De l’étoffe terrible dont sont faits les cauchemars

Edahn Golan

Pendant des années, l’attitude officielle de l’industrie diamantaire face aux diamants de laboratoire était de dire que ces pierres étaient des faux. Même le surnom qui leur a été attribué – les « synthétiques » – exprime ce dédain.[:]Pourtant, sous cette marque d’irrespect se cache un sentiment profond, une sensation réelle, presque palpable, un mélange de mépris et de profonde frayeur. Ne rechignez pas car cette peur est certainement justifiée.

Le terreau effrayant des cauchemars

À l’heure actuelle, les pierres de laboratoire sont déjà en concurrence avec les diamants naturels : présence croissante des exposants au JCK, décision de Swarovski d’entrer dans la partie, tentatives malveillantes et répétées de les vendre sans déclaration, proposition d’une « alternative identique mais éthique », nombre croissant de boutiques qui les vendent à côté des diamants naturels ou tentatives de les classer dans une catégorie à part… Tous ces facteurs cumulés engendrent des inquiétudes profondes.

Les consommateurs américains de plus en plus nombreux à s’intéresser à ce produit évoquent des images de machines à écrire, de magnétoscopes et de bobines de film engloutis dans le vide intersidéral des plus noirs de nos cauchemars. Au cours de ces longues nuits sombres, des suées poisseuses nous dégoulinent le long de la colonne vertébrale, tandis que des logos déchiquetés de l’Encyclopedia Britannica, Kodak, Blockbuster, Palm et d’autres sociétés n’ayant pas réussi à s’adapter à l’époque sombrent inexorablement et s’écrasent sur le sol froid de la réalité. Telles sont ces idées qui donnent vraiment la chair de poule à l’industrie.

Mais tout n’est pas perdu : après le réveil et une bonne douche froide, nous réalisons que nous possédons un atout formidable au moment de partir travailler ce matin-là. Nous pouvons tirer les leçons du passé.

Un impact qui se fait sentir

Lorsque Blockbuster et Palm sont tombés, IBM, Netflix et Samsung se sont engouffrés dans la brèche. Lorsque l’industrie des perles naturelles a subi un choc dont elle ne s’est jamais vraiment remise (demandez à 100 acheteurs et propriétaires de perles choisis au hasard s’ils savent pourquoi les perles d’aujourd’hui sont si uniformes, et vous comprendrez ce qu’est un manque d’informations flagrant), de nombreuses autres sociétés se sont réinventées et sont allées de l’avant.

Et même si les joailliers peuvent facilement se réinventer, qu’en est-il des fabricants et des miniers ? Pour eux, ce doit être le signal qu’il faut différencier, promouvoir et glorifier les diamants.

La menace est tangible. Après avoir investi 2 milliards de dollars pour procéder à des opérations souterraines à Argyle, Rio Tinto va bientôt fermer cette mine car le prix obtenu sur ces marchandises ne justifie pas de nouvelles opérations, sans compter l’amortissement de l’extension. La mine produit principalement des pierres bas-de-gamme, de moindre valeur, en concurrence directe avec les marchandises de laboratoire bon marché provenant de Chine. Avec la hausse de la production en Chine et la baisse des coûts sur place, l’avantage économique d’Argyle s’évanouit encore un peu plus.

Je ne dis pas que les diamants de laboratoire ont déjà un effet sur les prix du taillé mais il ne fait aucun doute qu’ils ont déjà eu un impact économique sur l’industrie diamantaire. Rien que le capital injecté dans la R&D de détection et les coûts des appareils de détection sont importants. Côté positif, la volonté des miniers de consacrer près de 60 millions de dollars au marketing a un lien direct avec la perte de parts de marché face à ces produits concurrents (et d’autres).

Le boom du retail des diamants de laboratoire

Il y a moins d’un an, je présentais les chiffres des diamants de laboratoire lors d’un atelier pendant une conférence du Kimberley Process à Dubaï. Lors de la séance de questions-réponses, une personne du public s’est levée et a critiqué ma présentation des données, la qualifiant de « trop factuelle ». Lorsque quelqu’un réagit au ton plutôt qu’au contenu, mes amis, cela traduit réellement la peur. Une industrie ne peut répondre à une menace en l’ignorant. Si vous vous enfouissez la tête dans le sable, vous êtes certain d’étouffer, de suffoquer et de mourir d’un trop-plein de sable dans les poumons. Vous ne risquez pas de vous développer, croître ou prospérer.

En m’appuyant sur mes données et des conversations avec des fabricants de synthétiques, des spécialistes du marketing et des détaillants, j’ai établi que la valeur totale des ventes annuelles de marchandises de laboratoire déclarées atteint depuis longtemps des centaines de millions de dollars aux États-Unis uniquement.

La nécessité d’une réponse bien réfléchie

La demande des clients augmente… et elle augmente vite. Il ne s’agit pas non plus d’une lubie du type de celle des hand-spinners. La tendance est destinée à durer et sa courbe le montrera. Une période de croissance rapide a déjà commencé. Elle devrait être suivie d’une période de maturation avec ralentissement du rythme de croissance, puis de la nécessité d’évoluer pour s’adapter au changement, avec développement des complexités. Ainsi en est-il de ce modèle.

L’essor de la demande des consommateurs entraîne une hausse du nombre de fabricants de diamants de laboratoire et de détaillants prêts à tester le produit. Cette étape est dangereuse car il y a un côté cannibale chez ceux qui proposent les deux produits. Comment des détaillants d’articles à bas prix peuvent-ils justifier la vente d’un produit censément identique mais qui vaut plus cher ?

Toutes ces questions exigent une réponse réfléchie de la part de l’industrie diamantaire. Certes la De Beers et ALROSA ont essayé d’amadouer les fabricants et les détaillants pour qu’ils commercialisent des diamants, mais la question des diamants de laboratoire s’impose à eux. Ils n’ont d’autre choix que de prendre la place de leaders.

Au-delà d’une simple « industrie »

Les communautés des régions éloignées qui profitent de l’extraction minière ne sont pas vraiment visées mais elles sont clairement menacées. En premier lieu vient le Botswana, mais d’autres pays en Afrique, ainsi que le Canada et la Yakoutie subiront de terribles pertes si l’industrie diamantaire ne fait rien pour préserver la demande des consommateurs.

En fait, « Fair Trade Diamonds » est une campagne qui pourrait attirer une nouvelle génération de consommateurs.

Source Edahngolan.com