Des diamantaires disciplinés

Avi Krawitz

Le marché se discipline lentement. Et il doit le faire. Avec des prix élevés pour le brut, la baisse de ceux du taillé, le recul des crédits disponibles et une réduction des niveaux de stocks de détail,[:] les diamantaires ont de plus en plus de difficultés à réaliser un bénéfice. Ils doivent donc faire face avec précaution aux changements importants qui s’installent, afin d’améliorer leur position sur le marché .

Trois changements vont dessiner le profil de l’année 2015, une année charnière pour le marché diamantaire. Ils auront en effet un impact durable sur son fonctionnement. Les banques réduisent le crédit proposé à l’industrie, les entreprises sont contraintes d’adopter des structures plus professionnelles et le marché se réajuste à des niveaux de stocks plus bas et plus efficaces.

[two_third]Même si ces développements finiront par se révéler positifs pour l’industrie, il faudra probablement du temps pour que les sociétés s’y adaptent. Et il y aura inévitablement des fusions d’entreprises en cours de route.

Le changement le plus important concerne les prêts. En fait, les banques ont engagé de grands bouleversements en 2013-2014. ABN Amro a annoncé qu’elle réduisait son financement des achats de brut, de 100 % à 70 %, décision qui a pris effet le 1er janvier 2014. L’année dernière, KBC Group a décidé de fermer sa filiale, la Banque diamantaire anversoise (ADB), retirant ainsi progressivement 1,4 milliard de dollars de financement de l’industrie.[/two_third][one_third_last]

« Les banques réduisent le crédit proposé à l’industrie, les entreprises sont contraintes d’adopter des structures plus professionnelles et le marché se réajuste à des niveaux de stocks plus bas et plus efficaces. »

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Pour dire les choses simplement, les banques – ou leurs régulateurs – considèrent l’industrie comme un « risque accru », ainsi que l’a souligné Erik Jens, PDG de la division Clients des bijoux et diamants d’ABN Amro, dans un récent entretien avec Rapaport News. Une telle catégorisation accroît les coûts des prêts, aussi bien pour le prêteur que pour le bénéficiaire. Une grande partie de ce risque est liée aux problèmes de réputation et à la façon dont le marché conclut ses transactions.

Le fait que les banques quittent l’industrie diamantaire ne peut en aucun cas être considéré comme une bonne chose. Pourtant, il est bon qu’elles se montrent plus sobres. Trop longtemps, l’apport d’argent facile a alimenté des achats de brut irrationnels, lesquels ont permis des hausses de prix. Depuis six mois environ, les diamantaires ayant dû financer eux-mêmes une plus grande part de leurs factures de brut, ils ont refusé les marchandises non rentables. Résultat, les prix se sont corrigés.

Qu’ils aient été contraints d’agir en raison d’un manque d’argent ou parce qu’ils ont adopté une approche plus disciplinée, chacun se fera son idée. Il s’agit probablement d’un peu des deux, bien que l’on espère que la deuxième solution soit la bonne. Quoi qu’il en soit, les banques responsables veulent que leurs clients se concentrent sur la rentabilité, plutôt que sur le chiffre d’affaires. Depuis le début de l’année 2015, les diamantaires semblent bien avoir compris le message.

Reste à savoir si toutes les banques sont responsables. Des préoccupations demeurent certainement à propos de l’Inde, où quelque 60 banques financent le marché. Il semblerait que les grandes banques indiennes resserrent leurs exigences en la matière, les régulateurs sur place ayant fait part de leurs craintes quant au grand nombre d’actifs non performants dans l’industrie. Toutefois, l’accès au crédit demeure plus facile pour les diamantaires en Inde que dans d’autres centres.

Il faut aussi tenir compte des nouvelles banques qui entrent sur le marché, notamment aux Émirats arabes unis (ÉAU), lesquelles doivent encore faire preuve d’une certaine retenue, alors même qu’elles augmentent leur exposition à l’industrie diamantaire.

Lors de la Conférence diamantaire de Dubaï pendant la semaine du 27 avril, la National Bank of Fujairah (NBF), Emirates NBD et Mashreq Bank, qui ont récemment annoncé leur arrivée sur le marché diamantaire, ont, chose encourageante, expliqué qu’elles attribueraient des crédits au cas par cas et qu’elles n’avaient pas l’intention de chercher à prendre des parts de marché aux banques bien établies dans l’industrie.

Les banques responsables prêtent effectivement au cas par cas et promettent des fonds de qualité aux sociétés de qualité. Par société de qualité, elles entendent une structure rentable et transparente.

[two_third]En effet, le deuxième grand changement que le marché doit affronter en 2015 est un virage vers des structures plus professionnelles. Les banques l’exigent de leurs clients diamantaires, tout comme les grandes sociétés minières, qui souhaitent traiter avec des acheteurs de brut transparents et solides financièrement.[/two_third][one_third_last]

« Par société de qualité, [les banques] entendent une structure rentable et transparente. »

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La De Beers et ALROSA ont toutes deux insisté pour que leurs clients à long terme œuvrent pour le respect des Normes internationales d’information financière (IFRS), afin de recevoir leur approvisionnement de brut en 2015 et au-delà. Elles expliquent que plus le marché sera en mesure de prouver sa transparence et son respect des règlementations financières, plus il aura de chances d’attirer des crédits supplémentaires pour les achats de brut.

Ainsi, les jours du Mazal U’Bracha – la conclusion de transactions par une poignée de main – sont bel et bien révolus. L’industrie est obligée, à juste titre, d’abandonner son modèle d’activité archaïque, basé sur la confiance, en faveur de déclarations (et de facturations) idoines, accompagnées d’une divulgation financière intégrale et en toute transparence.

Tandis que les banques et les sociétés minières ont leurs propres raisons pour insister sur ces mesures, l’industrie doit profiter de cette occasion pour bien se positionner par rapport au marché. Le secteur diamantaire, composé de fabricants et de négociants, a toujours supporté la charge de la dette pour l’industrie. Plus récemment, il a supporté le poids de son stock. Un modèle d’activité mieux structuré pourrait le soulager.

Depuis un an ou deux, les détaillants de bijoux, en particulier les petits commerçants indépendants aux États-Unis, ont choisi d’optimiser leurs opérations afin de réduire leurs stocks. Parallèlement, l’expansion de la Chine a ralenti. Les achats s’effectuent donc davantage en fonction des besoins, à mesure que les commandes arrivent, plutôt que pour se constituer un stock.

En 2014, cela faisait apparaître un excès de stock au milieu de la chaîne de distribution. Les tailleurs avaient en effet maintenu leurs niveaux de fabrication et augmenté leurs achats de brut pendant la majeure partie de l’année. Or, avec une demande de taillé toujours faible et des liquidités réduites, les achats de brut et la production ont ralenti ces six derniers mois, dans une tentative pour stabiliser le marché en réduisant l’offre.

L’initiative semble fonctionner, puisque le marché montre de légers signes d’amélioration, bien que les tailleurs continuent à perdre de l’argent face à du brut trop cher. Le marché doit toutefois garder le cap avec une approche plus rationnelle, et ce afin de dégager des bénéfices durables à long terme. Il doit notamment refuser d’être courtisé par les banques qui continuent de proposer un crédit facile pour les achats de brut. Les fabricants doivent aussi éviter d’acheter du brut non rentable, comme ils l’ont toujours fait, en prévision du long terme.

En agissant de la sorte, l’industrie diamantaire pourra certainement tirer profit des changements qui se mettent actuellement en place.

Et lorsqu’elle sera plus rentable et mieux structurée, le marché aura moins tendance à appliquer des pratiques commerciales qui nuisent à sa réputation. Son profil de risque s’améliorera dans l’esprit des banquiers et des régulateurs. Et surtout, l’industrie deviendra plus saine et plus durable pour le marché lui-même, même si les difficultés ne disparaîtront pas et que des regroupements interviendront entre-temps.

Il faudra peut-être un peu de temps pour s’acclimater. Il faudra aussi beaucoup de discipline pour que ces développements de 2015 portent leurs fruits à long terme. Mais ils sont absolument nécessaires si les diamantaires veulent bénéficier d’une activité rentable sur un marché difficile.

Source Rapaport