la situation est aggravée par le fait que l’extraction est menée presque exclusivement dans l’intérêt de l’industrie du luxe, puisque la part des diamants naturels industriels sur le marché n’est que de quelques points en pourcentage. Et si l’extraction des hydrocarbures ou des métaux industriels est nécessaire pour le maintien et le développement de la civilisation, l’extraction des diamants est menée afin de satisfaire des besoins qui ne peuvent pas être qualifiés d’essentiels. Pour des raisons bien connues, les consommateurs actuels sont extrêmement sensibles à ces déclarations et par conséquent, les DS profitent d’avantages marketing inégalés. En outre, l’extraction des diamants engendre objectivement des risques qui, en principe, sont absents de la production des DS. La probabilité de tels risques est importante et la menace de situations comme la catastrophe environnementale récente à la mine Catoca planera sur les producteurs de DN tant que durera l’extraction des diamants naturels.

Les DS, à la différence des DN, n’ont pas d’histoire. Cette déclaration est tout à fait juste et extrêmement importante, elle énonce quasiment le seul avantage marketing des diamants naturels par rapport aux diamants synthétiques. En réalité, l’histoire des DN contient de nombreuses informations pouvant être utilisées pour un marketing générique, un outil capable de limiter fortement l’expansion des DS, en qualifiant les diamants synthétiques non pas de « bijoux de mode » (ce qui, bien entendu, est une grossière erreur) mais de « réplique », laissant le rôle bien plus attractif « de version originale » aux DN. Malheureusement, plusieurs obstacles objectifs et subjectifs se dressent sur ce chemin. Le fait est que l’histoire officielle est pleine de légendes créées par ceux qui contrôlent le marché et leurs principaux homologues, le marché diamantaire ayant été monopolisé et politisé pendant longtemps. Cette version « falsifiée », généralement acceptée aujourd’hui, exclut les points les plus importants qui pourraient jouer le rôle de catalyseur pour le marketing générique actuel. Par conséquent, il existe très peu d’experts qui possèdent les informations nécessaires et il n’en existe pas dans l’industrie.

Selon nous, l’exemple donné prouve de manière convaincante que les marchés des DS et des DN ne sont pas séparés dans le segment de masse des bijoux. Il s’agit de concurrents à part entière et, dans l’esprit des consommateurs, cette concurrence prendra la forme d’un combat entre les modèles marketing construits selon le système de coordonnées qui précède. Cette bataille va-t-elle se renforcer au fil du temps ? Il me semble que ce sera le cas et que l’aggravation du conflit est inévitable. La raison en est évidente : le marché de masse pour les bijoux en diamants est un gros jackpot, qui vaut la peine que l’on se « batte » pour lui. Pourquoi ne constatons-nous pas une telle confrontation entre des pierres synthétiques et naturelles, par exemple, sur le marché du corindon de qualité, même si les technologies de synthèse sont très avancées dans ce domaine ? Car ce marché est trop étroit et qu’il serait évidemment inutile d’investir dans le marketing des sommes comparables aux coûts du marché lui-même. Or, le ratio d’investissement requis pour bâtir et mettre en place un modèle marketing réussi pour les DS, ainsi que les avantages prévus en retour, comme la part de marché prise aux DN, sont bien plus attrayants.

Source Rough&Polished


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