Définition de la domination par Harry Winston

Avi Krawitz

La vente par Harry Winston Diamond Corp. de sa marque de luxe à Swatch Group constitue l’étape la plus importante engagée jusque-là par cette société à l’évolution rapide. L’accord signe la fin de l’aventure minière sous le nom d’Harry Winston, la marque revenant à son activité historique, le luxe ; quant à la division minière, elle va être renommée Dominion Diamond Corporation.Lire la suite...[:]

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Le marché a été moins surpris par la décision que par son calendrier serré, les opérations intervenant moins de deux mois après le rachat de la mine Ekati à BHP Billiton. En novembre, le PDG Bob Gannicott avait réfuté les rumeurs de préparation d’une transaction dans le secteur du luxe, expliquant qu’une éventuelle vente n’aurait pas lieu avant au moins un an.

Il apparaît toutefois évident que Bob Gannicott et son Dominion[1], ainsi que devrait être baptisée la société, ont plus d’intérêt à évoluer du côté de l’offre que de la demande et qu’ils sont impatients de poursuivre l’extraction des diamants.

Au jeu du « plus le risque est grand, plus le rendement est intéressant », Harry Winston Diamond Corp. arrive parmi les premiers. Les marges de son segment minier ont sensiblement dépassé celles de sa division des ventes au détail, alors même que les ventes au détail ont dépassé les ventes de brut (voir graphique ci-dessous). ‎

Établi à partir de données publiées par Harry Winston Diamond Corp.

Ainsi, la marque emblématique Harry Winston entre dans le portefeuille Swatch, aux côtés d’autres noms prestigieux du monde du luxe comme Breguet, Blancpain, Glashütte Original, Jaquet Droz, Léon Hatot et Omega.

Swatch renforce ainsi sa position d’acheteur de taillé, en particulier pour les petites pierres de qualité et pourra désormais cibler des pierres de grosseur supérieure.

Ne nous attendons pas, toutefois, à une demande pléthorique de la part de Swatch, bien que les deux sociétés envisagent une coentreprise pour leur approvisionnement de taillé sous l’emblème Swatch. Tant que Swatch n’assurera pas une gestion fluide de son activité, Dominion (Harry Winston Diamond Corp. tant que la transaction n’aura pas été finalisée) continuera à s’approvisionner pour les deux noms sans rien changer à ses procédures habituelles.

Il faut surtout retenir que Dominion et Swatch ont entamé des pourparlers pour une co-entreprise de fabrication de diamants. Et même si la structure fait des débuts timides, elle possède un vrai potentiel de croissance. Nous avons déjà évoqué dans ces colonnes l’influence croissante des grands détaillants de bijoux sur le marché du brut. En effet, l’arrivée d’une société comme Swatch dans le monde de la fabrication offre des perspectives semblables à celles des divisions du brut de Tiffany & Co. ou de Chow Tai Fook.

Pour Dominion, la coentreprise permettrait de se ménager une ouverture vers le secteur du taillé et de conserver un référencement pour ses prix du brut. Selon des sources de Rapaport News, la société sous-traite déjà une partie de sa fabrication en Inde.

Cette concordance des compétences peut paraître avantageuse sur le papier mais les avantages pratiques pourraient se révéler plus compliqués. La mise en place des opérations de fabrication ne sera donc probablement pas une priorité immédiate pour les deux sociétés. ‎

Dominion aura du pain sur la planche en 2013, la société ayant l’ambition de devenir le premier minier du Canada. ‎

Rappelons que les transactions Swatch et Ekati de Harry Winston sont en attente d’approbation réglementaire ; l’accord avec Swatch de cette semaine présentant moins de difficultés, il devrait être achevé aux environs du premier trimestre.

Le dossier Ekati est plus complexe. L’enjeu porte sur la part de 80 % de BHP Billiton dans la « zone centrale » d’Ekati, là où se situe l’exploitation, et sur ses 58,8 % dans la « zone tampon », vectrice de diverses possibilités de prospection et de développement. Pour l’heure, la parole est aux partenaires minoritaires de BHP Billiton dans les actifs d’Ekati, qui ont 60 jours pour exercer leur droit de premier refus et choisir de racheter ou non la participation de Billiton dans Ekati, selon les mêmes conditions que celles offertes à Harry Winston. Une annonce est attendue sous peu, l’échéance étant prévue pour cette semaine. Juste avant que nous ne mettions sous presse, Harry Winston a annoncé que l’un des partenaires minoritaires, C. Fipke Holdings Ltd., avait porté l’affaire devant les tribunaux.

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Des Kilalea, analyste pour RBC Capital Makets, note que la zone tampon contient au moins l’une des nombreuses cheminées de kimberlite qui semblent être rentables et méritent d’être développées, pendant que l’activité sous-jacente sera maintenue grâce aux mines Ekati et Diavik. Ainsi, si les partenaires de BHP Billiton décidaient d’exercer leurs droits sur la zone tampon, la situation serait considérée comme un revers pour Dominion.

La zone tampon est en effet essentielle pour Dominion qui entend rester fournisseur de brut sur le long terme. Il lui faudra donc une autre mine. Après tout, la mine Ekati actuelle et la mine Diavik, dont Harry Winston Diamond Corp. détient 40 % (les 60 % restants appartenant à Rio Tinto) affichent toutes deux des durées de vie restantes relativement courtes, de 7 à 12 ans respectivement.

Or, pour le moment, Dominion possède à la fois le budget et l’accès au crédit qui lui permettront d’avancer. La société pourrait aussi avoir en tête d’autres acquisitions et en a peut-être même engagé certaines. Cette semaine, Bob Gannicott a déclaré à Bloomberg News que, si la proposition lui était faite, la société exercerait probablement son droit de premier refus sur les 60 % de Rio Tinto dans la mine Diavik.

Reste donc à savoir si Rio Tinto réalisera cette offre. En mars 2012, le minier australien envisageait un éventuel départ de l’industrie. La déclaration a déchaîné un flot de spéculation quant à savoir si Rio Tinto comptait vendre ses quatre mines séparément ou sous la forme d’une entreprise intégrée, scinder la société au moyen d’une offre publique ou tout simplement en conserver la propriété. ‎

Toutes les solutions sont possibles. Compte tenu de l’âge de ses deux exploitations phare, Argyle et Diavik, le plus rentable pour Rio Tinto serait probablement de vendre l’ensemble de l’entreprise. Rio Tinto dispose également de marques performantes, qui englobent l’ensemble de ses opérations. Toutefois, à mesure que le temps passe et que la valeur des actifs respectifs diminue, les options de Rio Tinto vont s’amenuiser.

Des Kilalea prévoit une baisse de la valeur de Diavik par rapport à l’estimation établie par Harry Winston en août 2012. La société a évalué l’intégralité de la mine à 2,6 milliards de dollars, pour une durée de vie restante de 12 ans jusqu’en 2023. Depuis lors, explique Des Kilalea, près d’un douzième de sa durée de vie s’est écoulé et les prix des diamants ont diminué, ce qui devrait encore réduire la valeur.

Les prix du brut ont en effet chuté. Ceux de Diavik ont perdu environ 18 % entre l’évaluation d’août et la moyenne des prix de décembre publiée cette semaine par Harry Winston. À son plus haut, le prix moyen de la cheminée nord A-154 a chuté d’environ 21 %, à 170 dollars/ct. De toute évidence, le prix de vente de Diavik sera nettement inférieur aux 2,6 milliards de dollars suggérés, en particulier, comme le souligne Des Kilalea, du fait que le marché prévoit des remises pour les transactions impliquant des sociétés publiques.

Quelle que soit l’évolution pour Ekati et Diavik, Dominion pourrait bien axer ses acquisitions vers d’autres horizons. Le Canada reste une proie relativement facile dans le monde de l’extraction et du développement des diamants. Le projet Renard de Stornoway Diamonds vient immédiatement à l’esprit, de même qu’un autre développement potentiel autour de Diavik, qui serait extérieur à la co-entreprise Rio Tinto-Harry Winston.

Indépendamment de ces choix secondaires en 2013, Dominion sera conscient de sa nouvelle position sur le marché cette année. Il faudra alors établir comment et à qui il vend son brut, à mesure que son offre se développe et qu’il se positionnera comme l’un des quatre premiers producteurs de diamants. ‎

La direction de Harry Winston Diamond Corp. affiche au moins un axe clair, en remettant tous ses œufs dans le panier de l’extraction minière. Après avoir racheté une division du luxe avec Aber Diamond Corporation en 2004, la société retourne à ses racines minières et renvoie la marque dans son domaine de prédilection, celui de la vente au détail de produits de luxe. ‎

On dit souvent dans le secteur qu’une société doit s’en tenir à ce qu’elle fait de mieux. Les professionnels de Harry Winston Diamond Corp. sont des spécialistes des mines qui ont peut-être tiré le modèle un peu trop vers l’aval. En bouclant la boucle, ils seront à même de bâtir une activité rationalisée et de faire valoir leur domination sur le marché.


[1] « Domination » en anglais.

Source Rapaport

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